Le genre, effet de mode ou concept pertinent ?
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Table Of Contents
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’auteur/l’éditeur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Sommaire
- Introduction: Le genre : effet de mode ou concept pertinent ?
- Conceptualisations autour du genre
- Philippe Ducat - Judith Butler, fautrice de troubles
- Thierry Capmartin - Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre font-ils du genre ?
- Bernard Nominé - Le corps, entre sexe et genre
- Le concept de genre et sa pertinence
- Michèle Soriano - Du contemporain et de l’inactuel : sur quelques régimes de savoir / pouvoir
- Brigitte Rollet - Éducation des filles et créations : marginalité et (il)légitmité d’un sous-genre ?
- Nelly Chabrol-Gagne - Que faire du genre / Que fait le genre dans l’album de jeunesse ?
- Mónica Zapata - « Genre » : usages et mésusages d’un terme à la mode
- Hélène Marquié - Le genre en danse, un concept pertinent et des effets pervers
- Ma Ángeles Millán Muñío - La possibilité d’une lectrice : l’Académie et les études de genre
- Nadia Mékouar-Hertzberg - Ce que la littérature doit au genre – Ce que le genre doit à la littérature
- Nadia Setti - Le genre serait-il une catégorie utile pour étudier la littérature ?
- Pratiques de lecture – Pratiques d’écriture
- Michèle Ramond - L’entrée en écriture côté-hommes, côté-femmes : l’entrée en écriture a-t-elle un genre ?
- Florence Marie - Une lecture de Pilgrimage de Dorothy Richardson à l’aune du concept de genre
- Annick Allaigre - Face au genre : antagoniques Antigones ibériques ?
- Suzanne Munsch - L’incarnation du genre chez Pierre Michon : une utopie ?
- Belinda Cannone - Quand le genre est « suspendu »…
- Agnès Vannouvong, Nadine Laporte - Le « genre » : effet de mode ou concept pertinent dans le processus de création romanesque – Entretien
- Titres de la collection
Introduction
Le genre : effet de mode ou concept pertinent ?
Cet ouvrage s’inscrit dans le sillage d’un premier volume intitulé Déterritorialisation : effet de mode ou concept pertinent ?1 Il ne s’agit pas pour autant d’un effet de style ni d’un jeu autour d’un titre légèrement provocateur. Le parallélisme entre les deux projets repose sur une volonté d’aborder de façon transversale et transdisciplinaire un concept notoire, « à la mode », du moins dans un contexte académique, et d’observer son degré de pertinence dans le domaine des humanités. Le genre : effet de mode ou concept pertinent ? : qui parle quand on dit que le genre est « à la mode » ou qu’il est un « outil pertinent » ? L’alternative est-elle exclusive ? Ne peut-on pas, ne convient-il pas de trouver une autre voie ? Il importe également, bien entendu, de déterminer ce qu’il faut entendre par « pertinence » et surtout par « à la mode », expression qui n’est pas forcément dépréciative et que l’on peut considérer, à ce stade introductif de l’ouvrage, comme renvoyant à une terminologie « circulant » dans les domaines académiques, suscitant des controverses parfois, ouvrant de nouvelles perspectives souvent.
Cet ouvrage est également marqué par une volonté de croiser différentes aires culturelles, en particulier anglophones, francophones et hispanophones. Certes, il n’est pas une étude comparative ou contrastive, mais plutôt un jeu de perspectives susceptible de faire surgir des approches différenciées du concept de « genre », des prises en compte de ce concept divergentes en fonction des domaines d’étude, voire des aires culturelles. Même en s’en tenant à une définition minimale, voire minimaliste, du terme « genre » comme différenciation sociale des sexes permettant de dégager les catégories « d’hommes » et de « femmes » d’une vision naturaliste et/ou essentialiste, le genre, on le pressent, est « tout un programme ». Mettant le sujet, et notamment le sujet en tant que sexué, au centre de la réflexion, ← 7 | 8 → il impacte fortement les sciences humaines, en premier lieu la sociologie et les sciences politiques. Étrangement, les domaines de la littérature et de son étude académique lui restent relativement fermés. « Étrangement », car la question du sujet et de la subjectivité, même quand ils sont déniés, reste une question centrale en littérature, qu’il s’agisse des subjectivités renvoyant aux instances autorales, narratrices ou lectrices.
La question du genre mérite donc que l’on s’y intéresse en se défaisant des armatures idéologiques dont on s’est empressé de le gainer. Il ne s’agit donc pas d’être « pro-genre » pas plus qu’ « anti-genre », positions tout à fait contre-productives quand on prétend se situer dans des perspectives intellectuelles alertes, ouvertes et attentives aux courants de pensée qui traversent les sociétés et leurs créations. Le point de départ que nous proposons est de considérer le « genre » comme un concept, c’est-à-dire comme un « outil qui permet de penser ». Conceptuel, cet outil n’est pas pour autant délié de la société, des sociétés desquelles il émerge. En tant qu’outil, il permet de penser et de penser sur une matière vivante. Or, s’il fait l’objet de ces récupérations passionnées, c’est que cette matière vivante ce sont les femmes et les hommes, mais aussi, dans le sens le plus large, les espaces masculins et féminins, les valeurs qui composent nos paysages sociétaux (le monde du travail, domestique, de la création, etc.), et ce depuis un certain nombre d’années. Il semble que nous touchions là un point sensible, tellement sensible que se trouvent réactivés des attitudes et des positionnements parfois extrêmement violents, qui, sous couvert de s’opposer à la supposée « théorie du genre », s’emploient à dénier aux femmes les acquis indéniables des XIXe et surtout XXe siècles.
