Transmédialités du conte
Résumé
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’auteur/l’éditeur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Sommaire
- Transmédialité : nouvelle actualité du conte (Philippe Clermont / Danièle Henky)
- I. Métamorphoses contemporaines d’héroïnes
- La Belle et la Bête de Cocteau ou comment donner corps à son rêve ? (Isabelle Lebrat)
- Peau d’âne de Charles Perrault à Jacques Demy : mises en récit polyphoniques d’un conte merveilleux (Danièle Henky)
- Les contes dans l’objectif de Sarah Moon : entre image et contage (Christiane Connan-Pintado)
- Fiction, contrefiction et domination masculine : « La Belle au bois dormant », de Perceforest (1340) à Maléfique (2014) (Caroline Julliot)
- La Jeune Fille sans Mains de Sébastien Laudenbach (2006) : un double récit initiatique (Hermeline Pernoud)
- La transposition audiovisuelle du conte : de l’héritage au contenu de marque (Sylvie Fabre / Pascale Hellegouarc’h)
- II. Renouveler l’esthétique du conte
- Into the Woods : La fabrique transmédiatique ou l’agrégation de contes en film (Bochra Charnay)
- Importance et métamorphose du conte dans le cartoon américain à l’ère des studios (Timothée Moreau)
- L’art de Tex Avery dans Red hot riding Hood, entre le rire et le tragique (Cong Minh Vu)
- The Visit de M. Night Shyamalan : une réécriture de conte(s) horrifique ? (Florence Casulli)
- Les Ciné-spectacles de La Cordonnerie ou comment donner chair au « squelette du conte » (Jeanne-Lise Pépin)
- Du monde double au multivers, les réécritures transmédiatiques des contes (Victoria Lagrange)
- Calvino game designer : pour une réécriture vidéoludique du conte philosophique Le Baron perché d’Italo Calvino (Martin Ringot)
- III. Réécritures du chemin initiatique
- L’interdit de minuit de Cendrillon Du texte de Perrault aux films de Disney (Pierre Emmanuel Moog)
- Au fil du chemin : les transpositions du conte du Petit Poucet dans la filmographie de Jean-Pierre Jeunet (Vanessa Loubet-Poëtte)
- Adaptations opératiques de contes en France dans le premier XXe siècle : l’exemple de Dukas, Massenet, Schmitt et Aubert (Leo Sanlaville)
- Réécritures cinématographiques des Aventures de Pinocchio en Espagne. La fable de la vie humaine : mensonges et vérités (Elvira Luengo Gascón)
- Les Trois Brigands et Jean de la Lune, de l’album jeunesse à l’écran pour tous : une initiation intermédiatique à l’univers d’Ungerer (Julie Gallego)
- Fabula Rasa : Le conte philosophique comme réactivation écranique de fragments sans lecteurs (Rosanna Gangemi)
- Titres de la collection
Transmédialité : nouvelle actualité du conte
Le conte de fées est souvent défini par ses structures narratives, mises en lumière par les travaux de Vladimir Propp, et par ses significations symboliques. Récit initiatique, le conte aide le lecteur à comprendre les étapes nécessaires à la construction de la personnalité et à entrer dans une compréhension du monde, si l’on suit, entre autres, les analyses également bien connues de Bruno Bettelheim. Ce genre se caractérise aussi, selon Tolkien, par le pacte de « créance féerique » passé entre le conteur et son auditoire ou ses lecteurs. Ces derniers acceptent de croire à l’univers merveilleux et à ses lois, d’entrer avec le conteur dans un monde secondaire ayant peu ou pas de rapport avec le nôtre. C’est peut-être cette situation particulière du conte, récit initiatique et merveilleux, qui lui a permis d’intégrer très tôt les premiers scénarios du cinématographe.
A l’orée du XXe siècle, Georges Méliès, contrairement aux frères Lumière, réalisateurs de films réalistes, a souhaité en effet adapter des contes à l’écran. L’intérêt pour un auteur de cinéma était multiple. D’une part, il pouvait avoir accès gratuitement à une réserve d’histoires libres de droits. D’autre part, il pouvait donner libre cours à sa fantaisie et distraire son public par l’intermédiaire de ces histoires patrimoniales et intemporelles dont la féérie se prête à toutes les interprétations. L’animation cinématographique allait bientôt prouver qu’elle pouvait parfaitement se mettre au service de la fantasmagorie du conte et donner ainsi à l’imaginaire le moyen de se déployer grâce aux performances de la technique. Dès 1937, les studios Disney produisent un dessin animé Blanche Neige et les sept nains, qui remporte un immense succès et sera suivi, du vivant de Walt Disney, de seize autres films d’animation dont la plupart sont adaptés de contes occidentaux. Rien n’a endigué depuis lors le succès de ces films. Qui n’a en mémoire la remarquable adaptation que Jean Cocteau fit, en 1946, de l’œuvre de Madame Leprince Beaumont, La Belle et la Bête, ou encore celle que Jacques Demy fit de Peau d’Âne de Charles Perrault en 1970 ? Plus récemment, le cinéaste américain Tim Burton, sut s’inspirer de ce patrimoine littéraire pour réaliser Edward aux mains d’argent en 1991.
