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Métiers et techniques du cinéma et de l’audiovisuel : sources, terrains, méthodes

de Hélène Fleckinger (Éditeur de volume) Kira Kitsopanidou (Éditeur de volume) Sébastien Layerle (Éditeur de volume)
©2020 Collections 318 Pages

Résumé

La « révolution » du numérique, entamée au tournant des années 2000, a entraîné dans un tourbillon de transformations l’ensemble de la filière cinématographique, de la création à la diffusion. L’ampleur des mutations engendrées (disparition d’acteurs des industries techniques, destruction massive d’emplois et de savoir-faire, redéfinition des contours de métiers anciens et apparition de nouveaux) a sensibilisé une partie de la communauté scientifique. Des projets nationaux et internationaux d’envergure ont vu le jour, avec le souci de cartographier les changements et surtout de préserver des connaissances et des compétences menacées de disparition. À l’heure où ces projets de recherche semblent se multiplier, cet ouvrage collectif, tiré d’un colloque universitaire, propose de se concentrer sur des questionnements d’ordre méthodologique : comment aborder les changements intervenus dans la filière cinématographique ? à partir de quelles sources, avec quels outils et selon quelles approches ? quels problèmes méthodologiques la recherche sur les métiers et les techniques du cinéma et de l’audiovisuel soulève-t-elle ? Autant de questions traitées dans ces pages, à partir de contributions d’une jeune génération de chercheurs dont les travaux, parmi les plus novateurs, incarnent aujourd’hui une dynamique significative au sein des études cinématographiques et audiovisuelles. S’il y a urgence à étudier un monde qui semble disparaître et se transformer sous nos yeux, il est tout aussi urgent de s’attarder sur les modalités de la recherche, sur les outils méthodologiques et les sources à disposition.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Kira Kitsopanidou et Sébastien Layerle: Introduction
  • Martin Barnier: Prologue. Pour une histoire des appareils et des métiers du cinéma et de l’audiovisuel
  • Première partie Machines et gestes techniques
  • Benoît Turquety: Histoire des machines / histoire des techniques : à partir de Bolex
  • Stéphane Tralongo: Voyages aériens en images : sources et objets pour une histoire du cinéma utilitaire
  • Dominique Willoughby: La manufacture mondialisée de l’animation : Motion Makers, ouvriers et petites mains de l’intervalle
  • Réjane Hamus-Vallée: Norman O. Dawn, créateur d’effets spéciaux : de la technique au métier
  • Deuxième partie Les métiers du cinéma et leurs évolutions
  • Alexandre Tsekenis: Décors et décorateurs de cinéma : approches et méthodes
  • Jacques Ayroles: À travers les collections de la Cinémathèque française
  • Caroline Renouard: Truquer les décors de cinéma en France : quelle visibilité des métiers et des techniques, d’hier à aujourd’hui ?
  • Priska Morrissey: Le regard des opérateurs nord-américains sur la pellicule panchromatique dans sa période d’expérimentation (1917–1923) : que nous apprend la presse technique et corporative ?
  • Bérénice Bonhomme: Questionner le passage au numérique : la vision du chef opérateur. Approches méthodologiques
  • Violette Libault: Changement technique et geste artistique : questionner le passage au son numérique à travers l’œuvre de Walter Murch
  • Troisième partie Faire l’histoire des techniques et des métiers
  • Frédéric Tabet: Le cinéma au prisme du magique, ou pour une réactivation de la figure du physicien-fantasmagore
  • Morgan Lefeuvre: Les techniciens et ouvriers des studios dans les années 1930 : enjeux et limites d’une histoire générale des métiers de la production cinématographique
  • Lauren Benoit: Faire l’histoire du métier de scripte à partir de ses documents de travail
  • Marie-Charlotte Téchené: Aux origines de l’Institut des hautes études cinématographiques. De la création du Centre artistique et technique des jeunes du cinéma (CATJC) aux conférences de Jean Epstein à l’IDHEC (1941–1945)
  • Marie Pruvost-Delaspre: Retrouver la trace du geste : caméra multiplane et profondeur de champ dans les films de la Tôei Dôga
  • Cécile Welker: Pour une histoire française des images de synthèse
  • Hélène Fleckinger: Épilogue. Réflexions sur une rematérialisation du cinéma par ses techniques
  • Bibliographie
  • Résumés / Abstracts
  • Auteurs / Autrices

