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L’entre-deux imaginaire

Corps et création interculturels

de Mercedes Montoro Araque (Éditeur de volume) Carmen Alberdi Urquizu (Éditeur de volume)
©2016 Collections XIII, 212 Pages
Série: Modern French Identities, Volume 122

Résumé

« Quel plus beau mot en français, mais si modeste […] que ce verbe-ci : ‘entre-tenir’. Tenir de l’entre, tenir par l’entre, avoir de l’entre en mains. L’entretien du monde […] Ou l’entretien par la parole : chacun ouvre sa position et la déplie – la découvre – vis-à-vis de l’autre et l’active par lui […] on se rend compte enfin que c’est de l’entre de l’entre-nous – celui de l’‘intersubjectivité’– qu’il vient de la consistance aux sujets ».
Cette belle réflexion du philosophe François Jullien (2012) a été le point de départ de l’ouvrage que vous avez entre vos mains. Par sa réponse riche, variée et pluridisciplinaire au questionnement de l’entre-deux en sciences humaines – majoritairement dans le domaine francophone – l’ouvrage envisage de faire un pas en avant vers « l’à travers », dans la compréhension et l’interaction avec l’autre.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Sommaire
  • Avant-propos
  • Part I Rives langagières
  • Claude Fintz: L’intercorps de l’œuvre. La communauté imaginaire des corps, des œuvres et de la société
  • Jean-Michel Devésa: La dimension interstitielle du sens : dans les pleins et les « trous » du texte
  • Natalia Arregui Barragán: Créativité et traduction des métaphores zoomorphiques chez Yasmina Khadra : l’entre-deux traductologique
  • Carmen Alberdi Urquizu: L’entre-deux du dialogue filmique
  • Rafael Ruiz Álvarez: Le comédien face au personnage de Tartuffe aujourd’hui. Texte et corps dans l’entre-deux du langage scénique
  • Part II Rives artistiques
  • Corin Braga: Mundus et Mundus inversus : l’entre-deux des utopies
  • Anna Caiozzo: Le tapis, un entre-deux dans les miniatures de l’Orient médiéval. Quelques notes
  • Peter Collier: Chacun son Proust. Proust entre deux (ou plusieurs …) Albertine
  • José Antonio González Alcantud: Volonté de légende dans les confins du désert : Hubert Lyautey et Isabelle Eberhardt face à face dans la mise en scène d’Aïn-Sefra
  • Ilda Tomas: L’écriture de l’entre-deux : Ilarie Voronca
  • Mercedes Montoro Araque: Mythe spéculaire et mirage scriptural à la croisée des chemins : l’entre-deux chez S. Germain
  • CV Auteurs
  • Index des notions
  • Index de lieux
  • Index de noms propres
  • Series Index

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Avant-propos

Quel plus beau mot en français, mais si modeste […] que ce verbe-ci : « entre-tenir ». Tenir de l’entre, tenir par l’entre, avoir de l’entre en mains. L’entretien du monde : enfin on s’y met. Ou l’entretien par la parole : chacun ouvre sa position et la déplie – la découvre – vis-à-vis de l’autre et l’active par lui […] on se rend compte enfin que c’est de l’entre de l’entre-nous – celui de l’« intersubjectivité » – qu’il vient de la consistance aux sujets

JULLIEN, 2012 : 65

Que doit-on comprendre par l’entre-deux ? Des chercheurs réputés, spécialistes en littérature comparée, théorie de l’imaginaire, linguistique discursive, en théorie de la traduction ou en anthropologie tels que M. González Alcantud, Corin Braga, Anna Caiozzo, J.-M. Devésa, Claude Fintz, ou Peter Collier, ainsi que le groupe MITEMA de l’Université de Grenade tentent d’y apporter une réponse d’autant plus riche et variée qu’elle est pluridisciplinaire, en prenant comme point de départ essentiel deux concepts médiateurs proposés par le sinologue François Jullien dans son ouvrage L’écart et l’entre (2012). D’un côté, comme le titre de son ouvrage l’indique, l’entre-deux s’offre à nous en tant que concept exploratoire et fécond osant s’aventurer dans l’« écart » (Jullien, 2012 : 36) ; et de l’autre, il se prête également à cet « entre », « d’où et par où procède et se déploie tout avènement » : « l’entre de l’interstice » (Jullien, 2012 : 54–55). Dès lors, cet « entre » doit se lire, selon son ouvrage, non plus comme l’intermédiaire mais comme « l’à travers » (Jullien, 2012 : 55).