Aujourd’hui, grâce aux évolutions technologiques, des supports médiatiques numériques apparaissent qui ouvrent de nouvelles perspectives modifiant le rapport entre l’œuvre et le spectateur, entre l’œuvre et le lecteur. La vidéosphère s’empare à son tour du patrimoine des contes pour l’intégrer à des jeux vidéo et ← 9 | 10 → décliner ensuite, à partir de ces jeux, quantités de produits dérivés en direction du jeune public. Les développeurs belges de Tale of Tales, par exemple, se sont spécialisés dans le domaine, notamment avec The Path (2009 – PC) fondé sur l’histoire du Petit Chaperon Rouge. Il s’agit pour les joueurs de prendre tour à tour les commandes de plusieurs sœurs, afin de traverser une forêt sombre hantée par un étrange loup. Pour sa part, la production de séries télévisées n’est pas en reste, et l’on peut au moins mentionner « Once Upon a Time » (2011 – E. Kitsis et A. Horowitz) et la série animée moins connue : « Les contes de la rue de Broca » (1995 – A. Jaspard et C. Allix) adaptée de l’œuvre de Pierre Gripari…
Le matériau littéraire du conte est issu de la tradition orale et donc en perpétuelle évolution. Il offre aux nouveaux moyens narratifs que sont le cinéma, le dessin animé, la série télévisée et le jeu vidéo de larges possibilités de transposition médiatique ou de « transmédialité ». On ne s’étonnera pas de ces « reprises » continues en relevant avec Claude Brémond que :
Toute espèce de message narratif, quel que soit le procédé d’expression qu’il emploie, relève de la même approche à ce même niveau. Il faut et il suffit qu’il raconte une histoire. La structure de celle-ci est indépendante des techniques qui la prennent en charge. Elle se laisse transposer de l’une à l’autre sans rien perdre de ses propriétés essentielles : le sujet d’un conte peut servir d’argument pour un ballet, celui d’un roman peut être porté à la scène ou à l’écran, on peut raconter un film à ceux qui ne l’ont pas vu. Ce sont des mots qu’on lit, ce sont des images qu’on voit, ce sont des gestes qu’on déchiffre, mais à travers eux, c’est une histoire qu’on suit ; et ce peut être la même histoire.1
« Ce peut être la même histoire » et ce peut être aussi une histoire nouvelle correspondant à un univers esthétique différent et à un propos d’auteur particulier. Cette ancienne assertion de Claude Brémond (1964) est évidemment à interroger ce qui conduit à se demander dans quelle mesure le média de la transposition fait perdre ou non de ses propriétés essentielles à la narration première, au récit source. Ou plus encore, il s’agit de tenter de rendre compte de la part de transposition propre au média utilisé et de celle qui est due à l’auteur de la transposition. Parfois, en outre, les deux peuvent être liées… Notre propos va s’attacher, dans cet ouvrage, à observer comment s’opère, grâce à leur plasticité, la mutation transmédiatique d’un certain nombre de contes traditionnels ou contemporains lorsqu’ils se manifestent à nouveau à travers la diversité des médias actuels. Les différentes contributions réunies envisagent aussi les effets de cette mutation sur le récit, sa construction, son écriture mais aussi ses objectifs. Qu’elles soient littérales, métaphoriques ou dans l’air du temps, les mises en images de Blanche-Neige, Hansel et Gretel, le Petit ← 10 | 11 → Chaperon Rouge ou Aladin, par exemple, ont donné lieu à des lectures variées, inspirées ou classiques, humoristiques ou oniriques, décalées ou fantaisistes.
Les traitements pluriels des cinéastes, des scénaristes et réalisateurs de séries ou de dessins animés, des concepteurs de jeux vidéo prouvent aujourd’hui encore la puissance évocatrice de ces histoires d’un autre temps. Ces différentes transpositions ont le premier mérite de garder le genre du conte vivant permettant aux jeunes contemporains de découvrir, avec ces histoires venues du fond des âges, un patrimoine fondamental de l’humanité. Elles ont cependant d’autres buts : souvent le conte dans sa transposition médiatique est destiné davantage à un public adulte, comme à son origine populaire ; parfois les buts ont à plus voir avec le souci toujours prégnant de rentabilité de notre société de consommation ou avec la manipulation sociale d’un jeune public malléable, ce qui occasionne à grande échelle la mise en images de certaines histoires.
