Aménagement rural et qualification territoriale
Les indications géographiques en France et en Europe
Résumé
Ce livre aborde successivement les questions des trajectoires de la qualification et des ressources territoriales à partir de terrains français « englobés » pour partie dans des logiques métropolitaines. Plus largement, l’action publique locale montre que la qualité est aujourd’hui attendue et réclamée par la société et conditionne souvent la mise en œuvre de solutions spécifiques d’aménagement des espaces. Tout en mobilisant une approche interdisciplinaire, cette étude contribue à élargir le champ de l’aménagement de l’espace en incluant les questions de la connaissance, mais aussi de la cognition spatiale à travers différents statuts de l’espace rural, dans des contextes économiques et géographiques variées.
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Sommaire
- Introduction
- Partie I: Qualité, ressources et territoires au prisme de la qualification
- I) Qualité, ressource et territoire : un triptyque à enjeux ?
- II) Les instruments de la qualification aux prismes de l’aménagement du territoire
- Conclusion de la partie I
- Partie II: Quelles sont les formes spatiales de la mise en œuvre de la qualification territoriale ?
- I) De la dimension spatiale des politiques de labellisation à leurs inscriptions territoriales
- II) Politiques de labellisation et territoires : de nouvelles formes d’interactions
- Conclusion de la partie II
- Partie III: La qualification territoriale : quelle place dans le développement local
- I) Jeux d’acteurs et mobilisations de ressources
- II) Les stratégies locales de la qualification : vers un aménagement qualitatif de l’espace
- Conclusion de la partie III
- Conclusion
- Bibliographie
- Tables
- Table des matières
- Titres de la collection
Dans un contexte général de transformation et de recomposition des territoires ruraux1, on constate qu’il n’existe pas au niveau européen de processus de convergence de trajectoire des territoires ruraux au sens strict, mais bien de forts contrastes spatiaux2. Cette complexité de la ruralité s’accompagne d’une diversification des systèmes et des dynamiques agricoles à travers la mobilisation de nouvelles ressources dont tire parti la qualité des produits agroalimentaires. La politique de qualité qui est menée en France et en Europe occidentale est ainsi le corollaire de l’émergence de nouvelles formes de ruralité et des conséquences du modèle fordiste et de ses effets aussi bien en termes économiques, sociaux, spatiaux qu’environnementaux. En effet, l’émergence de la qualité agroalimentaire est à relier aux grandes transformations contemporaines qui contribuent à augmenter l’incertitude sur les définitions du produit, avec pour conséquence de faire de la qualité « un enjeu socio-économique de première importance dans les économies actuelles »3. Même si les préoccupations en matière de qualité sont très anciennes4, les produits sous signe officiel de qualité et d’origine vont connaître une véritable expansion à partir des années 1980. Ce que l’on nomme qualité est d’ailleurs assez complexe, mais elle peut être regroupée en deux grandes familles : la qualité générique, qui fait appel à des standards et donc à des règles objectivées (ex. normes sanitaires, agriculture biologique) et la qualité spécifique, porteuse de caractéristiques qui lui sont propres, localisées et non reproductibles comme c’est le cas des produits liés au terroir. Les conditions de son émergence peuvent être entendues du ← 9 | 10 → point de vue de la construction territoriale du produit ou de la filière de qualité (analyse en termes d’acteurs et de ressources), mais aussi du point de vue du « contexte agricole », en termes de structures d’exploitation, d’orientation, etc., dans lequel la qualité émerge. Dans un monde marqué par une différenciation accrue des territoires, la construction de la qualité peut émerger au sein de territoires marginalisés qui sont à la recherche de leviers de développement renouvelés.
Ces territoires peuvent être caractérisés par leur capacité d’adaptation face à la globalisation, et par la manière dont ils organisent leurs ressources. De fait, malgré certaines grandes mutations convergentes dans les espaces ruraux comme la baisse de l’activité agricole, la tertiarisation des activités…, depuis les années 1980, on assiste à une complexification et à une différenciation accrues des territoires, notamment autour de la qualité, dans des contextes régionaux et nationaux extrêmement divers. C’est pourquoi aujourd’hui, pour percevoir les enjeux en termes de développement et de qualification territoriale, de préservation de ressources, de recomposition territoriale, et les effets de levier qu’ils représentent, le regard sur la problématique de la qualité doit continuer à être renouvelé, notamment à une échelle plus large que le local. Dans cet objectif, nous proposons une démarche à l’interface entre l’aménagement rural, la géographie rurale et l’économie régionale afin de confronter la question de la qualité à celle du développement de ces territoires ruraux. Replacer la qualité dans un objectif d’aménagement doit nous permettre d’interroger de manière nouvelle les conditions d’émergence de la qualification.
