Confrontations au national-socialisme dans l'Europe francophone et germanophone (1919-1949)/ Auseinandersetzungen mit dem Nationalsozialismus im deutsch- und französischsprachigen Europa (1919-1949
Volume 3: Les gauches face au national-socialisme/Band 3: Die Linke und der Nationalsozialismus
Résumé
Wie werden Ideologie, Etablierung und Herrschaft des Nationalsozialismus in den deutsch- und französischsprachigen Räumen Europas vom Beginn der 1920er bis zum Ende der 1940er Jahre wahrgenommen, bewertet und erklärt? In sechs systematisch angelegten Bänden, der erste erschien 2017, werden diese Fragen anhand einer exemplarischen Auswahl von Büchern, Zeitungen und Zeitschriften ebenso untersucht wie die unterschiedlichen Deutungen des Nationalsozialismus in seiner Epoche und den unmittelbaren Jahren nach seinem Ende. Im Zentrum des dritten Bandes steht die Linke in ihren unterschiedlichen ideologischen Ausprägungen. Die Beiträge sind den verschiedenen Interpretationen des Nationalsozialismus in diesem politischen Spektrum gewidmet, insbesondere auch aus der Perspektive repräsentativer Zeitschriften dieses Milieus/dieser Milieus.
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Plan de l’ouvrage
- Introduction / Einleitung
- Les gauches face au national-socialisme (Nicolas Patin / Dominique Pinsolle)
- Die Linke und der Nationalsozialismus (Nicolas Patin / Dominique Pinsolle)
- Sociaux-démocrates, socialistes et gauche modérée des années 1920 à 1939 / Sozialdemokraten, Sozialisten und gemässigte Linke 1920-1939
- Le Populaire et le national-socialisme jusqu’en 1933 (Valentin Bouquillion)
- Pierre Brossolette face au national-socialisme (1929-1939) (Jean-René Maillot)
- Otto Bauers indirekte Apologetik des Nationalsozialismus (Alfred Pfabigan)
- Rudolf Hilferdings Widerstand gegen den Nationalsozialismus (Bernd Zielinski)
- Fritz Eberhard (Bernd Sösemann)
- Kurt von Schleicher, die NSDAP und Mein Kampf (Jens Flemming)
- «Ein Herrscher mit Bettlerinstinkten» (Markus Roth)
- Communistes et sympathisants des années 1928 à 1939 / Kommunisten und kommunistisches Umfeld 1928-1939
- Die Auseinandersetzung mit dem Nationalsozialismus in der Linkskurve (Friedrich Albrecht)
- Une vision de l’hitlérisme. Vu, 1928-1936 (Sophie Kurkdjian)
- Barbusse face au nazisme (Romain Ducoulombier)
- Les étapes de la confrontation avec le national-socialisme dans la revue Europe (Wolfgang Asholt)
- Bilans et perspectives / Bilanzen und Perspektiven
- Herbert Wehner: Selbstbesinnung und Selbstkritik. Erfahrungen und Gedanken eines Deutschen (1942/43) (August H. Leugers-Scherzberg)
- «Die deutsche Nation steht nun vor der Aufgabe, ihren langen Weg des Irrtums und des Verhängnisses zu verlassen» (Ulrich Pfeil)
- Der Ruf (1945-1949) (Jérôme Vaillant)
- «Hitler-Glossifizierung» (David Bordiehn)
- Index
- Titres de la collection
Les gauches face au national-socialisme
Nicolas PATIN, Dominique PINSOLLE
Quelles ont été les réactions des gauches face au nazisme dans l’Europe francophone et germanophone? Telle est la question que soulève le présent volume, le troisième de la série Confrontations avec le national-socialisme en Europe francophone et germanophone (1919-1949).1 Après les deux premiers volumes de la série, le deuxième étant notamment consacré à la réaction des modérés, la présente étude repose sur une attente implicite: celle que «les gauches», qui étaient loin d’être un milieu intellectuel ou militant unifié, aient réagi d’une manière spécifique à l’émergence du NSDAP, à partir de 1919, et à la prise du pouvoir par Hitler, en 1933. N’étaient-elles pas en effet, ces gauches, les principales cibles des chemises brunes, désignées encore et toujours par Hitler, de manière totalement caricaturale, comme un tout: l’ennemi «marxiste»? Pourtant, on va le voir, entre prise de conscience précoce, errements et aveuglements, les réactions des différentes familles de la gauche, d’un côté ou de l’autre du Rhin, n’ont rien eu d’homogène.