Le concept tel qu’il sera exploré ici, dans son double versant discursif et artistique – constituant en même temps l’ossature de l’ouvrage –, offre sans doute, la possibilité de mieux comprendre comment la créativité – comprise aussi bien en tant que production qu’en tant que réception dans le domaine de l’invention littéraire mais aussi dans celui des arts visuels, scéniques, voire ← VII | VIII → mobiliers – non seulement se rallie d’elle-même à l’imaginaire, mais aussi ouvre la voie à des pistes fécondes et exigeantes pour penser l’entre-deux et l’interculturalité. L’imaginaire n’était-il pas par ailleurs, aux dires du célèbre théoricien de l’imaginaire G. Durand, ce « lieu de l’entre-savoirs »1, et par conséquent, un espace, un intervalle, un écart ?

Claude Fintz débute cet ouvrage en formulant l’hypothèse que le « corps » fait lien avec la communauté par les racines de l’être, autrement dit, « que nous formons » tous, « un rhizome à la fois intersubjectif et intercorporel, qui œuvre à la (re)constitution permanente de l’être socio-communautaire » (Fintz, 2015 : 5). L’exploration de l’entre-deux envisagée par le chercheur de Grenoble révèle ainsi une idée ouverte du corps, dans le sens d’une « utopie communielle de la chair » où des relations de « similitude et de porosité réciproque » semblent se tisser constamment entre le corps, la société et l’œuvre. Tout en s’appuyant sur l’univers de Michaux, ou sur la « connexité technologique » établie par Maffesoli faisant émerger une corporéité élargie, Fintz parvient ainsi à élaborer magistralement une définition possible de l’« entre-deux » où corps, société et œuvre « se tiennent et font sens », incessamment, « en-deçà des significations indéfinitives et diachroniques qu’on leur confère » (ibid. : 6).

Grâce à sa formule « la dimension interstitielle du sens », Jean-Michel Devésa vise, quant à lui, à circonscrire l’insurmontable inadéquation du langage à partir d’œuvres littéraires de l’extrême contemporain. De cette manière, il contribue à mieux cerner un entre-deux caché dans les pleins et les trous du texte, ce « pas tout montré » ou ce « mi-dit » inhérents à toute représentation, qu’elle soit iconique ou langagière. Le professeur et écrivain bordelais souligne avec pertinence que « lire un texte équivaut à balayer la ← VIII | IX → chaîne signifiante qui le constitue, laquelle est informée comme une trame discontinue d’où une signification se détache davantage en raison du caractère discret du signe linguistique que par l’aptitude de celui-ci à composer des unités complexes cohérentes, et opère dans l’esprit du lecteur sur un mode musical, par conséquent interstitiel et segmenté » (Devésa, 2015 : 25). Il semble bien mettre aussi l’accent, sur les potentialités de cet entre-deux textuel reliant indéfiniment lecteur et écrivain, ce dernier, « moins voyant que médium », et aux dires de Sollers (2014 : 50), « corps musical qui résonne sur le moindre indice », « voyageur du Temps » (ibid.) précipitant dans son texte, « les traces de cette langue préexistante à lui sans laquelle il ne serait pas, tout comme ses lecteurs » (ibid. : 36).

L’analyse comparative des métaphores zoomorphiques dans les systèmes phraséologiques du français et de l’espagnol permet à Natalia Arregui Barragán une nouvelle perception de l’entre-deux, par le biais de la traduction : il est question par conséquent ici d’un « entre-deux traductologique » où l’oeuvre de Yasmina Khadra sert d’illustration, tout en acquérant une nouvelle dimension. L’écart entre deux langues, deux cultures, deux traditions, « dessine des espaces creux […] qu’il revient au traducteur de remplir, souvent au prix d’une déconstruction-recréation » (Arregui, 2015: 42). Médiateur entre deux mondes, le traducteur bâtit des ponts dont l’échafaudage s’apparente néanmoins pour lui « plutôt au fil d’un funambule » (ibid. : 53).