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Introduction

Kira Kitsopanidou et Sébastien Layerle

La réflexion méthodologique est au cœur de cet ouvrage qui rassemble les contributions de jeunes chercheurs dont les travaux, parmi les plus innovants, témoignent d’une dynamique significative au sein des études cinématographiques et audiovisuelles en France. La principale ambition de ce livre est de conjuguer, à partir de terrains d’exploration divers, les apports des approches anthropologiques, historiques, sociologiques, économiques et esthétiques pour penser la recherche sur les métiers et les techniques du cinéma et de l’audiovisuel. Une série de programmes scientifiques à dimension collective et pluridisciplinaire a vu le jour ces dernières années, qui situent explicitement la question des métiers et des techniques au centre de leur démarche1. Ces initiatives, auxquelles s’ajoutent des séminaires d’enseignement et de recherche, constituent autant de chantiers qui concourent à la structuration, à l’organisation et à la visibilité des travaux sur les métiers et les techniques, rompant ainsi avec un relatif désintérêt pour ce champ d’étude.

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Une lente intégration des métiers et des techniques dans l’historiographie du cinéma

Dans l’avant-propos du numéro de la revue 1895 consacré à l’histoire des métiers du cinéma en France avant 19452, Priska Morrissey et Laurent Le Forestier mettent en évidence le long processus d’intégration des métiers et des techniques dans l’historiographie française du cinéma. L’histoire technologique a d’abord intéressé des praticiens, à l’image de Jean Vivié3 et de Michel Wyn4, mais aussi des pédagogues et des vulgarisateurs tels que Guillaume-Michel Coissac5 ou Maurice Noverre6, dont les travaux, pour les plus anciens, ont longtemps constitué en France les seules bases d’une histoire du cinéma encore à écrire. L’« auteurisme » cinéphile et son influence sur les études cinématographiques et les programmes d’enseignement à compter de la fin des années 1960 sont des facteurs souvent évoqués pour expliquer le retard avec lequel l’historiographie a pris en compte la dimension collective de la création cinématographique (l’équipe du film) et la matérialité du cinéma (au-delà des effets de la technique sur la seule dimension esthétique). Priska Morrissey et Laurent Le Forestier précisent toutefois que la « politique des auteurs » a aussi « permis la ré-émergence de “grands” collaborateurs de création avec ce cercle élargi d’auteurs »7, non sans échapper à une certaine tentation de les « panthéoniser » à leur tour. En témoigne le nombre croissant ←16 | 17→de monographies, de biographies et d’entretiens exposant, à partir des années 1970 et 1980, la méthode personnelle et la conception du métier de quelques grandes figures de collaborateurs – ces derniers jouant, par ailleurs, un rôle actif dans l’historicisation et la théorisation d’un art du métier qu’ils ont souvent enseigné. Une conséquence majeure de cette survalorisation du geste de l’auteur, individu par excellence, et de quelques personnalités exceptionnelles parmi les collaborateurs de création, est la quasi-invisibilisation de nombreux métiers techniques, à commencer par les « petites mains » des plateaux et des laboratoires, pourtant essentiels à la fabrique et à la diffusion des films. Comme le note Yann Darré, « la division du travail dans le cinéma d’auteur reproduit la division sociale : on a remis poliment la technique à sa place, et les “travailleurs” hors champ. »8

L’indifférence manifeste à l’égard des métiers techniques transparaît de manière tout aussi flagrante dans les études consacrées à la télévision, en particulier dans les approches historiques. Lorsque la sociologie du travail a commencé à s’intéresser aux professions de la télévision dans les années 1990, l’attention des chercheurs s’est portée prioritairement vers les métiers plus artistiques ou se situant au sommet de la « fabrique télévisuelle » (scénaristes, producteurs, présentateurs, animateurs, entre autres9). Les métiers plus techniques, importés d’autres secteurs d’activité et représentant la grande masse des effectifs, n’ont guère suscité l’intérêt des chercheurs. Ces derniers ont généralement reconduit des hiérarchies établies dès les débuts de la télévision entre des métiers technico-artistiques et de production, souvent issus du cinéma (opérateurs, scriptes, monteurs), et des métiers proprement techniques (ingénieurs, techniciens d’exploitation). Plus récemment, la recherche s’est surtout concentrée sur l’histoire politique de la télévision, les programmes et leur production. L’importance accordée à ces deux derniers aspects témoigne là encore d’une démarche héritée de la tradition auteuriste, soucieuse de mettre en avant les créateurs et les contenus. Comme pour le cinéma, l’étude de l’histoire des métiers de la télévision passe encore essentiellement par celle ←17 | 18→de quelques grandes figures, pères fondateurs (voir le travail de Sylvie Pierre sur Jean d’Arcy10) et réalisateurs de premier plan (voir la recherche d’Isabelle Danel consacrée à Marcel Bluwal11). Signalons toutefois, à l’instar du regain d’intérêt pour l’histoire orale du cinéma, la création à la fin des années 2000 de l’Atelier d’histoire orale par le Comité d’histoire de la télévision (aujourd’hui Observatoire de l’audiovisuel et du numérique) dont l’objectif est de collecter la mémoire de professionnels. En 2013, la revue VIEW (The Journal of European Television History and Culture) a, à son tour, consacré l’un de ses numéros aux « métiers de l’ombre de la télévision »12 (costumière, assistant réalisateur, doubleur, etc.).

