Georges Pompidou et une certaine idée de la France heureuse
Résumé
Les historiens, censés donc, selon ses souhaits, ne pas avoir trop de travail avec cette période, se trouvent désormais placés au contraire devant l’exploration de ce qui semblait aller de soi.
L’empirisme et le subjectivisme du questionnement s’effacent devant l’identification d’indicateurs dits « sérieux ». En la matière, l’histoire des représentations s’adosse au chapitre d’une solide histoire des modernités matérielles. Il reste que l’on ne tombe pas amoureux d’une croissance économique et que le bonheur national n’est pas que la somme de vies heureuses égoïstes et insouciantes… L’analyse de la place laissée par un Président, certes en majesté, mais discret et non intrusif, permet de réinterpréter les canons d’un bonheur privé susceptible d’être ressenti par chaque citoyen. Ce dont la France pompidolienne hérite, ce qu’elle porte de neuf, de durable, ce qu’elle rend plus accessible et ce qu’elle va léguer par la suite, voilà les perspectives que ce livre entend explorer au cours d’une réflexion collective nourrie par la confrontation avec des acteurs.
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Introductions
- Georges Pompidou et une certaine idée de la France heureuse. Repères introductifs (Mathieu Flonneau)
- Le bonheur, « idée neuve » dans la France pompidolienne ? (Rémy Pawin)
- Les conceptions pompidoliennes du bonheur (Sabrina Tricaud)
- Les lieux du bonheur
- Les évolutions conceptuelles du projet urbain dans les années 1960-1970 (Rémi Baudouï / Arnaud Dercelles)
- « Vivre c’est d’abord le logement ». Les années Pompidou ou la recherche de l’habitat social heureux (Thibault Tellier)
- « La vie en jaune » : le bonheur des années pompidoliennes au prisme de La Poste (Sébastien Richez)
- La france en ses régions
- Village de rêve ou rêve de village ? Une certaine idée du bonheur en Bretagne dans les années 1970 au travers de la réanimation du patrimoine rural (Isabelle Nguyen)
- Du bonheur dans les mines de fer de Lorraine (Marjorie Micor)
- L’Auvergne vue par les Auvergnats à la fin des années 1960 : Quelles représentations face aux mutations de la France pompidolienne ? (Laurent Rieutort)
- Pratiques et vie quotidienne
- Les représentations du bonheur dans la presse féminine à travers trois titres, Femmes d’aujourd’hui, Confidences et ELLE (Isabelle Antonutti)
- Vivre heureux par le sport ! L’irradiation collective d’un sentiment par une pratique (Michaël Attali)
- Les années Pompidou, apogée d’une certaine idée du bonheur au volant ? (Éric Kocher-Marboeuf)
- Le tourisme populaire dans les années Pompidou : le bonheur pour tous ? (Sylvie / Pierre Guillaume)
- Contestations
- La croissance en question au début des années 1970 (Olivier Dard)
- L’avènement des Paradis artificiels dans la « France heureuse » : représentations filmiques de la banalisation des usages de drogues au cours des années Pompidou. La banalisation des stupéfiants dans la France heureuse : un paradoxe historiographique ? (Erwan Poiteau-Lagadec)
- Charlie Hebdo ou l’envers du bonheur des années Pompidou (Benoît Quinquis)
- L’Italie « malheureuse » qui regarde la France « heureuse » de Georges Pompidou (Michele Marchi)
- Épilogue
- Un autre Paris était-il possible ? La littérature urbaine par-delà Les années insulaires et Paris intérieur de Philippe Le Guillou (Philippe Le Guillou / Mathieu Flonneau)
- Conclusions (Robert Frank)
- Notices biographiques
- Index
- Titres de la collection
Georges Pompidou et une certaine idée de la France heureuse
Les peuples heureux n’ont pas d’histoire1.
La citation liminaire en exergue est peut-être trop connue. Rappel obligé, elle n’en conserve pas moins tout son intérêt car, lorsque Georges Pompidou s’exprimait en ces termes, il figeait par la même occasion une part de ce que la mémoire collective conserve en priorité de son septennat tronqué.
Les actes du « colloque bonheur » organisé en mars 2016 par l’Institut Georges Pompidou lui ressemblent. Sans doute en aurait-il conçu une légitime fierté et, également, serait-il interloqué par certaines lectures faites par ailleurs, moins équilibrées souvent, contestataires et à charge2, de ce moment de l’histoire de France qui a marqué une forme de stabilisation dans l’expansion et la prospérité, placées entre les orages du XXe siècle que furent les guerres et les crises économiques.