Les études ici rassemblées envisagent la transposition médiatique selon un point de vue qu’il convient de préciser avant de les présenter. Si l’on suit l’approche qu’en fait le Transmédia Lab de l’entreprise Orange2 :
Le transmédia ou transmedia storytelling3 est une nouvelle forme de narration qui se caractérise par l’utilisation combinée de plusieurs médias pour développer un univers (une franchise). Grâce à leur spécificité d’usage et leur capacité technologique, chaque support employé (TV, Internet, mobile, radio, édition, tablette, événement, jeu vidéo, etc.) développe un contenu narratif différent offrant au public un regard nouveau et complémentaire sur l’univers et l’histoire. Les différents éléments qui composent cet univers peuvent être explorés et compris indépendamment les uns des autres : il s’agit de points d’entrée multiples et optionnels dans l’histoire. A la différence du cross-media (ou plurimédia) qui décline un contenu principal sur des médias complémentaires, le transmédia articule un univers narratif original sur différents médias.
Cette nouvelle forme de narration permettrait de toucher différents publics et favoriserait la circulation de l’audience d’un média à l’autre en créant une expérience de divertissement, « unifiée et coordonnée » à travers différents ← 11 | 12 → médias, pour reprendre le sens des propos d’Henri Jenkins4. Le spectateur peut par exemple découvrir l’histoire sur Internet, rester en contact avec ce récit au quotidien sur le téléphone « intelligent », et en suivre d’autres déroulements à la télévision. Par l’utilisation de médias interactifs et des nouvelles technologies de l’information et de la communication, cette expérience de divertissement enrichie recherche une participation plus active et un engagement plus profond de la part des publics visés, qui ne sont alors plus de « simples » consommateurs. Les fans sont encouragés à découvrir l’ensemble de l’univers transmédia, voire à y contribuer (suggestions d’une communauté aux scénaristes, création de fan fictions…). Cette acception du terme « transmédia » suppose d’emblée un système complet, une combinaison réfléchie de plusieurs médias développant une narration première sous plusieurs formats ou supports. On en trouve des exemples dans les productions culturelles tel que le Seigneur des Anneaux et, à l’intérieur de celui-ci, Bilbo le Hobbit qui est un conte dans sa forme narrative première.
De façon plus générale et dans le cadre des présents travaux, nous avons préféré envisager la transmédialité comme une forme de la transfictionnalité, au sens de l’approche de Richard Saint-Gelais : « Par transfictionnalité, j’entends le phénomène par lequel au moins deux textes5 du même auteur ou non, se rapportent conjointement à une même fiction, que ce soit par reprise de personnages, prolongement d’une intrigue ou partage d’univers fictionnel […]6 ». Pour le critique, la transfictionnalité peut déboucher sur une multitude de relations intertextuelles qu’il s’agisse d’une simple expansion, de substitutions ou de versions nouvelles de l’histoire, de croisement et d’annexion de l’hypotexte, pour reprendre une expression de Genette. La transfictionnalité renvoie dès lors à des pratiques artistiques variées qui prolongent le texte source. Son intérêt vient aussi de ce que cette notion se présente parallèlement comme une pratique critique qui interroge :
La transfictionnalité met en jeu, et parfois en crise, les catégories majeures à partir desquelles nous pensons les textes, leur production et leur réception. Quelles sont les modalités, les conditions de possibilité et les conséquences de l’essaimage d’une fiction au-delà des frontières du texte […]. Comment s’articulent récit et fiction dans une relation transfictionnelle ? Est-il légitime de parler d’identité, s’agissant d’instances ← 12 | 13 → (personnages, lieux, événements…) figurant des œuvres distinctes, parfois même contradictoires ?7
Ce sont ces questions générales qui ont guidé les études proposées dans le présent ouvrage. Une nouvelle actualité du conte est ainsi envisagée qui vient compléter la réflexion entreprise dans des travaux antérieurs récents, en particulier L’épanchement du conte dans la littérature, collectif dirigé par Christiane Connan-Pintado8. Dans le cadre d’un programme de recherche interuniversitaire partagé, « A la recherche des genres littéraires : perspectives théoriques et didactiques », porté par l’Université de Bordeaux – ESPE d’Aquitaine et dont l’Université de Strasbourg – ESPE de l’Académie de Strasbourg est l’un des partenaires, notre livre vise, en versant une nouvelle « pièce au dossier », à donner un aperçu significatif de l’ « épanchement » des contes dans plusieurs médias audiovisuels ou scéniques. On ne s’étonnera pas de trouver dans le présent volume diverses approches disciplinaires en fonction des sujets retenus et des différents contributeurs. En effet et, en quelque sorte, par nature, l’étude des phénomènes de transmédialité induit des approches qui ne se limitent pas aux habituels travaux sur la littérature ou le cinéma.
