Loading...

Journée d’études égéennes

Actes de la rencontre du 3 novembre 2012 à l’Université de Genève

by Julien Beck (Volume editor)
©2020 Edited Collection VIII, 112 Pages

Summary

Cet ouvrage réunit une série de travaux portant sur la préhistoire et la protohis-toire de la Grèce et des régions avoisinantes. Présentés le temps d’une journée à l’Université de Genève, ils ont pour but d’illustrer toute la diversité des études égéennes, que ce soit sur le plan de la méthode ou de l’étendue chronologique et géographique. Ils mêlent ainsi archéologie et philologie, dans un parcours qui va du Paléolithique au début de l’Âge du Fer et aborde Chypre, l’Anatolie ou encore l’Italie.

Table Of Contents

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Avant-propos
  • Les sociétés paléolithiques du monde égéen : approches et enjeux: (Georgia Kourtessi-Philippakis)
  • La datation de l’occupation néolithique pré-céramique de Kataliondas Kourvellos (Chypre) par l’étude de l’industrie lithique taillée: (Matthieu Honegger)
  • À la recherche d’un établissement néolithique submergé dans la baie de Kiladha (Argolide) : données anciennes et données nouvelles: (Julien Beck et Despina Koutsoumba)
  • Wo sind die altpalastzeitlichen Paläste?: (Robert C. Arndt)
  • Die mattbemalte sog. Lianokladi-Ware (Δ1β / Δ1γ) im Lichte der neuen Funde aus Platania bei Lamia: (Tobias Krapf)
  • Counting, labelling and sealing: a fresh look at Linear A administrative practices: (Barbara Montecchi)
  • Géographie sacrée en Argolide entre la fin de la période mycénienne et la fin de l’époque géométrique: (Ilaria Orsi)
  • Enigme et clarté – la position des textes mycéniens dans le contexte des études égéennes: (Catherine Trümpy)
  • Pylos polenta connection: (Michel Aberson et Patrizia Birchler Emery)
  • Les pierres dressées en Anatolie : des cultes lithiques hittites aux reliefs phrygiens: (Patrick Maxime Michel)
  • Titres parus dans la collection

← | VI→

Avant-propos

Il n’y a pas de tradition d’études égéennes en Suisse. Si certaines universités consacrent de temps à autre un cours ou un séminaire à la préhistoire et à la protohistoire de la Grèce, seule l’Université de Genève, à ma connaissance, dispense chaque année un enseignement de mycénien et d’archéologie égéenne.

D’où le souhait, dès le début des années 2010, de réunir quelques chercheurs suisses et étrangers autour de cette thématique commune, le temps d’une journée d’études égéennes. Cette dernière a eu lieu le 3 novembre 2012 à l’Université de Genève, sous la forme d’une douzaine de présentations, suivies de discussions, couvrant un large spectre chronologique et géographique. Ce sont les résultats de l’essentiel de ces travaux qui sont présentés ici, dans une version mise à jour.

Ainsi, les chapitres qui suivent concernent autant l’archéologie que la philologie, et les sujets traités ← | VII→ne se limitent pas au bassin égéen à proprement parler, mais s’étendent à Chypre et à l’Anatolie, et dans une moindre mesure à l’Italie. L’ordre est donné par la chronologie, du Paléolithique à l’Âge du Fer. Il est à noter, en l’absence de comité de lecture, que les auteurs sont pleinement responsables de leurs propos.

Il me reste à remercier chaleureusement tous les participants, ainsi que Lorenz Baumer, Patrizia Birchler Emery et Clara Fivaz pour leur aide précieuse dans l’organisation et le bon déroulement de la journée en question.

C’est encore à Lorenz Baumer, et au généreux soutien du Département des sciences de l’Antiquité et de la Maison de l’histoire de l’Université de Genève, que je dois la publication des actes de cette journée d’études égéennes dans la collection des Etudes genevoises sur l’Antiquité (EGeA).