La qualité est souvent attendue par la société, à la fois dans les actes de consommation mais aussi dans beaucoup d’autres circonstances qui traduisent parfois des inquiétudes chez nos concitoyens. Elle ne cesse d’être affichée par les médias, évoquée chez les industriels ou par les entreprises qui légitiment leur comportement ou leur action économique ou de production dans un contexte de durabilité et de protection de l’environnement. Il y a une frontière entre une pure invocation verbale chez les acteurs et une réelle amélioration des biens, des services ou des comportements, cette frontière peut être ténue ou au contraire, vaste et donc créant des sources d’ambiguïté. Cependant, la qualité est une préoccupation des consommateurs, des entreprises ou des États pour au moins trois raisons :
Premièrement, l’accroissement de la richesse des nations a rendu les consommateurs ou les usagers plus exigeants quant à leurs possibilités ← 10 | 11 → d’achat ; les modes et leurs niveaux de vie s’entremêlent pour former une « qualité de vie ». La qualité de vie est une notion relative, c’est un concept « différentiel » puisque les individus n’y intègrent pas les mêmes choses. En fonction de nos expériences, de notre vécu, la qualité de vie peut se construire. Ou plus précisément, ce que l’on juge comme entrant dans la qualité de vie ou non peut être arbitré. Tout se passe comme si, initialement en tout cas, la qualité de vie était commune à chacun. C’est une valeur intrinsèque. Par la suite, les choses changent et se transforment et nous ne concevons plus, individuellement les uns et les autres, la même « qualité de vie ». Il y a, en quelque sorte, des mondes multiples entre chaque individu. Avec le temps, ces frontières se dessinent et nous aurions, semble-t-il, un domaine dans lequel l’acceptation ou le rejet des modes de vie et des niveaux de vie opèrent. On peut même se demander si elle n’est pas fonction de « l’intelligibilité » que l’on accorde à son vécu et aux territoires que l’on foule. Selon le niveau de formation, d’éducation que l’on aura, la qualité de vie peut être une représentation et devenir une quête sans fin alors que c’est peut-être simplement ce que l’on a sous les yeux quotidiennement. Est-ce une conscience de ce que l’on est dans son milieu, dans son environnement et qui s’offre à nous après chacune de nos actions, de nos réflexions. On peut supposer que la qualité de vie repose aussi sur la gestion de paradoxes, certains d’entre eux sont liés à la condition de la vie et de nos démarches dans la société. Enfin, la qualité de vie peut se confronter à son accessibilité, de multiples formes de « distance » vont se manifester ce qui conduira l’individu à rechercher à les atténuer au maximum.
Deuxièmement, l’extension de la taille des marchés via les processus d’intégration régionale et d’internationalisation des échanges a intensifié la concurrence entre les firmes, les poussant à privilégier la qualité. C’est un mécanisme bien connu et qui est probablement plus marquant aujourd’hui dans un contexte où les grandes régions économiques à l’échelle du monde doivent tirer profit de leur avantage dans ce domaine. C’est ainsi que l’on peut observer, au niveau européen, une spécialisation des économies nationales sur des échelles de qualité. L’Union européenne dans son ensemble se positionne dans les produits haut de gamme grâce notamment aux pays du Nord de l’Europe5 dans le domaine industriel. ← 11 | 12 →
Troisièmement, les sociétés modernes sont organisées en réseaux de production, de communication et de transports ce qui les rend dépendantes de la performance de ce réseau. Juran (1999)6, un des promoteurs de la notion de qualité totale, a pris l’exemple de son village natal de Roumanie. Pour lui, la qualité avait peu de sens dans son village natal de Roumanie. L’arrêt des transports publics ou de l’électricité ne posait aucun problème car « tout » était accessible dans le village et ses environs : il suffisait de marcher un peu. Dans son exemple, les individus étaient capables de compenser la défaillance des réseaux en s’adaptant à ces nouvelles situations. Avec l’essor de la technologie et des réseaux, « notre » dépendance aux risques de défaillance des produits et des services est devenue totale et c’est bien cette problématique qui est aujourd’hui centrale dans la perception de la qualité, qui n’est pas forcément identifiable a priori, mais qui devient compréhensible et identifiable a posteriori lorsqu’une défaillance d’un produit, d’un service se réalise dans un territoire.