Bien plus largement que dans le cadre d’une affirmation d’opinions partisanes ou d’affiliations politiques traditionnelles, la « période » Pompidou – restons volontairement flou à ce stade – a été érigée par une forme de sagesse populaire en lieu de mémoire heureux de la France contemporaine. Pour un peu, les échos de cette histoire proche teintée de sépia moderne apaisant, apparaîtraient même déjà immuables malgré le fait que les couleurs pouvaient alors être franchement criardes, voire bleu3 comme une orange si l’on reprend les termes du poète Paul Éluard ! En fait, la palette chromatique se révélait alors bien plus large, enthousiasmante et ← 15 | 16 → contrastée, comme l’optimisme des designers pères des formes d’alors, qu’il s’agisse de Roger Tallon ou de Pierre Paulin, en témoigne encore. Au même titre, en littérature, existent désormais des déclinaisons réfléchissantes nombreuses, de Georges Perec en contemporain, à François Bon, François Rollin, Thomas Moralès, Aurélien Bellanger, Jean d’Ormesson, Michel Houellebecq, ou Philippe Le Guillou parmi d’autres plus récents.
Pour leur part, les historiens, censés donc selon les souhaits présidentiels, ne pas avoir trop de travail avec cette période, se trouvent dorénavant placés au contraire devant la riche exploration de ce qui semblait aller de soi. Plus généralement, la Cinquième République – ayant désormais son association d’historiens fondée au printemps 2017 – entre par conséquent dans l’âge de l’analyse, dénuée de toute naïveté complaisante.
Les temps pompidoliens sont-ils en passe de devenir une référence-cliché, comme d’autres périodes le sont pour le « déclin » ou le « retard » ? Reconnaissons-le, il y avait un enjeu à ce colloque, car le seul désenchantement désinvolte, abondamment pratiqué par une historiographie au second degré, ne fait pas nation, ni un « vivre-ensemble » suffisamment désirable, pour adopter une terminologie à la mode. Perçue depuis une époque présente enkystée dans le storytelling technocratique et communicationnel, au politiquement correct d’une platitude consternante, la période qui nous intéresse ici tranche. Bien entendu, les registres de la résignation ou de la déploration ne sauraient être les bons pour l’élaboration d’un discours scientifique, et si un certain passéisme nostalgique peut tenter les analystes, ces derniers durent y résister et y parvinrent.
Ultime moment heureux et cohérent d’un récit national encore perçu comme exceptionnel, avant que le président suivant – i.e. Valéry Giscard d’Estaing – n’engage la France dans la moyenne attristante de la normalité, les temps pompidoliens sont ceux, marqués par la dynamique singulière d’une société plus mobile, pour lesquels le mot de bonheur mérite d’être hasardé.
Ne serait-ce là qu’un mythe ?
En quête d’objectivité par-delà les couleurs et les ressentis : quelques questions
Avant que différents effets de brouillage n’interviennent et que la remise en question de la croissance, parfois très légitime, ne soit une règle, le bonheur sous Pompidou a bien eu une consistance. Ce qu’il convient de ← 16 | 17 → relativiser bien sûr et d’inscrire dans des réalités établies, ce à quoi s’attachent les articles suivants.
Répétons-le, vue depuis une époque acharnée au deuil de la croissance pratiqué de façon ambiguë par les adeptes d’un dénigrement parfois suspect, les temps pompidoliens du « printemps industriel des dix flamboyantes », selon l’expression de Bernard Esambert, interrogent l’observateur. Des considérations sur le bonheur restent-elles envisageables par nos temps qui courent ? N’y a-t-il pas quelque indécence à prétendre que cela pouvait « être mieux avant » ? Un tel colloque est-il autre chose qu’un moment intellectuel hors du temps et, finalement, de fantaisie – ce que la grande presse a du reste remarqué avec pertinence4 ? Quelle révision ou quelle confirmation apporter donc à cette lecture actuelle de plus en plus courante et pessimiste, qui, sans dédaigner la provocation, ferait, par un tour de passe-passe hasardeux, des « Trente Glorieuses », « trente ravageuses »5 ?