Julien Beck

←0 | 1→

Georgia Kourtessi-Philippakis

Les sociétés paléolithiques du monde égéen : approches et enjeux

Introduction

En ce début de 21e siècle, l’étude des sociétés paléolithiques du monde égéen se trouve à un tournant. Dès les années 1960 et grâce à l’activité des écoles étrangères et l’éveil de la communauté archéologique grecque à la cause du Paléolithique, un grand nombre de sites en grotte, en abri sous roche et en plein air ont vu le jour, dont certains d’entre eux – une minorité, certes – ont été fouillés systématiquement (Kourtessi-Philippakis 1986 ; 2006 ; Runnels 1995 ; 2001). Ces sites répartis dans l’ensemble du pays (fig. 1), en laissant à l’heure actuelle très peu de régions exemptes de vestiges, confirment la présence humaine en Grèce au cours du Pléistocène depuis la Thrace jusqu’en Crète (Elefanti & Marshall 2015). Une quantité significative de données paléoanthropologiques et archéologiques associées à des séries de datations, qui commencent à s’étoffer de plus en plus, sont déjà récoltées. Leur étude – bien que parfois préliminaire ou souvent en cours – permet déjà d’établir le cadre chronologique au sein duquel les sociétés paléolithiques se sont développées depuis le tout premier peuplement jusqu’à ceux du Paléolithique supérieur final (Tourloukis & Harvati à paraître). L’inquiétude existentielle, qui s’était exprimée souvent auparavant par rapport à ce passé si lointain et peu perceptible, s’estompe au profit des résultats scientifiques produits par des recherches interdisciplinaires qui ont pris place au sein des collaborations internationales. Mais dans quelle mesure les données recueillies – déjà prises en compte lors des constructions chrono culturelles – peuvent-elles aussi s’inscrire dans une perspective anthropologique en nous permettant d’éclairer l’organisation et le mode de vie de ces premières sociétés du monde égéen? La présente étude souhaiterait apporter quelques éléments de réponse dans un cadre qui, comme nous le verrons, ne cesse d’évoluer.

Les sites et leur répartition régionale

Les sites paléolithiques connus sont répartis d’une manière inégale en Grèce. La Grèce du Nord, Thrace et Macédoine comprise, s’étendant du fleuve Evros jusqu’aux sommets du Pinde, est marquée par une relative pénurie de vestiges. Cette pénurie, soulignée pour la première fois au cours des années 1960 (Dakaris et al. 1964), a conduit une équipe anglaise sur place à quitter la région au bénéfice de l’Epire voisine. Des prospections qui ont eu lieu au cours des décennies suivantes en Macédoine et en Thrace n’ont pas beaucoup modifié l’image du peuplement paléolithique de la région (Kourtessi-Philippakis 1993 ; Harvati et al. 2008 ; Amermann et al. 1999). Des fouilles, comme celles qui ont eu lieu dans la grotte de Maara, près des sources du fleuve Anghitis (Trantalidou 1989) ou encore dans des sites de plein air du Pinde (Efstratiou et al. 2011) se sont avérées prometteuses tout en étant d’une portée limitée. Enfin, la question de l’occupation ←1 | 2→humaine de la grotte de Pétralona en Chalcidique, où un crâne d’Homo heidelbergensis (daté entre 15 et 250/350 BP) avait été trouvé (Kokkoros & Kanellis 1960), demeure encore ouverte.