Pour autant, la tradition auteuriste ne constitue pas l’unique raison de l’inertie, voire du retard français en la matière13. Le constat dressé en 1969 par Maurice Daumas, co-fondateur du Centre d’histoire des techniques du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), dans un article intitulé « L’histoire des techniques : son objet, ses limites, ses méthodes », trouve encore un écho de nos jours auprès des chercheurs spécialisés :

C’est un lieu commun de dire que l’histoire des techniques en est à ses débuts et procède encore sans méthode à l’exploration d’un domaine mal défini. Dans sa présente diversité, elle va de la biographie anecdotique à l’histoire économique pure, en passant par l’histoire évènementielle des inventions et de leur destin et la description technique des procédés et des machines. Cela ne forme pas une discipline très cohérente et toujours égale à elle-même.14

Dans ce même article, Maurice Daumas insiste, comme Lucien Febvre avant lui15, sur le caractère éminemment interdisciplinaire d’une ←18 | 19→telle histoire, la collaboration entre divers spécialistes (techniciens, historiens, documentalistes, archivistes) étant la mieux à même à en saisir la complexité et les spécificités. Il note toutefois que si les monographies, les biographies et les recherches spécialisées se sont multipliées, « il ne semble pas que chaque catégorie de spécialistes ait fait un effort pour sortir de son domaine propre, de son époque et parfois de son pays »16.

L’impact de la « révolution numérique » sur la recherche

La « révolution numérique »17 survenue à la fin des années 1990 a connu une accélération au tournant des années 2010 dans l’ensemble de la filière cinématographique. La disparition de l’argentique sur les tournages et dans le secteur de l’exploitation, l’ampleur des transformations auxquelles ont été confrontées les industries techniques en termes de modèle économique, d’activité professionnelle et d’écosystème des métiers, ont sensibilisé une partie de la communauté scientifique : des connaissances, des gestes techniques et des pratiques professionnelles étaient menacés de disparition ; des métiers se trouvaient redéfinis tandis que d’autres commençaient à émerger18. En 2008, la Cinémathèque française a donné un signal fort en créant un espace chargé de la collecte d’archives et de témoignages auprès de collaborateurs de création, de travailleurs du film et de sociétés techniques. Depuis lors, le Conservatoire des techniques cinématographiques joue un rôle essentiel dans la promotion et la diffusion de la recherche : cycles de conférences, colloques et journées d’études, accompagnement de chercheurs, numérisation et mise en ligne de catalogue d’appareils et de notices d’utilisation19. Dans ce contexte de transition, il est apparu nécessaire non seulement d’historiciser l’étude ←19 | 20→des techniques mais aussi de repenser l’écriture d’une telle histoire afin de s’inscrire en rupture avec les approches internalistes (l’histoire technique des techniques) longtemps critiquées. Dans un texte de 2015 sur l’histoire du cinéma à l’ère du numérique, la revue 1895 a souligné les problèmes « tout à la fois méthodologiques, matériels, mais aussi, pour une bonne partie, épistémologiques » auxquels se trouve confrontée l’histoire technique du cinéma20. Ses auteurs insistent sur le fait que son renouvellement passe par une approche systémique, articulant l’histoire sociale des métiers et l’histoire des innovations avec l’épistémologie des dispositifs de vision et d’audition qui permet, pour sa part, l’étude des discours et des cadres conceptuels rendant possibles ou orientant les usages des techniques à un moment donné. Les auteurs invitent aussi à « envisager les possibles circulations d’un pays à l’autre, les modes de réception et d’adaptation, les pratiques de bricolage induites par des situations d’inégalité de développement »21.