En aval, le concept de l’entre-deux émerge à nouveau, étudié sous une nouvelle optique : le dialogue traductologique se fait filmique et Carmen Alberdi Urquizu suggère alors un « entre » inhérent à ce simulacre de la parole ordinaire. A partir d’exemples tirés d’un corpus de films de Rohmer, elle cherche à délimiter les contours d’un discours qui, à mi-chemin entre la mimésis et l’artefact, dissimule sa nature éminemment fonctionnelle. Entre les pôles du nécessaire et du vraisemblable, un tel discours guide et conditionne l’accès du spectateur au savoir ; entre-deux stylistique, enfin, il traduit la quête d’un équilibre permettant d’éviter aussi bien l’excès de banalité que la pédanterie. « Le mérite du dialogue filmique et son efficacité résideraient en somme dans sa capacité à demeurer dans ces espaces “entre”, inaperçu, invisible, à être assimilé, voire phagocyté, par les autres composantes du texte filmique » (Alberdi, 2015 : 71). ← IX | X →

Enfin, deux réadaptations contemporaines de la mise en scène d’un classique comme le Tartuffe de Molière, – celles de Stoev et de Lambert où Vuillermoz et Vérité jouent respectivement le rôle de Tartuffe – permettent à Rafael Ruiz Álvarez d’évoquer la notion d’entre-deux afin de dévoiler les enjeux du transcodage du littéraire au spectaculaire. Comédiens, acteurs, voire même spectateurs et lecteurs transitent ici, dans cet entre-deux du langage textuel et du langage scénique et corporel, susceptible à chaque fois d’une (re)lecture nouvelle, qui permet aux metteurs en scène « de se dire différemment des autres, d’innover, de laisser leur empreinte » (Ruiz, 2015 : 75).

L’entre-deux ayant été ancré jusqu’ici, dans la rive discursive, le lecteur est invité par la suite, à une lecture de l’entre-deux qui le transpose dans la rive artistique. D’emblée, Corin Braga nous offre un parcours historique détaillé autour du sujet utopique, tout en s’appuyant sur les œuvres, entre autres, de Thomas More, de Lesage, de Marivaux, ou d’Antoine-François Momoro. En partant de l’Antiquité et du Moyen âge et tout en nous conduisant jusqu’au Baroque, le professeur Braga expose l’évolution de la notion de mundus inversus ainsi que sa relecture à la lumière du concept de l’entre-deux des utopies. De cette manière, écrit-il, « en opposition avec le “mundus inversus” des Saturnales antiques et des Fêtes des Fous médiévales, le “mundus inversus” de la Renaissance est le monde des vraies valeurs, alors que l’univers courant se transforme en un panoptique de vices et simulacres, en une “anatomie des abus”, selon l’expression de Philip Stubbes2 » (Braga, 2015 : 100). Toute utopie naît de ce fait, « par une double inversion, par la transformation du monde à l’envers médiéval en un monde à l’endroit » ; toute utopie devient un « miroir renversé qui met face-à-face la société déchue d’ici et la société idéale d’ailleurs » (ibid.).

Ce parcours par l’entre-deux artistique s’enrichit ensuite du chapitre d’Anna Caiozzo consacré aux tapis dans les miniatures de l’Orient médiéval. Elle y utilise cet élément incontournable des arts mobiliers ← X | XI → comme point de départ d’une intéressante et originale étude sur le symbole de l’entre-deux, cet inter-lieu imperceptible, où s’accomplissent des faits politiques, religieux et sociaux d’importance. D’une symbolique forte, le tapis s’avère pour A. Caiozzo, un « élément mobilier pratique et central dans les cultures nomades ou d’origine nomade », et de ce fait, révélateur « des usages symboliques » associés à « ses trois fonctions principales : comme objet pratique et usuel, comme élément délimitant un territoire précis et “consacré” où se déroule une action d’importance. Enfin, il exalte trois formes d’autorité, politique, religieuse et pédagogique, les trois étant, le plus souvent, intrinsèquement liées » (Caiozzo, 2015 : 130).

L’entre-deux revisité par Peter Collier propose une relecture de l’œuvre de Proust, soumise toujours au temps – du récit et de la lecture –, mais également aux caprices, voire aux inventions du lecteur lui-même. Le critique se livre à une étude judicieuse et de large envergure de l’œuvre proustienne où termes picturaux, artistiques ou mythiques côtoient métaphores, aphorismes, temps toujours en décalage, et où, en définitive, c’est cette « dynamique du souvenir, de l’oubli, du rêve, de ce qui pourrait être et de ce qui est fantasme » qui « dirige le récit, parfois en avant, parfois en arrière et parfois en spirale » (Collier, 2015 : 140), et qui nous fait part non seulement de l’expérience érotique et identitaire des personnages mais aussi nous invite, par là-même, à la faire nôtre.

Suit le remarquable chapitre de l’anthropologue González Alcantud où le destin de ce démiurge culturel que fut Louis Hubert Gonzalve Lyautey croise l’écrivaine Isabelle Eberhardt, non sans quelques conséquences au plan culturel, politique et colonial. L’entre-deux doit se lire alors ici en tant que point de convergence, « interface, dans le sens de contact dans l’espace » (Alcantud, 2015 : 158), mais aussi point de fuite pour ces deux insatisfaits et révoltés que furent Eberhardt et Lyautey. Sans oublier leur toile de fond, « un décor biblique tel que le Sahara », qui présidera à leur rencontre et encadrera leur « tragédie annoncée » (ibid. : 148).