En revanche, en Grèce occidentale, les témoins abondent. Bien entendu, l’Epire est la région avec la plus longue tradition en matière de recherches sur le Paléolithique puisque celles-ci ont commencé au cours des années 1960 et se poursuivent jusqu’à nos jours. Des fouilles ont eu lieu dans plusieurs grottes et abris sous roche comme Asprochaliko, Kastritsa, Kleidi, Boila, Megalakkos. Des sites de plein air, dont le nombre dépasse largement les deux centaines (Elefanti & Marshall 2015), ont vu le jour lors des prospections ou à l’occasion des travaux d’aménagement comme le tracé de l’autoroute Egnatia qui relie la Thrace au port d’Igoumenitsa. En Thesprotie, deux projets récents, celui de l’Institut finlandais (Forsen et al. 2016) et celui entrepris dans le bassin du Moyen Kalamas par l’Université d’Athènes sous la direction de l’auteur (Kourtessi-Philippakis à paraître) contribuent à l’enrichissement de la carte paléolithique de la région tout en formulant des problématiques nouvelles. Aux environs de Nicopolis, la prospection américaine a également mis au jour de nombreux sites (Runnels & Van Andel 2003). Mais cette abondance des vestiges paléolithiques ne s’arrête pas en Epire. Plus au sud, dans la péninsule de Plaghia, en Etoloacarnanie, une prospection allemande a confirmé ce peuplement dense (communication personnelle), qui se poursuit en Péloponnèse occidental (Chavaillon 1967 ; 1969; Darlas 1989).

Dans les îles ioniennes le peuplement semble être aussi riche que celui du continent et ce pour plusieurs raisons (Kourtessi-Philippakis 1999 ; 2011). Sur le plan paléogéographique d’abord, certaines îles ioniennes, étant restées rattachées au continent pendant les périodes de baisse du niveau de la mer (Lambeck 1996), ont fait partie intégrante de ce dernier et en même temps du territoire de subsistance des hommes paléolithiques. Sur le plan de l’activité archéologique, ensuite, et bien qu’il n’y ait eu qu’une seule fouille paléolithique, celle de la grotte de Grava à Corfou (Sordinas 1969), l’archipel ionien a connu de nombreuses recherches sur le terrain de portée variable allant de la récolte des vestiges, essentiellement lithiques, jusqu’à des prospections plus systématiques comme celle qui a eu lieu à Zakynthos (Van Wijngaarden et al. 2013) ou encore plus récemment à Méganissi (Galanidou 2015). Même si les études du matériel lithique récolté sont toujours en cours, il est évident que le nombre de sites paléolithiques est en nette augmentation. Le fait, enfin, que les îles ioniennes partagent le même substratum lithologique avec la Grèce occidentale, en se situant dans des zones riches en matières premières siliceuses d’excellente qualité, est un élément en faveur d’un peuplement paléolithique.

La Thessalie apparaît riche en sites de plein air, localisés soit tout au long du cours du fleuve Pinios, soit dans des régions plus éloignées de celui-ci (Milojcic 1965 ; Runnels & Van Andel 1993). La grotte de Théopétra qui a fait figure pendant longtemps de site isolé s’inscrit, au vu des travaux récents, dans un réseau plus dense d’implantation humaine (Kyparissi-Apostolika 2000). Notons, toutefois, que la Thessalie semble être une des régions qui, pour des raisons géomorphologiques, conserve les vestiges moins bien que d’autres (Tourloukis & Karkanas 2012). En Grèce centrale et notamment dans sa partie orientale deux grottes sur les abords du lac asséché de Kopais ont livré des vestiges paléolithiques. Il s’agit de l’abri de Seidi, d’une part, un des premiers sites découverts et fouillés au cours de l’occupation allemande (Kourtessi-Philippakis 1986) et de la grotte de Sarakinos, d’autre part, dont la fouille a mis au jour une longue séquence allant du Paléolithique moyen jusqu’à l’âge du Bronze (Kourtessi-Philippakis et al. 2009).