Car le genre a pour inconvénient – du moins pour ses violents détracteurs et détractrices – d’expulser la neutralité (une neutralité toute relative, disons « toute masculine »), une certaine universalité en mettant sur le devant de la scène les différences sexuelles, non plus sur le mode de la hiérarchie, non plus sur le mode de l’opposition, mais sur celui de leur articulation. Plus précisément, et en reprenant les termes de Joan W. Scott dans de De l’utilité du genre, l’outil « genre » permet d’envisager cette articulation comme « un défi lancé à toute solution qui se prétendrait être la seule valable »2 ; rien n’est définitivement acquis pour ce qui est de l’articulation féminin/masculin, ces deux dimensions étant précisément dégagées des ← 8 | 9 → assignations figées naturalisantes et essentialisantes qui furent leur propre des siècles durant. Il y a là matière à vraie discussion : le genre permet de poser la question du bien-fondé du féminin et du masculin en tant que catégories essentielles. Féminin et masculin ne sont pas des essences (qui cependant impactent lourdement et, semble-t-il, parfois irrémédiablement nos pratiques quotidiennes dans l’espace public autant que dans l’espace privé). Est-ce pour autant la fin de ces paradigmes, notamment dans les domaines de la création ? Les frontières bougent. Peuvent-elles être annulées ?
Globalement, pour répondre à ces questions, les analyses qui composent cet ouvrage adoptent deux perspectives principales.
Premièrement, au niveau de l’instance créatrice du discours littéraire, quels peuvent être le rôle et la fonction des créations dans cette mise à jour de l’articulation masculin/féminin, de la construction du féminin, du masculin et de leurs relations ? Les créations de femmes tendent, de nos jours, à bénéficier de la même estime que les créations masculines. Plus encore, elles sont auréolées d’une aura particulière, d’un a priori d’autant plus positif qu’il est « politiquement correct », actuellement, de constater et d’accepter le rattachement des femmes au territoire, jusqu’alors si exclusivement masculin, de la Littérature. Qu’en est-il de la reconnaissance du « féminin créateur » après des siècles basés sur la stricte adéquation création/masculin et procréation/féminin ? Y a-t-il des auteures, des autrices, des auteurs-femmes, poètes, poétesses, etc. ? La variété des termes, dont certains sont tout juste tolérés, ne relève pas seulement d’une simple hésitation à l’heure de « faire du genre » en littérature. Elle est la traduction particulièrement visible du malaise qui s’instaure quand il s’agit de se défaire du principe de la Neutralité du champ littéraire (au sens où Bourdieu pourrait l’entendre) et d’envisager ce même champ comme traversé de différences, voire de hiérarchies. Le motif littéraire de « l’entrée en écriture » et de « l’entrée en Littérature » de ces femmes est à cet égard fort révélateur. Ces évocations font parfois l’objet de récits autobiographiques, de témoignages, s’inscrivent également dans les textes fictionnels de façon plus ou moins évidente et/ou donnent lieu à d’amples commentaires. Elles importent, car elles posent la question de la légitimité littéraire et des processus de légitimation des femmes en littérature et peuvent inviter à réfléchir sur la persistance d’un imaginaire genré de la création.
Deuxièmement, au niveau de la représentation du féminin et du masculin dans le discours littéraire, quels peuvent être le rôle et la fonction de ← 9 | 10 → l’outil « genre » dans notre approche des œuvres ? Les pensées du genre devraient en toute logique sonner le glas de ces paradigmes et de leur efficacité en littérature. Les paradigmes du masculin/féminin sont-ils alors encore utiles ? Faut-il abandonner le féminin et le masculin en littérature à partir du moment où l’on ne reconnaît pas leur dimension essentialiste ? L’on peut à l’inverse considérer qu’écrire le féminin, et, partant, le masculin, c’est justement les valider, si besoin était, comme constructions, comme fabrications. La littérature ne serait plus apte à dire « la » vérité du masculin et du féminin, mais bien à fabriquer « une » ou des vérité(s) du féminin, du masculin. Elle pourrait aussi s’instituer en hétérotopie où se rejouent le masculin et le féminin, ainsi que la configuration des frontières qui les définissent.