C’est une évidence de le rappeler, mais les gauches de l’entre-deux-guerres ne sont pas un groupe unifié sous ce même vocable. La famille socialiste et la famille communiste s’entre-déchirent de manière violente. On peut y voir le poids des grandes oppositions idéologiques et des grands moments de division: le legs de la querelle réformiste du début du siècle;2 le moment fondateur du vote des crédits de guerre dans les deux pays en 1914, thématisé comme une trahison des modérés par les plus radicaux;3 Zimmerwald; la révolution bolchevique, et bien évidemment, la rupture consommée, celle de l’adhésion aux 21 conditions de l’Internationale communiste. En Allemagne, la mort de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht et la répression du soulèvement spartakiste par les troupes du gouvernement provisoire dominé par les sociaux-démocrates en 1919 ne fait qu’approfondir la haine vouée d’un côté et de l’autre par le SPD et le KPD. Cette faille perdure durant la République de Weimar – comme avec la répression des ← 11 | 12 → communistes lors du «mai sanglant» de 1929, qui fait 31 morts4 – et empêche tout «front uni» du point de vue tactique, ainsi que toute analyse conjointe du point de vue idéologique.
Il y a donc une sorte de double illusion téléologique à s’imaginer la réaction des gauches face au péril nazi. D’abord, l’illusion de croire que parce que les militants «rouges» étaient plus menacés que les autres par les attaques nazies, ils devaient nécessairement analyser de manière plus prompte et aiguisée cette menace. C’est souvent faux, comme quand, par exemple, les forces de gauche ne jettent qu’un œil dédaigneux au pamphlet d’Hitler, Mein Kampf, là où les forces d’extrême droite le lisent avec plus d’attention.5 La deuxième illusion est de croire que les attaques répétées du fascisme auraient eu la force de ressouder les deux grandes familles de la gauche, que ce soit en Allemagne ou en Europe. On le sait, Staline, à travers une stratégie tragique – celle de la ligne «social-fasciste» – a préféré ordonner à ses troupes d’attaquer les sociaux-démocrates et les modérés plutôt que de s’en prendre au fascisme. C’est un fait. Mais on plonge bien facilement dans l’histoire contrefactuelle en se demandant ce qu’il en aurait été d’une lutte commune, coordonnée et active de tous les mouvements marxistes contre la montée du nazisme. D’une certaine manière, cela revient en partie à faire reposer – a posteriori – la victoire du fascisme sur un échec des gauches.
Du point de vue de l’historiographie, il existe peu d’ouvrages disponibles sur la question de la perception du phénomène national-socialiste dans les gauches européennes. En Allemagne, l’historiographie a évidemment pâti de la division allemande, les analyses se retrouvant bien souvent, de chaque côté du mur, dans un effet de miroir: à chaque organisation du parti communiste correspond une hagiographie écrite en RDA, et un procès à charge côté RFA.6 Des ouvrages récents et très ambitieux se sont surtout intéressés, pour ce qui concerne la République de Weimar, aux organisations partisanes en tant que telles, plutôt qu’à une histoire des idées et des représentations.7 En ce qui concerne la période du régime nazi, il existe évidemment une imposante littérature concernant l’exil des forces politiques ← 12 | 13 → de gauche, ainsi que de la persécution des opposants.8 De manière transversale, la question de la perception du phénomène nazi y est abordée. Mais le présent volume est une des premières recherches à montrer la diversité de l’approche du phénomène, tout comme certains effets de convergences chronologiques dans la compréhension du fascisme par les forces de gauche. Dans l’espace francophone, il existe une recherche dynamique dans l’entre-deux-guerres autour de ces questions, animée bien souvent, en ce qui concerne les transferts et les réseaux intellectuels, par des chercheurs en études germaniques,9 les historiens se tournant vers d’autres thématiques. Mais la bibliographie l’atteste, il y a encore peu de travaux complets sur cette question et l’initiative de la Confrontation avec le national-socialisme espère apporter un jalon dans la réflexion.