Le Péloponnèse a connu des fouilles récentes et systématiques dans des grottes dont certaines deviendront les sites majeurs du Paléolithique grec. Ces grottes se regroupent en deux régions distinctes. En Argolide, à côté de nombreux sites de plein air, nous retrouvons trois grottes, à savoir Franchthi, la première dans les années 1970 à livrer une longue séquence allant du Paléolithique moyen jusqu’au Néolithique, mettant surtout en évidence la présence des niveaux mésolithiques (Jacobsen 1973 ; Perlès 1987), Klissoura 1 (Koumouzelis et al. 1996 ; Kazanowska et al. ←2 | 3→2010) et Kephalari (Kourtessi-Philippakis 1986). Un deuxième groupement se forme dans le Péloponnèse méridional et notamment dans la péninsule du Magne, par le complexe des cavités d’Apidima (Pitsios 1999), les grottes de Kalamakia, Melitzia et Kolomnitsa (Darlas & De Lumley 1999, Darlas & Psathi 2016), et celle de Lakonis (Elefanti et al. 2008) situées à des courtes distances les unes des autres. Cet ensemble de grottes du Magne riche sur le plan archéologique, a conservé aussi de nombreux vestiges paléoanthropologiques attribués à l’Homme de Neandertal. Notons, enfin, les fouilles récentes dans le bassin de Megalopolis qui ont fait reculer le moment de l’apparition de l’homme en Grèce (Panagopoulou et al. 2015).

Les îles de la Mer Egée se sont rajoutées tardivement sur la carte de la Grèce paléolithique avec des découvertes qui s’échelonnent sur toute la durée de la période. Il y a eu tout d’abord les ramassages de surface de D. Théocharis sur l’île d’Alonissos, dans les Sporades (Panagopoulou et al. 2001). Puis la découverte des mines d’ocre de Tzines dans l’île de Thasos, dont la fréquentation remonte au Paléolithique supérieur, d’après des restes archéozoologiques associés à une datation radiocarbone (Koukouli-Chryssanthaki & Weisgerber 1997). Les découvertes et les fouilles qui ont suivi dans deux îles de la partie orientale de la Mer Egée cette fois-ci, celle de Lesvos et celle de Limnos, présentent un intérêt particulier, de par leurs vestiges de l’Acheuléen (Galanidou et al. 2013), d’une part et de l’Epigravettien (Efstratiou et al. 2013) de l’autre. Quant à la Crète, les découvertes de Plakias (Strasser et al. 2011) apportent des informations qui pourront éclairer la question du peuplement ancien dans une perspective insulaire à l’échelle de la Méditerranée orientale.

Le cadre chrono culturel

Bien que le Paléolithique ancien soit encore faiblement représenté à l’échelle du pays, notamment par des outils recueillis en surface, comme les bifaces de Kokkinopilos en Epire et celui de Palaiokastro en Macédoine occidentale, ou encore des pièces lithiques venant de Thessalie, d’Argolide (Tourloukis 2010) et de Crète, les fouilles à Marathoussa I en Arcadie (Panagopoulou et al. 2015) et à Rodafnidia dans l’ile de Lesvos (Galanidou et al. 2013) dessinent peu à peu un tableau plus précis de cet ancien peuplement dont les débuts remontent à 500–400.000 BP. Toutefois, la rareté des vestiges ne cesse de nous interroger : s’agit-il là d’un reflet de l’état de la recherche ou d’une réalité correspondant à un peuplement épars au cours de cette période ? Ou bien les restes de cette occupation ont-ils été détruits par les conditions naturelles défavorables qui ont régné ultérieurement? Si à l’heure actuelle nous ne sommes pas en mesure d’apporter une réponse, nous pouvons constater du moins que l’image de cet ancien peuplement épars, telle qu’elle apparaît en Egée, n’est pas très différente de celle que nous renvoie la péninsule balkanique.