Ainsi, la création de richesse s’est accompagnée d’une complexification et d’une fragilité des modes d’organisation et des échanges. Les stratégies autour de la qualité sont une des réponses pour endiguer cette fragilité. À l’aide de normes, de garanties, de contrats, les entreprises cherchent à développer des processus fiables de production, allant de leur approvisionnement en matières premières à l’usage fait par le consommateur de leur produit ou de leur service. En matière de réseaux, la normalisation est aussi de plus en plus importante afin d’éviter les blocages qui surviendraient à la suite d’un encombrement ou d’une rupture de réseaux.
La qualité est un concept multiforme7 et en même temps représente un trait commun à atteindre dans de nombreuses situations. La complexité de sa définition engendre une variété de composantes, notamment lorsqu’on parle de qualité alimentaire, celle-ci va se décliner en qualité sanitaire, qualité organoleptique, qualité nutritionnelle ou qualité d’usage par exemple. C’est bien une construction complexe qui fait appel à des volontés d’acteurs de converger vers cet objectif. La qualité est souvent amalgamée avec la question de la traçabilité qui est quelque chose de différent puisque c’est l’idée de construire un parcours depuis la matière ← 12 | 13 → première jusqu’à une consommation finale sans forcément garantir d’une qualité. La qualité a toujours une connotation positive marquant la valeur d’un élément, d’un objet avec une certaine capacité. Une qualité est aussi une caractéristique ou un ensemble de caractéristiques. Elle peut être aussi intrinsèque, l’objet possède une qualité indépendamment de toutes les autres caractéristiques, ou relationnelle, dans le sens où elle possède relativement à d’autres, des caractéristiques dans un ensemble possible de caractéristiques8.
Des définitions existent dans la littérature, mais nous allons simplement nous tourner vers deux définitions. Une première extraite du dictionnaire, l’édition de 1993 du Petit Robert, définit la qualité comme « ce qui fait qu’une chose est plus ou moins recommandable », ou encore comme « le degré plus ou moins élevé d’une échelle de valeurs pratiques ». Sur cette première définition, ce qui est marquant est que la qualité produit une relation sociale dans le sens où la chose qui est qualifiée est recommandée ou pas par une personne ou un individu, c’est ce qui engage cet individu. La qualité peut être la résultante d’un processus social, et donc une acceptation sociale. La seconde déclinaison revient à traiter la question des usages dans le sens où les valeurs pratiques constituent le résultat d’un processus de qualification et non pas un des éléments de composition de cette qualification.
Une autre définition à l’échelle internationale est l’International Organization for Standardization (ISO) qui la propose : « La qualité est l’ensemble des propriétés et caractéristiques d’un produit, d’un processus ou d’un service qui lui confère son aptitude à satisfaire des besoins implicites et explicites. » Les besoins explicites peuvent être traduits par des indicateurs quantitatifs, alors que les besoins implicites sont par définition non quantitatifs. Il y a donc, à travers la définition ISO, un degré d’interprétation des normes et des labels qui fait que la dimension implicite peut dominer au sein d’une société. Cela peut être le cas de la qualité de vie qui va être basée sur des jugements subjectifs qui ne peuvent pas ou difficilement être traduits par des données quantitatives.
Le point commun entre ces définitions est l’existence de classifications dépendantes du jugement des individus. On peut établir un classement en fonction de la qualité, du prestige ou de toute autre caractéristique considérée comme importante. Le terme de qualité recouvre donc ← 13 | 14 → diverses notions, qui varient selon le type de produits ou services, les contextes sociaux ou les périodes historiques considérées.
La qualité intègre donc une double composante, à la fois marchande et non marchande, qui peut se combiner. Dans sa dimension non marchande, la qualité peut englober des considérations multiples comme les valeurs environnementales, des valeurs sociales ou des valeurs en termes de connaissances qui vont faire qu’il est difficile d’estimer son importance dans le processus de qualification. Dans cette logique, on peut se poser la question suivante : comment intervient le territoire dans cette relation avec la qualité et qu’est-ce que le territoire apporte ?