Le présent volume, qui regroupe quinze contributions – dont dix concernant l’Allemagne et la sphère germanophone et cinq concernant la France –, ne peut dépasser des clivages qui recoupent aussi bien des réalités historiques que des traditions historiographiques. Il s’organise donc autour d’une première partie sur les gauches modérées, social-démocrates et socialistes, et d’une deuxième autour des forces communistes et leurs sympathisants, les deux réflexions s’achevant en 1939, moment du basculement dans la Seconde Guerre mondiale. La troisième partie ouvre sur les analyses en temps de guerre, et celles du direct après-guerre. Les études se fondent sur la trajectoire intellectuelle d’individus (Pierre Brossolette, Rudolf Hilferding, Otto Bauer, Konrad Heiden…), sur le positionnement de journaux et revues (Le Populaire, Linkskurve, Vu, Europe ou Der Ruf) ou sur des ouvrages qui ont marqué l’évolution de la compréhension du phénomène nazi (Alexander Abusch…). La mise en relation de ces différentes études de cas, si elle ne permet pas de dessiner de manière entièrement satisfaisante une histoire des réseaux et des structures, des circulations et des échanges intellectuels, permet en revanche de repérer des convergences et des rythmes, des scansions et des ruptures, dans la confrontation avec le phénomène nazi.
Le premier constat de ce volume est la prise en compte tardive du mouvement nazi. On peut le dire, s’il y a eu des réceptions précoces et des analyses avant 1930, elles sont peu nombreuses. On le voit au sein du journal Le Populaire, l’organe de presse de la SFIO, qu’étudie Valentin Bouquillion. Le journal commence à s’intéresser au parti nazi après le putsch de 1923. Mais cet intérêt est fluctuent, et ← 13 | 14 → même la terminologie n’est pas toujours stabilisée, Le Populaire ne commençant à utiliser les termes «national-socialisme» et «nazisme» qu’à partir de 1930. Les termes «raciste» ou «ultranationaliste» étaient cependant toujours utilisés, et pas uniquement pour désigner le NSDAP. Le DNVP, le parti conservateur d’extrême droite, intéressait bien plus les journalistes de la SFIO. À partir des premières victoires électorales des nazis, l’analyse est plus systématique. Le journal souligne la violence et l’agressivité du mouvement hitlérien. Il insère également le phénomène dans une lecture déjà stabilisée, celle du fascisme, comme nationalisme exacerbé et signe de la domination capitaliste. Ce mot, tout pratique qu’il était, conduisait à un amalgame permanent, qui empêchait de penser la spécificité du mouvement nazi, puisqu’il était utilisé pour désigner tout ennemi potentiel, y compris des monarchistes comme Charles Maurras ou des conservateurs. Désigner les nazis comme «valet[s] armé[s] de la réaction» empêchait, en quelque sorte, de comprendre leur projet de révolution culturelle10 ou leur projet totalitaire. De plus, comme beaucoup d’observateurs, les journalistes du Populaire sous-estimaient la capacité d’Hitler à parvenir au pouvoir, ou à s’y maintenir. Cela ne se perçoit nulle part de manière plus évidente que dans le traitement de la figure d’Hitler, raillé, moqué et déconsidéré, mais du même coup, assez peu susceptible d’être pris au sérieux. Si l’antisémitisme de la doctrine nazi est analysé au début des années 1930, les membres de la SFIO n’en perçoivent pas la centralité dans la pensée nazie.