Au Paléolithique moyen, dont les datations les plus anciennes remontent à 130.000 BP, le peuplement devient plus dense. Des vestiges lithiques stratifiés et datés proviennent de grottes comme celles de Maara en Macédoine orientale, d’Asprochaliko en Epire, de Théopétra en Thessalie, de Franchthi, de Kephalari et de Klissoura 1 en Argolide et, enfin, de Kalamakia, de Lakonis (III-Ib) et d’Apidima dans le Magne, en Péloponnèse méridional. Mais une importante quantité de matériel est issue surtout de sites de plein air répartis partout dans le pays. En Grèce occidentale, ces sites, particulièrement abondants, sont associés à des dépôts de terra rossa (fig. 2), paléosols érodés très riches en industries lithiques mais dépourvus de restes organiques à l’exemple de Kokkinopilos, site majeur de ce type (Van Andel 1998; Tourloukis et al. 2015). Le Moustérien reste la culture dominante au cours de cette période et l’homme de Neandertal, dont des restes (crânes, dents) de plusieurs individus ont été mis au jour dans la cavité Alpha du complexe d’Apidima (Pitsios 1999), à Lakonis (Harvati et al. 2009) et à Kalamakia (Harvati et al. 2013) est le principal auteur de ces industries. Ce Moustérien est caractérisé par la pratique des méthodes Levallois et discoϊde et comprend un outillage composé de bifaces, racloirs, pointes, coches et denticulés, couteaux ←3 | 4→à dos etc. Il apparaît sous des faciès régionaux variés (Kourtessi-Philippakis 1999), comme un Moustérien sur petits galets, qui se développe sur le littoral ionien et qui se rapproche de la tradition pontinienne connue en Italie centrale, ou encore un Moustérien à pointes foliacées bifaces, qui se rattache à des traditions balkaniques.

Le Paléolithique supérieur qui suit est mieux documenté. La question de la transition s’est posée relativement récemment grâce à la mise au jour des données issues de contextes stratigraphiques datés (Klissoura 1, Lakonis). Auparavant, bien que la séquence de nombreuses grottes nous ait livré des niveaux moustériens surmontés par ceux du Paléolithique supérieur, l’absence de données stratifiées et datées ne permettait pas de documenter ce sujet. A Klissoura 1 (couche V) une industrie de transition à pièces à dos courbe qui évoque l’Uluzzien, tel qu’il apparaît en Italie voisine, a été récoltée (Kazanowska et al. 2010) et datée à 40,000 BP (Kuhn 2010). La fouille dans le site de Lakonis (couches Ia) a mis au jour une industrie de transition aussi dont la production est située chronologiquement à l’intervalle 44,000–38,000 BP (Elefanti et al. 2008). Enfin, la grotte de Kolominitsa a livré à son tour un niveau de transition Paléolithique moyen/supérieur. Dans les sites de plein air, on rencontre abondamment des industries dites « mixtes » ou «transitionnelles», mais les conditions de collecte et les critères d’attribution chrono culturelle, uniquement techno morphologiques, ne leur permettent pas de contribuer au débat sur cette transition. De ces faits, la question de l’apparition de l’homme anatomiquement moderne (Homo sapiens) en Egée dans le cadre du processus du peuplement de l’Europe semble se préciser davantage. Il n’est pas néanmoins impossible que la Grèce, tout en se situant au carrefour des migrations humaines entre l’Orient et l’Occident, ait fonctionné comme un refuge pour les derniers Néandertaliens (Kozlowski 1992), comme cela a été le cas pour d’autres régions méditerranéennes et notamment la péninsule ibérique.

L’Aurignacien, première culture du Paléolithique supérieur, qui commence vers 40.000 BP est représenté uniquement dans la séquence de quatre grottes, celles de Franchthi (phase I), de Klissoura 1 (couches IIIa et IV) et de Kephalari en Argolide, et celle de Kolominitsa dans le Magne. Parmi les sites de plein air, des industries aurignaciennes ont été recueillies dans des localités qui ne semblent pas avoir été fréquentées auparavant par les Moustériens comme le site de Spilaion, en Epire (Runnels et al. 2003) et celui d’Elaiochori en Achaïe (Darlas 1999). L’occupation aurignacienne est caractérisée par des industries laminaires à grattoirs carénés et à museau, à lames aurignaciennes, à coches et denticulés, et à burins. Bien qu’elle soit encore éparse en Grèce, elle s’inscrit dans la tradition européenne.