Le bonheur s’éprouve, de même que, de manière symétrique, le malheur mais en ce cas les choses ont sans doute plus d’évidence. L’occasion d’un colloque sur ce thème en apparence inconsistant et évanescent, mais en réalité très sensible était une forme de première. Il ne devait pas être simplement l’occasion de l’expression d’une nostalgie ou du passage en revue attristé d’un passé révolu. Quels critères pouvait-on retenir pour l’évaluation historique de ce sentiment réputé subjectif ? Les questions posées à un « âge d’or » visaient à éclairer sur la pérennité et la plénitude ← 17 | 18 → supposée mais naturellement fragile d’un « modèle français » édifié après la Seconde Guerre mondiale et assuré par la période gaullienne6.
En quête des « années bonheur » : enquêtes et enjeux
Les temps pompidoliens sont-ils en passe de devenir une référence-cliché comme d’autres périodes le sont pour le « déclin » ou le « retard » national ? Quelle vérité vraiment accorder à une société réputée plus mobile et heureuse – le mot mérite d’être hasardé – que ne peut l’être celle qui l’ont suivi et a posteriori la nôtre ?
À vrai dire, sans la réelle enquête menée tous azimuts dans les articles suivants, une période « apte au bonheur », au sens qu’Anatole France donnait avec ironie à la vie de ces imbéciles heureux peu regardants quant aux conséquences de leur existence « heureuse »7, ne mériterait sans doute pas tant d’honneur. Au croisement des représentations et des expériences, des ouvrages significatifs de l’historiographie contemporaine ont pour leur part récemment questionné la construction par la société civile et ses acteurs d’un sentiment diffus de bonheur et ce thème, enfin, était par coïncidence en 2016 d’une actualité scientifique particulièrement opportune8. Depuis l’ouvrage de Jean-Pierre Rioux en 2004, Au bonheur la France (Paris, Perrin), ← 18 | 19 → les études de Rémi Pawin (Histoire du bonheur en France depuis 1945, Paris, Laffont, 2013), Jean Vigreux (Croissance et contestations, 1958-1981, Paris, Seuil, 2014), encore Claudia Senik (L’économie du bonheur, Paris, Seuil, 2014) ou Jean-François Sirinelli, Génération sans pareille. Les baby-boomers de 1945 à nos jours (Paris, Tallandier, 2016) ont attiré l’attention sur la construction par la société civile et ses acteurs d’un sentiment diffus de bonheur durant les « Trente Glorieuses » désormais entrées dans les manuels et les contre-manuels d’histoire9.
Transversal, ce thème, à la fois large et précis, permettait un appel à communications ouvert non seulement sur l’histoire politique et institutionnelle, mais aussi sur d’autres disciplines (histoire culturelle, sociologie, histoire des idées, etc.). La grande affaire de la mesure du bonheur, dont l’édition remplit des rayons entiers de librairie, oblige à des détours et des ruses multiples. La tentation du repli sur la sphère privée, celles des bonheurs concurrentiels, cachés ou marginaux, les espoirs différenciés des classes d’âge, des minorités et des classes sociales rendent le sujet infiniment délicat et complexe.
Le lecteur le constatera, les adossements historiographiques qui se déploient au fil des six moments retenus dans ce livre sont multiples. Après trois textes introductifs de cadrage, sont questionnés « les lieux du bonheur », « la France en ses régions », « les pratiques de la vie quotidienne », « les contestations », puis, sont déroulées sous forme d’épilogue diverses remarques conclusives.
Les questions posées à un « âge d’or », dont l’homogénéité même pose question, visaient donc à éclairer sur la pérennité et la plénitude supposée mais naturellement fragile d’un « modèle français » constitué après la Seconde Guerre mondiale et assuré par la période gaullienne10. Ce dont la France pompidolienne héritait, ce qu’elle portait de neuf, de durable, ce qu’elle rendait plus accessible et ce qu’elle allait léguer par la suite : voilà les perspectives que ce colloque entendait explorer au cours d’une ← 19 | 20 → réflexion collective et de la confrontation avec certains de ses acteurs. Sans prétendre circonscrire toutes les problématiques soulevées par les riches articles à suivre, dans lesquels les effets de réel abondent, on peut espérer trouver dans cette somme quelques réponses à nos questionnements généraux initiaux.
L’empirisme et le subjectivisme des représentations se sont vite effacés devant l’identification d’indicateurs dits « sérieux » comme, par exemple, ceux d’une solide histoire des modernités matérielles. Il reste que l’on ne tombe pas amoureux d’une croissance économique et que le bonheur national n’est pas que la somme de vies heureuses égoïstes et insouciantes. Ce que l’on sait évidemment et qui n’est en rien propre à l’époque Pompidou.