La série de six articles suivants l’indique également: c’est donc à partir de la première grande victoire électorale du 14 septembre 1930 – où le NSDAP réalise une percée en passant de 2,6 % à 18,3 % des voix aux élections législatives – que les différents acteurs politiques – donc ceux de gauche – commencent à s’intéresser réellement au phénomène. Pierre Brossolette – auquel Jean-René Maillot consacre son étude –, est l’un de ceux-ci. À travers plusieurs journaux (Notre Temps, l’Europe nouvelle, La République…), ce militant socialiste et pacifiste livre une réflexion au long cours sur la situation outre-Rhin. Alors que de nombreux observateurs peinent à comprendre ou à révéler le contenu raciste et antisémite de la pensée hitlérienne, Brossolette, lui, le souligne dès les premières années. Empli d’une certaine clairvoyance, il sait que l’exercice du pouvoir n’usera pas un homme aussi radical qu’Hitler ou un mouvement aussi fanatique que le parti nazi. En fervent défenseur de la SDN et de la coopération internationale, Brossolette réfléchit surtout aux meilleurs moyens, après 1933, de mener une politique de maintien de l’ordre international. Prônant tantôt la fermeté et la paix «sans l’Allemagne», tantôt la négociation. Il a en horreur le nationalisme sous toutes ses formes, y compris celui qui s’opposerait à Hitler en son propre nom. Cela l’amène, alors même qu’il ne se voile aucunement la face en scrutant le danger du national-socialisme, à une position d’équilibre difficile à tenir. ← 14 | 15 →
Deux grands noms de l’austro-marxisme, Otto Bauer et Rudolf Hilferding, livrent leur analyse du phénomène dans les années 1930, alors que plane sur l’Autriche la menace, de plus en plus concrète, de l’annexion pure et simple au territoire du Reich. Alfred Pfabigan reconstitue la pensée d’Otto Bauer à travers l’étude de la multitude des œuvres de cet intellectuel-militant, figure de proue du mouvement social-démocrate autrichien. Or, de la clairvoyance dont a pu témoigner cet homme dans l’analyse des faits économiques, il ne reste pas grand-chose en ce qui concerne l’ascension du mouvement hitlérien. Comment expliquer cette réaction teintée d’ambivalence? Peut-être, d’abord, et comme pour beaucoup d’hommes de gauche, par l’effet parfois handicapant du mot «fascisme» dans la compréhension des spécificités du nazisme en Allemagne. Pour lui, le mot sert à désigner l’ensemble des forces qui s’opposent au mouvement révolutionnaire. De ce fait, tout devient «fasciste», y compris l’Autriche après la mise au ban du Parlement, ce qui brouille ainsi les échelles de danger et de réaction. Plus important, Bauer ne semble pas percevoir pleinement l’antisémitisme nazi. Alfred Pfabigan souligne que les clichés antisémites liés à l’anticapitalisme étaient courants dans le folklore de l’austromarxisme. Plus largement, il y avait chez Bauer une tendance à sous-estimer les dangers du nazisme, à le minimiser comme forme politique d’une dégradation tardive du système capitaliste. Son optimisme l’enfermait dans une incapacité à comprendre vraiment le phénomène.
Hilferding perçoit, lui, rapidement le danger du mouvement. L’intellectuel, économiste et militant politique, étudié par Bernd Zielinski, comprend le caractère d’agglomération des colères du mouvement des chemises brunes. Et il sait, comme Brossolette en France, qu’il y a un réel danger à faire participer les nazis au pouvoir, en pensant les contrôler. Ce ne serait pas une expérimentation, écrit-il, mais une capitulation. Cela l’amène à soutenir le gouvernement Brüning des années 1930, un équilibre périlleux pour tous les sociaux-démocrates, car cela les pousse à soutenir une politique d’austérité totalement opposée à leur programme. Hilferding s’oppose à toute grève générale, et il estime qu’un «front uni» n’est ni possible ni souhaitable. Cependant, une fois le pouvoir tombé aux mains des nazis, il opère un tournant à 180 degrés, appelant avec ses amis exilés à un tournant révolutionnaire, rejetant le réformisme des dernières années. Il faut rallier toutes les forces de gauches. Ceci dit, à partir de 1935, Hilferding n’a plus d’influence sur les milieux de l’exil, et se contente d’analyser le phénomène hitlérien. Pour lui comme beaucoup d’autres marxistes, le nazisme est inséparable de l’analyse du capitalisme: il en est un stade, il est l’expression de la domination de la classe bourgeoise. À mesure que le régime s’enracine, Hilferding est bien obligé de constater que quelque chose d’autre se joue, qu’une certaine adhésion des masses se fait jour. Il la renvoie à la tradition nationaliste et impérialiste allemande, au nationalisme bismarckien spécifique à l’Allemagne, ce qui est un canevas d’analyse assez traditionnel. Plus ambitieux, au milieu des années 1930, il commence à jeter sur le papier une analyse de l’État «total» et de régime «totalitaire».
