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Ballon Rond et Héros Modernes

Quand la littérature s’intéresse à la masculinité des terrains de football

de Julie Gaucher (Éditeur de volume)
©2016 Collections X, 187 Pages

Résumé

Si le sport a d’abord été considéré comme un « divertissement pour analphabètes », la littérature sportive émerge dès la fin du XIXe siècle et les collections qui lui sont dédiées se multiplient. En 1928, la Fédération française de football crée son concours littéraire. Dès la Première Guerre mondiale, les modes d’Outre-Manche s’exportent et le joueur de football devient une figure emblématique des années 1920. Avec le joueur de football, la littérature délimite les contours d’un nouvel idéal masculin. Dans les années 1970, le développement du spectacle sportif, la médiatisation des grandes rencontres et l’évidente démocratisation du sport invitent à repenser le sport comme un fait social total. La littérature ne reste pas sourde à cet appel : elle questionne les nouvelles formes du spectacle footballistique et le sens du jeu dans la société contemporaine. L’histoire du ballon rond mais également l’abondante production romanesque qui l’accompagne nous invitent à proposer ici une étude des discours littéraires sur le football et à sonder les modèles masculins qui y sont érigés.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction
  • En guise d’échauffement: quelques enjambées littéraires sur la pelouse des stades
  • Du sport en littérature
  • Dribbler le verbe, narrer le jeu: football et littérature
  • Le concours littéraire de la Fédération française de football: une initiative originale
  • Première partie: le joueur de football au regard de l’histoire du jeu
  • Sportif et soldat? Le jeu de balle dans la Grande Guerre
  • Football de clocher: des joueurs en soutane
  • La naissance du footballeur professionnel et l’idéal de l’amateur. Intransigeance de la littérature?
  • Le footballeur, nouvelle icône du star-system: une identité à vendre et une masculinité à marchander?
  • Deuxième partie: histoires de footballeurs, histoires intimes
  • L’enfance et le jeu
  • Etre homme!
  • Jeu de balle, jeu de charme: le footballeur séducteur?
  • Troisième partie: sur la touche?
  • Le remplaçant: une virilité sur la touche?
  • L’arbitre ou l’autorité faite homme
  • Du spectateur au hooligan
  • Conclusion
  • Liste des abréviations
  • Annexe: présentation des principaux textes du corpus
  • Bibliographie

Introduction

On dit à la balle de parler pour nous. Il arrive que notre pied lui dicte un cheminement qui ressemble à une jolie phrase (Dubath 2002: 66).

Sur cette moquette vivante et souple où l’on a d’instinct des pas de danse et des gestes d’artiste, […] les footballeurs écrivent dans une langue particulière des phrases peut-être incompréhensibles pour le commun des mortels, mais des phrases qui procurent une joie immense quand on en possède la clé et le sens (Crimon 2001: 134).

Balle au pied, le joueur de football s’exprime par une poétique dynamique où le mouvement se fait langage du corps et où la passe réalise une autre forme de dialogue (Vion 1977: 16). Dès 1924, Henry de Montherlant n’invite-t-il pas déjà à «prendre conscience de ce qu’il y a de poésie dans l’ensemble d’un après-midi où [l’on] a joué au ballon» ([1924] 1954: 17)? Si Roland Barthes envisage le sport comme «phénomène social et poétique» (2004: 74), romanciers et poètes lui reconnaissent parfois la force d’un «langage sublime qui dépasse les mots» (Crimon 2001: 135). Le football est alors compris comme un «langage ludique» où les «phases de jeu, sans en avoir l’air, sont déjà des phrases du livre» (ibid.). Alors que Jean-Louis Crimon utilise une paronymie pour rapprocher «phase» et «phrase», autrement dit «jeu» et «écriture», «football» et «littérature», son narrateur rêve d’«écrire un livre comme un match» (idem: 96):

Sûr, si j’écris un jour, j’écrirai vif, alerte, rapide, incisif et instantané. Phrases courtes, une-deux, relances immédiates, sans contrôle, déviations limpides, comme les Rémois du grand Stade de Reims (idem: 135).