Ilda Tomas poursuit cet ouvrage avec l’étude de l’œuvre d’Ilarie Voronca, poète francophone d’origine roumaine, qui nous offre un univers riche en couples antinomiques : le « proche » et le « lointain », l’« instantané » ← XI | XII → et l’« éternel », les « ténèbres » et les « lumières » (Tomas, 2015 : 163). Une écriture poétique qui se donne donc pleinement à étudier sous l’angle de l’entre-deux, puisque le poète – choisissant toujours « l’imagi-Nation (Voronca, 1926) » – « vit pleinement dans l’écart dont le plus exaspéré s’exerce au sein des deux pôles opposés de l’existence, la vie et la mort » (Tomas, 2015 : 163).

Mercedes Montoro Araque clôture cet ouvrage sur l’entre-deux en y ajoutant un chapitre où l’analyse de l’œuvre de S. Germain – avec sa particulière ré-écriture multisensorielle des mythes – permet de concevoir l’entre en tant que « passage à travers », non point comme simple passerelle miroitante à travers différents langages créatifs (image-texte-sons) mais également, comme cet « entre » qui « renvoie toujours à de l’autre que soi » (Jullien, 2012 : 50), en tant qu’espace « en creux » – aux dires de F. Jullien (2012 : 50) – ou espace « poreux » – selon S. Germain – toujours sans « essence » (Jullien, 2012 : 50) et constamment « en partance vers l’Infini » (Montoro, 2015 : 179).

Nous nous contenterons de laisser le concept de l’entre-deux osciller entre ces deux rives, un peu à la manière – suggérée plus bas par Devésa – de cette « “partition” du texte », modulant alors une « “ligne mélodique” à interpréter en dialogue et reprise avec le “chant” des corps célestes et le bruissement de la langue, diffusant exactement comme la matière qui est lumière c’est-à-dire énergie vibrante à la fois corpusculaire et ondulatoire » (Devésa, 2015 : 25).

Postés ainsi, à un carrefour, ou sur le fil du funambule, cherchant à se tenir entre, comme médiateurs, comme traducteurs, comme exégètes, les auteurs, chercheurs et lecteurs sont invités ici à naviguer entre deux rives – des rives langagières aux rives artistiques, avec les rives de la Méditerranée ou le désert comme frontière et parfois comme toile de fond –, suivant un flux et un passage entre réel et irréel, entre corporéité et corporéisation, entre vérité spéculaire ou reflet scriptural … Désireux dans tous les cas de la rencontre d’un autre, ou du moins, d’un autre ailleurs dans l’entre-deux.

M. Montoro et C. Alberdi ← XII | XIII →

Références

Résumé des informations

Pages
XIII, 212
Année de publication
2016
ISBN (PDF)
9783035307801
ISBN (MOBI)
9783035396171
ISBN (ePUB)
9783035396188
ISBN (Broché)
9783034319263
DOI
10.3726/978-3-0353-0780-1
Langue
français
Date de parution
2015 (Décembre)
Mots clés
Entre-deux Créativité Interculturalité Corporéité imaginaire
Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
Oxford, Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Wien, 2016. XIII, 212 p.

Notes biographiques

Mercedes Montoro Araque (Éditeur de volume) Carmen Alberdi Urquizu (Éditeur de volume)

Mercedes Montoro Araque, professeur en langue et littérature françaises à l’Université de Grenade (Espagne), a soutenu sa thèse au CRI de l’Université Stendhal Grenoble III. Après avoir participé à plusieurs projets de recherche internationaux sur l’imaginaire et les mythes, elle a intégré le comité de rédaction de la revue internationale Iris et préside depuis 2012 l’association MITEMA (Mythes, imaginaire, thématiques pluridisciplinaires) faisant partie du réseau international CRI2I. Carmen Alberdi Urquizu est professeur de langue et linguistique appliquée à l’Université de Grenade (Espagne). Sa recherche suit une double voie, reflet de sa double formation en traduction et en philologie: un volet axé sur la traduction littéraire qui couvre un éventail de manifestations en rapport avec la censure éditoriale et un autre volet consacré à l’étude de l’interaction et au fonctionnement des lois conversationnelles, que ce soit dans le monde réel ou fictionnel.

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Titre: L’entre-deux imaginaire