Bernd Sösemann s’intéresse à la figure de Fritz Eberhard, membre de la Ligue socialiste militante internationale (ISK) et défenseur du socialisme éthique. ← 15 | 16 → Contrairement à la frilosité de Hilferding envers le front uni, Eberhard appelle à l’été 1932 à un large front de lutte entre les syndicalistes, les sociaux-démocrates et les communistes. L’appel fait long feu; dès l’été suivant, Eberhard commence à construire son réseau de clandestinité. Il publie, sous un pseudonyme, au sein du Sonntags-Zeitung de Stuttgart, et prépare même un attentat contre Hitler. Repéré, il finit par fuir au Royaume-Uni. Durant toute sa trajectoire, il écrit de nombreux articles pour analyser le fait national-socialiste et les moyens de lutter contre celui-ci. Il utilise des techniques d’écriture cachée et de sens détourné dans ses écrits, pour ne pas tomber sous le coup de la censure et de la répression. Cependant, ses articles concernent avant tout les questions économiques, d’un point de vue technique. Il ne parle que peu de l’idéologie nazie ou du totalitarisme. Il se concentre, à partir des indicateurs économiques, sur l’idée simple que le régime mène irrémédiablement à la guerre et tente d’alarmer ses concitoyens et les personnes qu’il fréquente en exil au sujet du danger très concret du nazisme. Il appelle une nouvelle fois à un front uni, à l’échelle européenne, mais là encore, c’est un échec, en 1937.
C’est également à travers leurs activités journalistiques que Kurt Caro et Walther Oehme, deux journalistes de gauche modérée, analysent l’ascension du national-socialisme. Jens Flemming étudie la pensée des deux hommes à travers leurs écrits dans la presse, et montre comment, dès la nomination de Kurt von Schleicher comme chancelier, à la fin 1932, ils comparent l’Allemagne à l’Amérique du Sud, mettant à sa tête des militaires et autres «généraux politisés» quelconques. Livrant une analyse précoce des bases militantes du nazisme, ils en montrent la jeunesse, identifiant assez correctement la place de la «génération des jeunes de la guerre11» dans la «passion de l’action» développée au sein du parti. Pour les auteurs, la haine de la République au sein des chemises brunes est une évidence et ils consacrent une part importante de leur réflexion à décortiquer les techniques de communication du parti. La prise du pouvoir sépare les deux hommes, l’un en exil, l’autre toujours en Allemagne. Kurt Caro publie alors un livre d’analyse fondé en grande partie sur Mein Kampf. Il utilise l’autobiographie d’Hitler pour montrer son puissant complexe d’infériorité, son antisémitisme, sa brutalité. Quelle que soit la clairvoyance des deux hommes, le régime nazi a signifié la fin de leur carrière.
Dernier auteur proche des sociaux-démocrates et des socialistes, Konrad Heiden retient l’attention comme premier biographe d’Adolf Hitler. Markus Roth analyse le parcours de cet homme et de son œuvre, publiée entre 1935 et 1937, celle qui posa les fondements de la réflexion historique sur le personnage d’Adolf Hitler. Il construisait, à travers l’image de son Führer, une réflexion générale sur l’Allemagne avec un objectif militant, celui de lutter contre la domination nazie. Et il commençait par faire voler en éclat les mythes construits par Hitler sur sa propre vie: la jeunesse du soi-disant Führer ne témoignait que d’une chose: la construction d’un individu borné, qui ne voulait apprendre que ce qui confirmait ce qu’il savait ← 16 | 17 → déjà. Sa victoire s’expliquait grâce à la propagande, mais aussi du fait de la faiblesse de la gauche, y compris des sociaux-démocrates dont Heiden se sentait proche. Un guide raté pour un peuple qui croupissait dans l’échec, telle était son analyse. Cela amenait Heiden à ne voir aucun contenu au national-socialisme. Il rejoignait, d’une certaine manière, le jugement d’un Hermann Rauschning dans sa Révolution du nihilisme (1938): le nazisme était vide de sens, c’était une pure pratique de la domination. Le livre de Heiden fut un succès considérable, en langue allemande et à l’étranger. Les cercles sociaux-démocrates ne ménagèrent pas leurs critiques. Ils dénoncèrent – notamment Friedrich Stampfer – la théorie du déclassement de Heiden. Dire qu’Hitler était devenu le guide d’une Allemagne malmenée par les crises économiques, une Allemagne des déclassés, revenait à acter la fin de l’influence de la classe ouvrière.