Les études réunies témoignent de trois orientations qui peuvent caractériser la production des XXe et XXIe siècles au sein de ce mouvement contemporain de transmédialité du conte. Tout d’abord, trace de la prégnance de certaines figures féminines dans les contes traditionnels, mais aussi indice d’une focalisation critique plus récente sur les questions de genre, l’héroïne de contes mythiques ou classiques se transforme, plus particulièrement au cinéma, certes, mais également à travers la photographie ou la publicité. Plusieurs contributrices à l’ouvrage se sont donné pour tâche d’examiner ces métamorphoses médiatiques d’héroïnes de contes célèbres en observant notamment de quelle manière les nouvelles images de ces personnages proposées par différents médias aboutissent à la mise en œuvre de thématiques renouvelées plus en accord avec les préoccupations contemporaines. Il n’est pas seulement question de rajeunir par des trucages ou des effets cinématographiques par exemple une image de la femme dans le conte pour la faire correspondre à la réalité contemporaine, il s’agit surtout de mettre la technique au service d’une conception parfois très personnelle du rôle des femmes dans le monde d’aujourd’hui. Certains artistes n’hésitent pas à se servir ← 13 | 14 → des histoires qu’ils proposent pour dénoncer une condition féminine actuellement encore trop souvent déplorable.
Un ensemble d’analyses s’attache ensuite à montrer comment différentes techniques audiovisuelles contemporaines (cinéma, photographie, dessins animés…) sont utilisées non seulement pour rajeunir l’univers des contes mais pour en renouveler complètement l’esthétique à des fins parfois différentes de celles du conte originel. C’est la diversité des médias eux-mêmes – cinéma, séries télévisées, dessins animés, « ciné-spectacle » ou encore jeu vidéo – qui induit des mutations du conte. Ces mutations sont générées par le médium en soi, tout autant que par les intentions des auteurs. Les contributions de cette seconde partie feront entrer le lecteur dans de nouveaux univers d’auteurs.
Il n’en reste pas moins, et c’est ce qui apparait dans une dernière partie de cet ouvrage, que la plupart des créateurs, qu’ils soient cinéastes, musiciens ou dessinateurs, ont toujours à cœur de mettre en scène le chemin initiatique emprunté par leurs héros afin de proposer à leurs spectateurs, auditeurs ou lecteurs des histoires pour grandir. L’intérêt pour le chercheur est d’observer comment chaque artiste renouvelle la matrice du conte pour l’adapter à sa conception de l’art et de la vie. Aujourd’hui encore, il apparait que le conte reste une valeur sûre dans laquelle les créateurs de tous bords continuent de piocher des scénarii archétypaux et des personnages charismatiques. Les relectures et réécritures qui s’ensuivent s’engagent le plus souvent dans un travail de modernisation qui peut déboucher sur de véritables recréations. On remarque cependant que, même lorsqu’elle se contente d’adapter les mondes imaginaires sans variation ou sans inventivité, la transmédialisation est révélatrice d’une époque et de son rapport à l’art et aux rites initatiques.
1 Claude Brémond, « Le message narratif », Communications, vol. 4, no 4, 1964, p. 4–32.
2 http://www.transmedialab.org/definition/, page consultée le 18/10/17.
3 Henry Jenkins, 2011, en ligne « Transmedia » 202 :
« Further Reflections », http://henryjenkins.org/2011/08/defining_transmedia_further_re.html. Consulté le 21 mai 2016.
« Transmedia storytelling represents a process where integral elements of a fiction get dispersed systematically across multiple delivery channels for the purpose of creating a unified and coordinated entertainment experience. Ideally, each medium makes it own unique contribution to the unfolding of the story. »
4 Ibid.
5 Pour Saint Gelais, « texte » est à entendre dans une acception large qui couvre aussi le cinéma, la télévision, la bande dessinée, etc.
6 Richard Saint Gelais, Fictions transfuges – La transfictionnalité et ses enjeux, Seuil, « Poétique », 2011, p. 7.
7 Ibid., p. 8.
Résumé des informations
- Pages
- 312
- Année de publication
- 2019
- ISBN (PDF)
- 9783631780664
- ISBN (ePUB)
- 9783631780671
- ISBN (MOBI)
- 9783631780688
- ISBN (Relié)
- 9783631780084
- DOI
- 10.3726/b15230
- Langue
- français
- Date de parution
- 2019 (Avril)
- Mots clés
- patrimoine culturel vidéosphère jeune public initiation réécriture art créativité
- Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
- Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 201X. 304 p., 8 ill. n/b