Le Gravettien, dont les datations les plus anciennes remontent à 30–28.000 BP, est représenté dans la séquence d’Asprochaliko (couche 10), de Kastritsa (strates 3 et 5), dans certains niveaux de Théopétra (unit II11) et de Grava, dans les phases II et III de Franchthi (Adam 2007), la phase III de Klissoura I ainsi qu’à Melitzia et Tripsana (Darlas & Psathi 2016). Nous ne connaissons aucun site gravettien de plein air confirmé. La technologie de la pierre taillée s’oriente vers une production laminaire avec des nucléus à débitage unipolaire mais aussi bipolaire. Dans l’outillage dominent les lamelles à dos de types variés accompagnées de grattoirs sur lames retouchées, de burins, de microgravettes, de lamelles Dufour et de pièces à coches. L’industrie des matières dures animales, beaucoup moins connue, est composée d’aiguilles à chas, de pointes à base simple et de spatules (Adam & Kotjabopoulou 1997; Darlas & Psathi 2016). La détérioration des conditions climatiques en Europe semble avoir été à l’origine de migrations humaines vers des régions balkaniques et méditerranéennes qui, bénéficiant de conditions climatiques plus favorables et d’une disponibilité des ressources, auraient fonctionné comme des refuges. Mais si l’on en juge par les sites connus en Grèce, le peuplement humain au cours du Gravettien reste bref et discontinu. La fin du Gravettien coïncide avec le maximum glaciaire würmien (18.000 BP) et correspond à un hiatus observé dans la plupart des sites.

L’Epigravettien qui suit est très largement représenté et s’inscrit dans un contexte méditerranéen bien défini. Des niches écologiques variées sont exploitées et l’habitat humain s’organise ←4 | 5→maintenant autour des grottes et abris où cette culture a été identifiée, à savoir les couches supérieures de Kastritsa, les niveaux de Boila, de Kleidi et de Megalakkos en Epire, de Sarakinos et de Seidi en Grèce centrale, Schisto 1 en Attique, les phases IV, V et VI de Franchthi, les couches IIa-IIb de Klissoura 1, des grottes dans la baie d’Oitylo (Melitzia, Kastanis) et très probablement la cavité Gamma d’Apidima. Dans les îles égéennes, le site d’Ouriakos, situé dans la partie sud-est de Limnos et occupé à la fin de l’Epigravettien (10.000 BP), vient de se rajouter à cet ensemble. Dans les industries lithiques dominent toujours les lamelles à dos de types variés, suivies de grattoirs, de pièces à coches, de burins, de perçoirs, de troncatures et de microgravettes. Ce répertoire, connu depuis le Gravettien, est enrichi maintenant par les pointes à cran et les microlithes géométriques variés. La technique du microburin est bien attestée. Ces assemblages lithiques présentent, toutefois, une variabilité régionale et chronologique au sein de l’Epigravettien égéen qui mérite d’être approfondie.

L’habitat et le mode de vie

Nous disposons de très peu d’éléments pour aborder la question de l’habitat et du mode de vie au cours du Paléolithique ancien. L’installation humaine semble se faire essentiellement en plein air, mis à part la grotte de Petralona dont l’occupation par l’homme reste à confirmer. La découverte et la fouille dans le bassin de Megalopolis des restes d’un éléphant – Elephas (Palaeoloxodon) antiquus – et d’autres d’autres mammifères, carnivores, bovidés, cervidés, micromammifères, tortues et oiseaux, associés à un assemblage lithique sur éclats, a ouvert le débat sur l’exploitation de la faune par l’homme à une période aussi reculée et les stratégies de subsistance (chasse, dépeçage d’animaux morts).