L’histoire culturelle et socio-économique comme la sociologie du travail créateur et des professions22 ont également nourri l’étude historique des métiers du cinéma et de l’audiovisuel. La parution de l’ouvrage de Kristian Feigelson, La fabrique filmique : métiers et professions23 et celle du numéro de 1895 sur l’histoire des métiers en France est significative de l’émergence, dans le domaine des études cinématographiques et audiovisuelles, d’une sociologie attentive aux dynamiques historiques et d’une historiographie s’enrichissant des apports de la sociologie des professions24. Les sociologues du travail manifestent un intérêt grandissant pour le milieu professionnel du cinéma (Gwénaëlle Rot sur les scriptes et les décorateurs, Laure de Verdalle sur les producteurs), ou pour celui de la télévision (Dominique Pasquier, Monique Dagnaud, Nicolas Brigaud-Robert). Dans l’introduction de son ouvrage The System ←20 | 21→of Professions, Andrew Abbott soutient quant à lui qu’il est impossible de faire l’histoire d’une profession indépendamment des professions qui l’entourent. Son approche, formulée à travers le concept d’« écologie professionnelle », permet de saisir l’unité, la substance et la cohérence d’une profession, les relations de concurrence avec d’autres professions qui structurent l’environnement professionnel et les interactions avec les arènes publiques et politico-juridiques25. Dans le champ qui nous concerne ici, historiciser les métiers du cinéma suppose nécessairement un décentrement disciplinaire (« une capacité, ou du moins la volonté, d’excéder la discipline “cinéma” ») ou méthodologique (« la façon d’interroger les objets »26), comme le notent Priska Morrissey et Laurent Le Forestier, pour saisir la dynamique des circulations et des héritages, la construction des savoirs et des réseaux professionnels à l’intersection de plusieurs arts ou médias27.

Dès lors, c’est un champ de recherche particulièrement fructueux qui semble se construire, parallèlement aux évolutions récentes de l’historiographie du cinéma et de celle de l’historiographie des techniques. Comme le constate Édouard Arnoldy, l’histoire des techniques cinématographiques et audiovisuelles « est maintenant sur des rails qui la conduisent à s’interroger sur elle-même, à s’inquiéter de ses objets et de ses méthodes »28 et à « excéder le cadre épistémologique de la discipline »29. Un courant particulièrement fécond de la recherche universitaire s’inscrit dans cette dernière tendance. Il s’intéresse à la question du genre sur le plan des représentations30 mais aussi, et de manière croissante, à la ←21 | 22→dimension professionnelle31, en particulier dans le domaine des études sur la télévision, comme le montrent le séminaire « Les professionnelles de la télévision : approches historiques et socio-culturelles », créé par Kira Kitsopanidou, Géraldine Poels et Catherine Gonnard (Université Paris 3, IRCAV/Ina) et le projet de recherche « Les scénaristes en collectifs : genre et reconnaissance professionnelle dans l’écriture des séries télévisées », conduit par Sarah Lecossais et Anne-Sophie Béliard (Université Paris 13, LABSIC/Université de Grenoble-Alpes, PACTE).

Des interfaces entre enseignement, recherche et monde professionnel

Ces dernières années ont vu se développer, dans plusieurs universités françaises dispensant des formations en études cinématographiques et audiovisuelles, des modules d’enseignement consacrés à l’histoire des métiers et des techniques du cinéma et de l’audiovisuel32. Ces démarches pédagogiques présentent une certaine nouveauté en ce qu’elles permettent non seulement de développer avec les étudiants des projets de recherche en archives au côté d’institutions patrimoniales en charge de leur collecte et de leur conservation (la Bibliothèque nationale de France, la Cinémathèque française, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, l’Inathèque), mais aussi d’inventer des points de contact et d’échange entre l’enseignement, la recherche académique et les actrices et acteurs du monde professionnel. Cette évolution est d’autant plus remarquable que la place accordée aux collaborateurs de création et aux métiers dits ←22 | 23→techniques est longtemps demeurée marginale, réservée principalement aux filières professionnalisantes, elles aussi en nombre croissant33. Ainsi, dès 2008, l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a-t-elle organisé, en lien avec ses enseignements de master, de nombreuses rencontres avec des professionnels dans le cadre de « Ciné-débats » au Forum des Images à Paris (les cycles « Cinéaste et producteur : un duo infernal » en 2008–2009 et « Les techniciens du cinéma, simples collaborateurs ou créateurs méconnus ? » en 2011–2012), puis de « Ciné-rencontres » à la Bibliothèque nationale de France (le cycle « Écrire pour le cinéma » en 2017). Depuis 2015, le séminaire « Outils, équipe et création cinématographique » accueille lui aussi, à l’École supérieure d’audiovisuel (ESAV) de l’Université de Toulouse, des artistes, des techniciens, des inventeurs et des chercheurs sur des sujets traitant, par exemple, des collaborateurs de création face à l’innovation technique, des modèles de production de l’animation traditionnelle ou des techniques d’enregistrement et de diffusion du son dans le cinéma des premiers temps34.