Chez les communistes, la tentation était également forte d’assimiler le nazisme à un concept déjà bien établi, celui de fascisme. C’était le cas au sein de la revue Linkskurve analysée par Friedrich Albrecht. On l’a vu, c’était souvent le cas dans les rangs du SPD. Mais au sein de la Linkskurve, analyser le nazisme d’un point de vue national n’était peut-être pas la priorité: on y parlait de marxisme, de léninisme et de l’Allemagne des soviets à venir. Évidemment, la ligne du «social-fascisme» y trouva droit de cité. On parlait moins du NSDAP, encore balbutiant en 1929, que de la domination des partis bourgeois. Et plus particulièrement, du frère-ennemi, le SPD, qui était considéré comme l’aile modérée du fascisme, le jumeau du fascisme, nécessaire à son développement. Quand la revue analysait directement le nazisme, elle le percevait comme une émanation du capitalisme et de sa domination de classe. Cela ne l’empêcha pas de percevoir le danger qui s’approchait au moment de l’élection de 1930. Mais la tactique était simple: il fallait impérativement affaiblir la social-démocratie pour espérer vaincre le fascisme.
Le magazine Vu, étudié par Sophie Kurkdjian, se rapproche à la fin des années 1920 du mouvement communiste. Son fondateur, Lucien Vogel, au départ plutôt entiché de mode de luxe, se tourne vers l’actualité internationale et notamment l’analyse du mouvement hitlérien. Vogel réalise que la photographie peut servir son dessein: lutter contre l’hitlérisme. Pour cela, il convoque les techniques les plus modernes du photojournalisme dans le but de construire une objectivité radicale. Les reportages donnent à voir l’Allemagne sans fard. Une photo du camp d’Oranienburg montre la terreur nazie à l’œuvre. La revue utilise des photomontages nombreux pour donner des effets de sens et dénoncer la nature militaire du régime.
Romain Ducoulombier analyse quant à lui la réaction d’Henri Barbusse face au nazisme, et plus exactement au sein du Mouvement Amsterdam-Pleyel dans la chronologie relativement courte des années 1932-1935. Que se passait-il au sein du Parti communiste français au moment de la prise du pouvoir par les nazis? Dans les lunettes de Barbusse, qui avait déjà longuement eu maille à partir avec les Allemands, comme des millions de Français dans les tranchées de 1914-1918, on ← 17 | 18 → aurait pu attendre une dénonciation du militarisme prussien. Mais il n’en est rien: tout occupé par la défense de l’URSS, il n’analyse que peu le phénomène nazi. Il commence, avec d’autres, à dénoncer la ligne «classe contre classe» et à chercher des rapprochements avec les sociaux-démocrates. Il y parvient presque avec la fusion des comités Amsterdam et Pleyel en juin 1933. Mais de l’URSS souffle un vent de sectarisme qui met fin à ces initiatives. L’arrivée au pouvoir des nazis n’y change rien. Le nazisme n’est pas analysé en profondeur au sein du PCF. L’effondrement du KPD est donc un choc ; la question allemande devient un moteur important de la stratégie de «front populaire», qui n’est ni une magnifique prémonition communiste, ni un simple revirement conjoncturel. La compréhension de la menace nazie a, dans une certaine mesure, aidé à resserrer les rangs de la gauche française.
Résumé des informations
- Pages
- 274
- Année de publication
- 2019
- ISBN (PDF)
- 9782807608788
- ISBN (ePUB)
- 9782807608795
- ISBN (MOBI)
- 9782807608801
- ISBN (Relié)
- 9782807608771
- DOI
- 10.3726/b15971
- Langue
- français
- Date de parution
- 2019 (Août)
- Publié
- Bruxelles, Bern, Berlin, New York, Oxford, Wien, 2019. 274 p. 2 ill. n/b
- Sécurité des produits
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