Au cours du Paléolithique moyen l’homme s’installait dans des abris sous roche et des grottes mais aussi en plein air à des endroits stratégiques, importants pour sa subsistance. Le contrôle des voies de passage des animaux, associé à l’exploitation des ressources en eau, gibier et plantes, ainsi que la proximité de sources de matières lithiques (silex, jaspes…) constituent les priorités des hommes de Neandertal, dont le territoire de subsistance s’organiserait autour de sites servant de camps de base et s’appuierait sur l’exploitation d’un biotope riche et diversifié aux alentours sans parcourir de longues distances. Cette organisation dans l’espace et notamment l’existence des haltes de chasse ou de sites de boucherie et les liens entre eux n’est pas encore évidente en Grèce. Les grottes occupées par l’homme de Neandertal connues à ce jour se trouvent à l’intérieur des terres (Maara, Asprochaliko, Théopétra, Kephalari, Klissoura I) et à des altitudes plutôt moyennes (200 à 300 m.). D’autres sont actuellement littorales (Franchthti, Kalamakia, cavité Alpha d’Apidima, Lakonis), notamment dans le Péloponnèse, bien que la ligne de rivage ne corresponde pas à celle de l’époque pendant laquelle ces grottes étaient occupées. Les sites de plein air se répartissent aussi selon le même schéma mais certains des sites littoraux, à cause de l’immersion des plaines côtières lors de la remontée du niveau marin après 18,000 BP, ont disparu sous l’eau à tout jamais. Récemment, la localisation de campements de plein air comme celui de Samarina sur le Pinde, à des altitudes dépassant 1000 m., ouvre une nouvelle perspective quant à l’extension du territoire des Néandertaliens en Grèce et à leur mobilité. Certains sites, enfin, reconnus en tant que lieux de taille, comme celui d’Aghios Nikolaos à Zakynthos (Kourtessi-Philippakis & Sorel 1996), pourraient compléter ce schéma d’implantation de l’habitat et d’exploitation des ressources. Au vu de ces données, riches et diversifiées, nous constatons qu’il reste un gros travail à faire sur le réseau d’occupation du territoire par les néandertaliens, la nature exacte des sites et les relations entre eux.

Parmi les activités économiques pratiquées, la chasse est bien reconnue, mais les études archéoozoologiques faites sur du matériel issu de grottes sont en nombre limité et les sites de plein air, exempts de vestiges organiques, ne peuvent pas nous éclairer davantage. A Asprochaliko les animaux chassés étaient essentiellement les cerfs et le bouquetin. A Kalamakia la faune dominée par les cerfs, suivis du bouquetin et du sanglier, comprend aussi un nombre important d’ossements de tortue et quelques restes d’éléphants et de ←5 | 6→rhinocéros auxquels s’ajoutent des mollusques marins (Callista chione) que les hommes auraient façonnés en outils (Darlas & Psathi 2016), A Klissoura I les lièvres sont présents même s’ils n’ont pas été consommées d’une manière significative (Starkovich 2014). A côté des ressources animales, les ressources végétales ont été largement consommées par les Néandertaliens en Grèce. L’étude des traces d’usure des dents a démontré la consommation dans le Magne d’une variété de plantes, graines et noix (Harvati et al. 2013). A Theopetra les hommes ont récolté des plantes, des fruits, des graminées sauvages et des cypéracées (Tsartsidou et al. 2015).