L’idée du présent ouvrage trouve précisément son origine dans les activités d’enseignement du master recherche en études cinématographiques et audiovisuelles de l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3. Le séminaire « Questions d’histoire des métiers et des techniques du cinéma et de l’audiovisuel » a été pensé, dès sa création en 2011, comme un espace de réflexion méthodologique et de diffusion de la recherche auprès des étudiants35. Son objectif n’est pas de faire l’éloge de la technique mais de mettre en lumière la place qu’elle occupe dans la création d’un film et dans l’évolution des formes cinématographiques et audiovisuelles. Qu’est-ce que faire l’histoire des métiers et des techniques? ←23 | 24→à travers quelles approches ? sur la base de quelles sources ? Au tournant des années 2010, ces questionnements de principe se sont vu reconfigurés au regard des effets immédiats et pour le moins tangibles de la « révolution numérique ». Les partenariats avec des institutions telles que l’Inathèque ou la Cinémathèque française ont ainsi joué un rôle décisif. En ouvrant ses fonds d’archives de techniciens et de « collaborateurs de création », la Bibliothèque de la Cinémathèque française a offert l’opportunité aux étudiants de contribuer concrètement à la recherche en développant, documents à l’appui ou à partir d’entretiens directs, des travaux sur les métiers de scripte, de chef opérateur, d’assistant réalisateur, de chef décorateur, d’attaché de presse ou de photographe de plateau. De même, des répertoires de sources et des banques de données ont été constituées à partir de la presse technique et professionnelle (Micro et caméra à l’Inathèque ; Le film français, La technique cinématographique, L’exploitation cinématographique à la Cinémathèque française), interrogeant, par exemple, des moments d’innovations techniques ou des discours portés sur telle activité professionnelle : comment les métiers évoquent-ils leur propre histoire ? à travers quels types de récits identitaires ? Un des prolongements immédiats du séminaire fut l’organisation en février 2014, avec l’association professionnelle Les Scriptes Associés, d’une journée d’études « Être scripte aujourd’hui : échanges sur un métier méconnu » à l’Université Paris 3.

S’il y a urgence à étudier un monde qui semble disparaître et se transformer sous nos yeux, il est tout aussi urgent de s’attarder sur les modalités de la recherche, sur les outils méthodologiques et les sources à disposition. C’est dans cette optique que cet ouvrage collectif, tiré d’un colloque organisé en 2016 à Paris36, a été pensé et conçu. Trois ensembles de textes, sur des sujets d’étude concrets, structurent son propos. Ils sont précédés d’un prologue qui s’attache à souligner le rôle moteur des institutions patrimoniales qui collectent, numérisent et donnent accès aux chercheurs une grande variété d’archives (Martin Barnier).

La première partie, intitulée « Machines et gestes techniques », livre une série de réflexions à partir de travaux de recherche consacrés successivement à l’histoire de la marque d’appareils cinématographiques ←24 | 25→Bolex et de ses liens avec les pratiques des cinéastes amateurs (Benoît Turquety), à l’intégration d’un « cinéma utilitaire » dans le secteur de l’aviation et des voyages aériens (Stéphane Tralongo), au devenir des « travailleurs de l’intervalle » des studios d’animation dans une industrie mondialisée et fortement concurrentielle (Dominique Willoughby) et au savoir-faire technique de l’un des pionniers des effets spéciaux aux États-Unis, Norman O. Dawn (Réjane Hamus-Vallée).

Les contributions de la deuxième partie s’intéressent à des métiers spécifiques du cinéma, aux mutations qu’ils ont eu à subir, depuis la « révolution numérique » notamment, ainsi qu’aux documents auxquels ils donnent accès : chefs décorateurs (Alexandre Tsekenis et Jacques Ayroles), spécialistes des effets visuels (Caroline Renouard), opérateurs de prises de vue, au temps du muet (Priska Morrissey) et dans le cinéma contemporain (Bérénice Bonhomme), sound designers (Violette Libault).