À travers la problématique de la qualification territoriale, c’est bien de cela dont il s’agit lorsque l’on va interroger la relation entre territoires qualité et ressources. Dans cette introduction, il est difficile de définir la notion de qualification territoriale parce qu’elle fait l’objet d’une évolution dans le sens où les territoires ruraux ne sont plus les seuls à être sollicités par ce processus. Un nombre très significatif d’espaces, et on peut penser également aux espaces maritimes, font l’objet d’une qualification au titre de réserve marine de zones de protection des fonds marins et de leur littoral. C’est dire l’importance que représente aujourd’hui la qualification territoriale à la fois comme concept permettant de comprendre la façon dont les sociétés perçoivent les territoires aujourd’hui mais également en tant qu’instrument d’action publique qui pourrait à l’avenir, devenir opérationnel dans bon nombre de situations locales ou régionales.
Plus prudemment, la qualification territoriale peut être mobilisée en termes de concept mais aussi comme instruments de l’action publique afin de pouvoir réintroduire l’aménagement rural dans les enjeux de l’aménagement du territoire. La qualification territoriale rassemble un certain nombre de justifications :
– elle permet de comprendre la recomposition des activités rurales conduite par des logiques plus internes à l’espace, qui induisent, parfois, une autonomisation des territoires et le développement d’un modèle de ruralité plus spécifique ;
– elle est aussi un outil de gestion de la réoccupation des campagnes européennes car dans cette situation, les recompositions rurales contemporaines sont en cours et touchent l’espace européen dans son ensemble, de l’Ouest à l’Est comme du Sud au Nord ;
– elle permet également de rendre intelligibles les relations souvent complexes qui s’opèrent entre les espaces urbains et les espaces ← 14 | 15 → ruraux à travers les questions de mobilité et plus exactement, dans la reconstruction des territoires alimentaires de proximité.
Investir sur ce champ de la qualification territoriale doit permettre de synthétiser les débats de nombreux chercheurs qui aujourd’hui se penchent sur la problématique du développement des territoires. Selon nous, la qualification territoriale est une façon de faire du développement territorial9, car elle rencontre les mêmes interrogations que le développement territorial mais dans une synergie où la qualité devient l’élément pivot d’une forme de reconnaissance et de justifications du développement. On peut donc raisonnablement proposer notre contribution à une hypothèse plus large qui concerne « l’aménagement qualitatif de l’espace ». Cette formulation, qui reste minoritaire dans la communauté des aménageurs, rencontre un certain nombre de difficultés parce que l’aménagement est trop souvent encore perçu à travers des familles d’objets matériels qui couvrent nos étendues rurales, urbaines, ou maritimes.
Dans cet ouvrage, nous proposons une réflexion en trois temps :
Dans une première partie, intitulée « Qualité, ressources et territoires au prisme de la qualification », nous proposons une analyse du statut de l’espace dans la littérature notamment économique. L’articulation qualité/espace est primordiale dans l’interrogation et la problématique de l’aménagement, ce qui conduit les acteurs à arbitrer entre les territoires de la qualité et la qualité des territoires. Dans le domaine de l’alimentation, la place du territoire est plus marquante et les mutations des systèmes productifs agricoles dans leurs relations aux territoires engagent de nouvelles formes de configurations territoriales autour de l’alimentation. Les outils de la protection et de l’identification de la qualité qui amènent à de la qualification territoriale seront analysés en termes de modèles transférables. En observant notamment les dispositifs mis en œuvre aux échelles nationales et européennes et en précisant l’évolution et les tendances de la réglementation sur les indications géographiques, nous terminerons par les effets taches d’huile des formes d’indications géographiques et territoriales.
Résumé des informations
- Pages
- 282
- Année de publication
- 2018
- ISBN (PDF)
- 9782807605039
- ISBN (ePUB)
- 9782807605046
- ISBN (MOBI)
- 9782807605053
- ISBN (Broché)
- 9782807605022
- DOI
- 10.3726/b13327
- Langue
- français
- Date de parution
- 2018 (Février)
- Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
- Bruxelles, Bern, Berlin, New York, Oxford, Wien, 2018. 282 p., 18 tabl., 10 cartes, 23 ill.