Finalement, le lecteur en jugera, l’analyse de la place dans l’histoire laissée par un président, certes en majesté, mais discret et non intrusif, permet de réinterpréter les canons d’un bonheur privé susceptible d’être ressenti par chaque citoyen, tant pour hier que pour aujourd’hui.
1 Interview du président Georges Pompidou en 1969.
2 Cf. Étienne Davodeau, Benoît Collombet, Cher pays de notre enfance. Enquête sur les années de plomb de la Ve République, Paris, Futuropolis, 2015 et Jean-Marie Durand, 1977, année éclectique, Laffont, 2017.
3 Celui d’Yves Klein naturellement !
4 « Heureux comme un Français sous Pompidou », 24 décembre 2016, M le magazine du Monde, p. 12-16. Site web : http://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2016/12/23/heureux-comme-un-francais-sous-pompidou_5053221_4500055.html.
5 Céline Pessis, Sezin Topcu, Christophe Bonneuil (dir.), Une autre histoire des «Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après-guerre, Paris, La Découverte, 2013. Que l’on permette simplement de relever que Jean Fourastié dans son célèbre ouvrage de 1979 n’a jamais pour sa part fait preuve de la naïveté qui parfois lui est prêtée sur la fortune de sa formule. En effet, lorsqu’il se risquait à citer le terme de « bonheur », ce qu’il fit à plusieurs reprises au fil de ses ouvrages, il ne le faisait qu’avec mesure, voire scepticisme. Sur ce point : Jean et Françoise Fourastié, Histoire du confort, 1962 ; Jean Fourastié, La grande métamorphose du XXe siècle. Essais sur quelques problèmes de l’humanité d’aujourd’hui, Paris, PUF, 1962 ; et surtout, dans Des loisirs : pour quoi faire ? Paris, Casterman, 1970, cette citation : « L’homme, longtemps dominé par la nécessité du travail professionnel, absorbé par le souci de produire ce qui lui était indispensable pour subsister, a plus vécu par nécessité de ne pas mourir que par désir conscient de vivre. Si l’on a pu dire que le bonheur fut vers 1800 une idée neuve en Europe (et dans le monde), c’est effectivement parce que ce sont seulement les hommes qui commencent à s’affranchir de la lutte pour la vie qui s’inquiètent de leur bonheur. Peut-être comprendrons-nous d’ici un à deux siècles que le bonheur de l’humanité fut longtemps de ne pas avoir le temps de rechercher le bonheur ».
6 Le comité scientifique du colloque était composé d’Éric Bussière (professeur à l’Université Paris-Sorbonne, directeur du Labex EHNE), de Christine Manigand (professeur à l’Université Paris III – Sorbonne Nouvelle, présidente du Conseil scientifique de l’Institut Georges Pompidou), d’Émilia Robin (directrice des études à l’Institut Georges Pompidou) et de Mathieu Flonneau (maître de conférences, Université Paris I Panthéon-Sorbonne). Site web : http://www.georgespompidou.org/sites/default/files/documents/programme_colloque_bonheur.pdf. Rappelons au passage le plaisir pris collectivement à l’organisation du « plus beau colloque de l’année 2016 », d’après L’Opinion (site web : http://www.lopinion.fr/edition/politique/pompidou-quand-france-etait-heureuse-99731) et l’allégresse pacifique et presqu’intempestive de journées passées par la trentaine d’intervenants, présidents de séance et grands témoins compris, à proximité de la chaleur du parvis de Beaubourg même par temps de pluie et de grève !
7 Un écho contemporain en rapport direct avec notre période mérite d’être cité : « J’en reviens au cœur du mystère : cette France des années 1950, avec son optimisme, son énergie, sa foi en l’avenir, la légère connerie que tout cela implique ». Michel Houellebecq, entretien avec Bernard-Henri Levy, Ennemis publics, Paris, Flammarion/Grasset, 2008.
Résumé des informations
- Pages
- 304
- Année de publication
- 2018
- ISBN (PDF)
- 9782807608467
- ISBN (ePUB)
- 9782807608474
- ISBN (MOBI)
- 9782807608481
- ISBN (Broché)
- 9782807608450
- DOI
- 10.3726/b14314
- Langue
- français
- Date de parution
- 2018 (Août)
- Mots clés
- Pompidou bonheur France
- Publié
- Bruxelles, Bern, Berlin, New York, Oxford, Wien, 2018. 304 p.
- Sécurité des produits
- Peter Lang Group AG