Dans la troisième et dernière partie du livre, les textes interrogent les modalités d’écriture d’une histoire des techniques et des métiers, envisagées du point de vue de l’histoire de l’art magique, des techniques et techniciens de spectacles illusionnistes (Frédéric Tabet), de catégories longtemps négligées comme celle des travailleurs de la production cinématographique (Morgan Lefeuvre), des pratiques du métier de scripte (Lauren Benoit), des processus d’innovation technique dans le cinéma d’animation (Marie Pruvost-Delaspre) ou la fabrication d’images de synthèse (Cécile Welker), de l’identité pédagogique d’une école d’enseignement professionnel telle que l’Institut des hautes études cinématographiques (Marie-Charlotte Téchené).

En guise d’épilogue, Hélène Fleckinger propose enfin une série de réflexions autour de l’opération théorique et pratique de « rematérialisation » du cinéma par ses techniques, en lien avec la pensée de l’historien et philosophe des sciences François Dagognet.

Toutes ces contributions sont portées par une même problématique : quels questionnements et quels problèmes méthodologiques la recherche sur les métiers et les techniques du cinéma et de l’audiovisuel soulève-t-elle, notamment au regard des mutations présentes ou déjà intervenues au sein de la filière cinématographique ? Souhaitons que, par leur exemple et les réflexions qu’ils proposent, les différents articles de ce livre offrent une visibilité à des travaux en cours et aide les étudiants à développer et à nourrir leurs propres recherches.

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1 Au niveau national, citons le programme La création collective au cinéma, sur l’évolution des pratiques de coopération au sein de l’équipe du film (<https://creationcollectiveaucinema.com/le-projet/>) et le projet ANR Beauviatech (<https://beauviatech.hypotheses.org), consacré à l’étude historique et esthétique des techniques audiovisuelles ; à un niveau international, le programme Technès, sur les techniques audiovisuelles et leurs usages (<http://technes.org/fr/Projet>) et Les Arts trompeurs : machines, magie, médias, sur l’archéologie des techniques du cinéma et de l’audiovisuel (<http://www.lesartstrompeurs.labex-arts-h2h.fr/fr>). Un premier colloque a eu lieu à Cerisy en août 2016 sur les rapports entre la magie et les médias, et un second spécifiquement sur la stéréoscopie en septembre 2016.

2 Priska Morrissey et Laurent Le Forestier, « Pour une histoire des métiers du cinéma, des origines à 1945 », 1895, revue d’histoire du cinéma, n° 65, AFRHC, 2011, p. 8–27.

3 Jean Vivié, Traité général de la technique du cinéma : 1. Historique et développement de la technique cinématographique, Paris, Bureau de presses et d’informations, 1946.

4 Voir notamment Le cinéma et ses techniques, Paris, Éditions techniques européennes, 1982, 345 p. [1965] et L’assistant réalisateur de télévision (avec Alain Blancel), IDHEC, 1958.

5 Militant catholique et fervent défenseur de l’éducation par le cinéma, Coissac a notamment écrit « Le cinéma, son passé, son présent, son avenir », dans Annuaire de la cinématographie. Paris, publications Ciné-journal, 1917–1918, p. 457–507 et Histoire du cinématographe des origines à nos jours, Paris, Cinéopse-Gauthier Villars, 1925.

Résumé des informations

Pages
318
Année de publication
2020
ISBN (PDF)
9782807612761
ISBN (ePUB)
9782807612778
ISBN (MOBI)
9782807612785
ISBN (Broché)
9782807607705
DOI
10.3726/b16260
Langue
français
Date de parution
2020 (Mai)
Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. 318 p., 37 ill. en couleurs, 21 ill. n/b.

Notes biographiques

Hélène Fleckinger (Éditeur de volume) Kira Kitsopanidou (Éditeur de volume) Sébastien Layerle (Éditeur de volume)

Hélène Fleckinger est maîtresse de conférences en études cinématographiques et audiovisuelles à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis (ESTCA). Kira Kitsopanidou est professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 (IRCAV). Elle travaille notamment sur l’économie de l’audiovisuel et l’histoire des métiers et des techniques du cinéma et de la télévision. Sébastien Layerle est maître de conférences en études cinématographiques et audiovisuelles à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 (IRCAV).

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