Nos outils littéraires narratologiques, désormais traditionnels, restent d’une grande efficacité et d’une indéniable pertinence. Nous continuons bien sûr de les utiliser avec ferveur que ce soit dans nos pratiques de recherche ou dans celles des enseignements que nous dispensons. Cependant, au cours des analyses qui suivent, le concept de genre, pour autant qu’il soit correctement entendu et échappe à tout processus de réification, apparaît comme un instrument critique supplémentaire précieux pour « réformer la réflexion dans tous les secteurs de la pensée et de la vie ». Enraciné dans l’interdisciplinarité, il ne se limite pas à une matrice qui hypostasie la position subordonnée de la femme : il permet de déstabiliser les normes et, de ce fait, de transformer notre approche de la littérature et des arts ainsi que nos pratiques en société. À rebours, il y a lieu de se demander si l’œuvre de création ne permet pas d’affiner la notion de genre dans ses attendus théoriques et pratiques, si elle n’est pas porteuse d’un gain théorique pour ce concept ; si les créatrices et les créateurs, en dépit de leur réticence presque unanime vis-à-vis de ce concept, ne contribuent pas à affiner les contours, les limites et les applications possibles du genre en littérature et dans les arts.
Le présent ouvrage est composé de trois parties principales.
La première, « Conceptualisations autour du genre », est centrée sur une approche conceptuelle de la notion de genre. Philippe Ducat y aborde notamment la manière dont Judith Butler réarticule sexe, genre et désir en insistant notamment sur le rôle de la mélancolie dans la formation des identités de genre. Cette question est également envisagée par Thierry Capmartin au travers des innovations (trop timides ?) de Simone de Beauvoir en la matière. Enfin, Bernard Nominé suggère que si le réel du sexe – anatomique, hormonal – ne réussit pas à départager exactement ← 10 | 11 → l’humanité, l’idée du genre, qui reste binaire, ne permet pas non plus d’y suppléer.
La deuxième partie, « Le concept de genre et sa pertinence », envisage clairement la question de la pertinence du concept comme outil d’analyse. Michèle Soriano fait porter sa réflexion sur les « cadres herméneutiques », sur l’actualité et l’historicité de la notion de genre, et les effets des études genre sur la transhistoricité du féminin. Brigitte Rollet revient sur les apports d’une démarche méthodologique combinant l’étude genrée des représentations (émergence, variation et pérennité des identités de sexe et des sexualités) et les questions essentielles des hiérarchies culturelles et professionnelles (canon, légitimité, réception et postérité). Nelly Chabrol-Gagne interroge quelques albums de jeunesse mettant en scène la naissance de l’enfant de façon relativement neutre, puis d’autres traitant de sexe biologique et de postures genrées, postures relativement peu inquiétées ou troublées en dépit d’exceptions notoires. Mónica Zapata s’intéresse davantage aux discours pseudo-scientifiques – textes et images – relayés par certains médias, en France, depuis maintenant plus d’une vingtaine d’années : ces médias tendent à « réifier » le concept de genre, ne gardant de cette pensée que certains termes. Le domaine de la danse est également évoqué au travers des analyses d’Hélène Marquié qui révèlent comment le genre, outil épistémologique qui devrait permettre de repenser l’histoire de la danse, n’est pas sans écueils, et suscite malentendus et dérives. María-Angeles Millán envisage « la possibilité d’une lectrice », dans les domaines universitaires tandis que Nadia Mékouar-Hertzberg étudie la synergie positive qui s’établit entre le concept de genre et la littérature. Les réflexions de Nadia Setti, enfin, concluent cette partie en dressant un bilan du genre comme catégorie d’analyse en littérature et du nouvel élan critique qu’il suscite.
La troisième partie, « Pratiques de lecture – Pratiques d’écriture », est en prise directe avec des lectures de textes et des expériences d’écriture. Michèle Ramond, en abordant la thématique de « l’entrée en écriture » et des premiers écrits, repose la question de l’auteur.e. Suivent ensuite de subtiles analyses de textes littéraires : Florence Marie continue d’évoquer « l’entrée en écriture » dans Pilgrimage de Dorothy Richardson ; Annick Allaigre se livre à une étude croisée des textes d’auteures espagnoles, María Zambrano et Maria José Queizán, reprenant le mythe et la figure d’Antigone ; Suzanne Munch propose une lecture transversale de l’œuvre de Pierre Michon centrée sur une écriture du corps révélatrice des enjeux des rapports du masculin et du féminin. Les deux derniers textes laissent ← 11 | 12 → libre cours à la parole et aux réflexions de deux écrivaines : Belinda Cannone et Agnès Vannouvang (en entretien avec Nadine Laporte) entretissent approches théoriques et expériences d’écriture.
Les éditrices
1 Catherine Albert, Abel Kouvouama, Déterritorialisation : Effet de mode ou concept pertinent ?, Coll. EFM 1, Pau, Presses universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, 2013.
2 Joan W. Scott, De l’utilité du genre, Paris : Fayard, 2012, p. 11.
Details
- Pages
- 278
- Publication Year
- 2016
- ISBN (PDF)
- 9783035108941
- ISBN (MOBI)
- 9783035193145
- ISBN (ePUB)
- 9783035193152
- ISBN (Softcover)
- 9783034316835
- DOI
- 10.3726/978-3-0351-0894-1
- Language
- French
- Publication date
- 2015 (November)
- Keywords
- Genre Masculin féminin Arts Littérature
- Published
- Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2016. 278 p.