J’inventerai le style rémois de l’écriture. Mots à la touche de balle (idem: 101).

Sous la plume de Philippe Delerm, le football devient à nouveau parole et la langue se réinvente dans le jeu de la balle, où les «passements de jambe» se font «virgules» ([2007] 2008: 55). Jean-Noël Blanc en vient d’ailleurs à se demander «si le foot (sic) ne parle pas d’écriture» (2002: 190). Quelques années avant lui, Bernard Pivot et Pierre Boncenne semblaient convenir qu’ ← 1 | 2 →

Dès lors, de la pelouse à la page, de la construction du jeu à l’écriture de l’œuvre littéraire, le langage semble ne changer que de mode d’expression1.

Ainsi, pour certains, le multiplex se fait livre (Delerm [2007] 2008: 80), les ondes radiophoniques se parcourant comme les pages d’un captivant roman et le commentaire «bien fait» d’une partie traduisant, en mots, «l’écriture du match» (Crimon 2001: 135). Avec le verbe, qui se surajoute à l’image, le jeu est déchiffré, sa langue particulière rendue intelligible: le mot «montre le match à ceux qui ne le voient pas, à ceux qui croient le voir et qui ne le voient pas» (Londeix 1972: 254). Des ondes radiophoniques à la page, l’écriture traduit le football en le transcrivant, c’est-à-dire en le réinventant: elle joue de ses représentations tout en les nourrissant en retour. Tout au long du XXe siècle, une écriture sportive se tisse donc dans les souvenirs du stade et investit le terrain du ballon rond, explorant le football comme réservoir d’images et de références. Riche d’une littérature allant de la poésie à la fiction (romans et nouvelles), des essais aux récits de l’intime (autobiographies et mémoires), des pièces de théâtre aux maximes ou aphorismes, le football s’accompagne d’un véritable univers textuel.

Or cet univers culturel, fait de littérature de fiction mais aussi d’essais, voire d’œuvres picturales (Chazaud 1998), se doit d’être envisagé à la lumière de l’histoire même du sport et du football. Il ne s’agit pas ici de proposer une histoire du football mais bien plutôt de mettre en évidence les différentes périodes et ruptures qui, d’un point de vue chronologique, ont eu une incidence sur la construction et la définition du joueur de football ainsi que sur ses représentations. Le texte, qu’il remplisse une fonction poétique, fictive, argumentative ou discursive, laisse en effet émerger les «résidus» de l’univers sociétal qui l’a vu naître, tout au moins le souvenir de ses fantasmes et de ses symboles (Guiral et Temime 1972). Ainsi, «les vrais débuts du football-association en France» trouvent, pour certains, ← 2 | 3 → leurs origines avec la fondation du Havre Athletic Club, en 1872 (Wahl [1990] 1996: 146). En France, le football est régenté dès 1893 par l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA); à l’échelle internationale, par la FIFA (Fédération internationale de football association) créée en 1904. Toutefois, avant la Première Guerre mondiale, les sportifs sont encore rares dans l’Hexagone où le football n’a alors pénétré que les zones urbaines et industrielles. Le conflit, parce qu’il permet la rencontre avec les troupes alliées et favorise les échanges interculturels, assure la diffusion et la démocratisation des sports anglais: «le sport en général et le football en particulier occupent une place particulière dans la culture de guerre» (Dietschy 2010: 115). Dès lors, la France de l’Entre-deux-guerres, bénéficiant des «dividendes sportifs de la Grande Guerre» (idem: 123), se pose comme résolument sportive. Le football y gagne son indépendance avec la création de la Fédération française de football association2 en 1919.