Au cours du Paléolithique supérieur, l’homme continue à occuper les grottes et les abris sous roche, qui sont beaucoup plus nombreux à avoir livré des vestiges que pour la période précédente. Mais d’ores et déjà de nombreuses questions se posent. La première est celle de l’importance et de la nature de l’habitat de plein air. En effet, si lors des prospections il est facile d’identifier les industries moustériennes, il devient extrêmement complexe d’attribuer au Paléolithique supérieur, sans contexte stratifié, des industries laminaires et des types d’outils associés dont certains, comme les grattoirs sur lames retouchées, survivent au cours des périodes plus récentes. De ce fait, le nombre des sites de plein air apparaît aujourd’hui réduit (Elefanti & Marshall 2015). Il est important de définir si cela correspond à l’image réelle d’un peuplement ou non. La deuxième question concerne l’organisation de l’occupation du territoire. Le modèle de transhumance, qui a été proposé pendant les années 1960 en Epire par E. S. Higgs, a été remis en question depuis (Kourtessi-Philippakis 1983). Des travaux récents ont en effet démontré que les stratégies de subsistance en Epire étaient beaucoup plus complexes. Les groupes humains ne migraient pas seulement entre les zones occupées alternativement en hiver et en été mais ils exploitaient une variété de niches environnementales selon leur accessibilité et disponibilité (Bailey 1997). L’hypothèse d’une occupation saisonnière de certains grottes et abris et d’une organisation autour des sites généralistes ou spécialisés, comme l’abri de Kleidi, où la chasse exclusive du bouquetin et du chamois était la principale activité (Gamble 1997), a donné lieu à de nouvelles approches par le biais de la technologie lithique cette fois-ci (Elefanti 2008). La troisième question concerne l’aménagement de l’espace habité. L’analyse des structures d’habitat qui a été entreprise à Kastritsa et à Kleidi a pu éclairer ce sujet. La répartition différentielle des vestiges a mis au jour des aires d’activités (nourriture, débitage…) dans ces deux grottes ainsi qu’une zone de foyers située au fond de l’abri de Kleidi, qui semble avoir été intensément utilisée (Galanidou 1997).

Sur le plan économique, les hommes continuent à exploiter les ressources minérales, animales et végétales de leur environnement en ayant recours aux activités de chasse, de pêche et de cueillette déjà pratiquées. Les données qui concernent la chasse sont de loin les plus nombreuses. A titre d’exemple, Klissoura 1 a fourni des données intéressantes qui nous permettent de constater que les occupants de la grotte avaient diversifié leur alimentation en incluant des lièvres, des perdrix et d’autres oiseaux (Starkovich 2014). Quant à la consommation des végétaux la même grotte a livré des structures en terre cuite qui ont servi à rôtir des graines de céréales. Mais en règle générale, les conditions de fouille et de collecte de matériel, souvent anciennes, ou encore l’état préliminaire des études font que nous manquons d’informations sur la densité des ossements dans l’espace fouillé, la représentation des espèces sur un plan saisonnier, et le degré d’utilisation et de conservation des ossements. En d’autres termes nous ne sommes pas en mesure de distinguer toujours si les restes osseux sont des restes d’alimentation, de matière première pour la fabrication des outils ou encore de combustible. Il est difficile aussi de se prononcer sur les techniques cynégétiques ou sur la dimension économique de la chasse en relation avec les autres activités (cueillette, pêche).

Details

Pages
VIII, 112
Year
2020
ISBN (PDF)
9783034339551
ISBN (ePUB)
9783034339568
ISBN (MOBI)
9783034339575
ISBN (Softcover)
9783034337762
DOI
10.3726/b16404
Language
English
Publication date
2020 (December)
Keywords
Archéologie Préhistoire Protohistoire Philologie Grèce
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. VIII, 112 pp., 13 fig. col., 15 fig. b/w, 1 tables.

Biographical notes

Julien Beck (Volume editor)

Julien Beck est chargé de cours à l’Unité d’archéologie classique de l’Université de Genève. Il dirige plusieurs projets de recherche sur le terrain en Grèce et à Chypre. Il enseigne et publie, entre autres, dans le domaine de l’archéologie égéenne (pré- et protohistoire de la Grèce).

Previous

Title: Journée d’études égéennes