Alors que, dans les années 1920, «la géographie de la pratique recouvre [encore] celle du réseau ferré» (Wahl [1990] 1996: 55), en 1925 le football français compte plus de 100’000 licenciés (Dietschy 2010: 127)3. L’essor de la presse sportive et l’engouement pour les grandes compétitions transforment les rencontres dominicales en spectacles de masse (Lê-Germain et Tétart 2007). Certes, le premier championnat de France date de 1893/94, le football entre aux Jeux Olympiques en 1912 et la première édition de la Coupe de France (Coupe Charles-Simon) est jouée dès 1917. Mais c’est en 1930 que la Coupe du Monde voit le jour et, avec la reconnaissance du statut professionnel du joueur en 1932, la France se dote d’un championnat professionnel. C’est donc bien l’Entre-deux-guerres qui confirme la démocratisation et la mondialisation du football. En 1944, Gaston Bénac considère d’ailleurs que le football, «comme une torche enflammée tombant sur une meule de paille», s’est répandu «en peu de temps sur le monde, s’est propagé en quelques mois d’un pays à l’autre, conquérant la planète» (1944: 165). Si bien que le journaliste en vient à concevoir Jules Rimet, alors président des fédérations française et internationale de football association, comme «l’homme qui règne sur le plus grand nombre de races […] après le pape» (ibid.)! ← 3 | 4 →

Dès les années 1970, l’essor de la retransmission télévisuelle des matches et l’entrée des clubs dans l’ère commerciale instituent le football comme branche nouvelle de l’économie (Wahl [1990] 1996: 102) et transforment le joueur de football en figure d’un «star-system» (Minois 2005: 456-458). Aussi, de telles mutations invitent-elles à lire les textes en portant une attention particulière à leur contexte de production. Cette étude ne peut donc faire l’économie de la mise en lumière de points de rupture chronologiques.

Par ailleurs, le sport, qui plus est le football, est envisagé dans l’Entre-deux-guerres comme un espace de restauration de la virilité. Effectivement, au tournant du siècle, les modèles masculins font faillite et la littérature offre le témoignage d’une décadence dont le dandy devient le symbole. Nécessairement, celui-ci, à l’exemple du Cyril Graham d’Oscar Wilde ([1889] 1925), affiche un dédain marqué pour le sport, et méprise plus précisément le football. Si l’identité masculine est en «crise» au tournant du siècle (Maugue 2001), l’immédiat Après-guerre confirme et accentue ce malaise. Parce que le conflit a bousculé les frontières entre les sexes, a «déplacé la ligne de genre», la masculinité réclame une redéfinition: «la domination masculine qui s’affichait sans heurt comme ‹naturelle› doit être défendue» (Sohn 2009: 451). Méthodologiquement, nous empruntons à Connell (1995) sa typologie des masculinités et le concept de «masculinité hégémonique»: le terme désigne l’identité masculine dans sa forme dominante c’est-à-dire agressive, compétitive, forte et indépendante4. Autrement dit, elle se définit comme le modèle de référence, l’idéal viril d’une société, investi d’une valeur normative. Envisagée comme processus, cette identité de genre est conçue mobile et évolutive, en permanente construction et redéfinition. Transféré dans le champ des études littéraires, le concept5 suggère que la masculinité, immanquablement changeante et mouvante, se construit au fil des mots, s’établit au fur et à mesure que se déroule le fil narratif.

Résumé des informations

Pages
X, 187
Année de publication
2016
ISBN (PDF)
9783035109030
ISBN (MOBI)
9783035196870
ISBN (ePUB)
9783035196887
ISBN (Broché)
9783034320719
DOI
10.3726/978-3-0351-0903-0
Langue
français
Date de parution
2015 (Décembre)
Mots clés
Littérature football genre masculinité sport
Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York. Oxford, Wien, 2016. X, 187 p., 13 ill. n/b, 1 graph. n/b, 2 tabl. n/b

Notes biographiques

Julie Gaucher (Éditeur de volume)

Julie Gaucher, docteur en littérature française, est maître de conférences à l’université Lyon 1 (UFR STAPS) où elle enseigne l’histoire du sport. Elle est chercheuse au sein de l’équipe APV (Activités Physiques et Vulnérabilité) du Centre de Recherche et d’Innovation sur le Sport (CRIS).

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