Le futur dans les langues romanes
Résumé
Le panorama offert par l’ensemble des contributions dessine une aire romane où les analogies et les différences dans le comportement du futur permettent des regroupements de langues d’une part, et des regroupements notionnels transversaux de l’autre.
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’auteur/l’éditeur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Remerciements
- Introduction
- Le futur synthétique français a-t-il eu un sens intentionnel ? (Adeline Patard / Walter de Mulder / Natalia Grabar)
- Les valeurs rhétoriques du futur en français, italien et roumain (Corinne Rossari / Claudia Ricci / Elena Siminiciuc)
- Le futur est-il un marqueur modal ? Analyse du fonctionnement du futur à effet de sens « conjectural » en français et en espagnol (Sophie Azzopardi)
- Grammaire, sémantique et pragmatique des temps du futur en espagnol (Nelson Cartagena Rondanelli (1937–2014))
- L’émergence des futurs épistémiques romans. L’exemple du catalan médiéval du XIIIème siècle (Josep Martines)
- Les modalités du futur en italien (Laura Baranzini)
- Marquage grammatical, lexical et textuel de la futurité dans la presse économique italienne (Johanna Miecznikowski)
- La dimension évaluative du futur en italien et en grec. Le rôle des adverbes (Anastasia Giannakidou / Alda Mari)
- Sémantique et pragmatique du futur synthétique en portugais et en italien (Riccardo Giomi)
- Le futur épistémique en français et en italien (Laura Baranzini / Louis de Saussure)
- Le futur en occitan : un aperçu (Gerard Joan Barceló)
- Les formes verbales du futur en roumain (Viorica Codita)
J’aimerais remercier Misha Müller pour son aide précieuse dans la mise en page de ce volume ; Thierry Raeber, Virginie Conti, Misha Müller et Nathanaël Drai pour leurs relectures attentives ; Claudia Ricci pour sa collaboration dans la traduction ; Juan Sanchéz pour tout le travail concernant le côté hispanophone, et les relecteurs anonymes qui ont accepté de lire et commenter toutes les contributions. Le soutien de Louis de Saussure a été simplement indispensable, ainsi que la disponibilité de tous les auteurs des articles : même les futurs les plus improbables peuvent parvenir à se réaliser dans le présent.
La publication de ce volume s’inscrit dans le cadre du projet du Fonds National Suisse pour la recherche scientifique 100012–159639.
Le débat autour de l’expression de la futurité et de la forme morphologique du futur a occupé une place de plus en plus centrale dans la réflexion linguistique de ces dernières années. L’intérêt du sujet est à la fois morphologique, sémantique et pragmatique et le futur constitue également un objet d’analyse exemplaire pour l’étude des interfaces entre ces différents domaines. Du point de vue typologique, le futur n’est pas moins intéressant : l’observation des analogies et des différences entre l’articulation synchronique de ses emplois ou entre les dérivations diachroniques de ceux-ci enrichit considérablement la reflexion globale sur les rapports entre les langues.
Ce volume se propose de participer à la discussion pour ce qui concerne une vaste partie des langues romanes. À l’intérieur de l’étendue des langues romanes et autour du pivot du futur (forme morphologique ou concept verbalisé), les axes de découverte pris en considération par les auteurs sont riches et hétérogènes :
i) La langue : le vaste éventail des langues romanes a été parcouru, bien que non exhaustivement. Les articles se concentrent sur le français, l’italien et l’espagnol (d’Espagne et d’Amérique), en passant par le portugais, le roumain, le catalan et l’occitan, jusqu’à une petite incursion en dehors de la zone romane avec le grec.
ii) L’objet d’étude spécifique : si le futur constitue le fil rouge de la réflexion, plusieurs aspects ont été choisis plus spécifiquement : la forme morphologique du futur, l’expression de la futurité et la pragmatique du futur. Une place de choix est occupée par la description de l’articulation/la dérivation des différents emplois sémantico-pragmatiques du futur et, par conséquent, par les liens entre temporalité et modalité.
iii) La perspective et la méthodologie : la perspective choisie est tantôt monolingue, tantôt contrastive, elle peut être diachronique ou ← 9 | 10 → synchronique, plus descriptive ou plus théorique, basée sur des données de corpus ou sur des exemples inventés.
Adeline Patard, Walter de Mulder et Natalia Grabar nous montrent les détails de l’évolution diachronique qui a abouti à la forme synthétique du futur en ancien français à partir de la périphrase latine infinitif + habere, s’appuyant sur les données de trois textes couvrant la période allant du XIème au XIIIème siècle. Les auteurs présentent deux hypothèses d’évolution différentes, et argumentent en faveur d’une dérivation directe du sens de prédestination à celui d’ultériorité, sans besoin de postuler l’existence d’un passage intermédiaire par le sens intentionnel.
Corinne Rossari, Claudia Ricci et Elena Siminiciuc dessinent un panorama synoptique des valeurs sémantiques du futur en français, en italien et en roumain, pour parvenir à une vision unifiée de la dérivation de tous les emplois. Elles montrent que l’articulation des valeurs modales n’est pas la même pour les trois langues, et que la proximité morphologique du français et de l’italien n’assure pas une sélection similaire des valeurs non temporelles associées à la forme ; l’italien et le roumain, en effet, partagent un nombre important de valeurs tout en présentant une forme de futur morphologiquement éloignée. Grâce à un modèle à trois niveaux – niveau sémantique, niveau énonciatif et niveau rhétorique – toutes les valeurs du futur sont classées et comparées d’une langue à l’autre, et il est possible d’expliquer à quel niveau chaque emploi est activé dans une langue donnée.
Sophie Azzopardi présente également une analyse contrastive, mais se focalise sur le français et l’espagnol. Sa contribution se concentre sur les mécanismes d’actualisation en discours de la valeur en langue du futur et sur la comparaison de ce mécanisme dans les deux langues. L’auteure montre que la valeur sémantique du futur – en français et en espagnol – est une valeur temporelle d’ultériorité ; l’interprétation conjecturale se fait donc, dans les deux langues, au niveau pragmatique. Le futur permet d’activer une lecture conjecturale seulement en interaction avec d’autres données co-textuelles et contextuelles, et ne représente ni une condition nécessaire ni une condition suffisante à cette activation. Les différences entre la diffusion de la valeur conjecturale en espagnol et en français ne dépendent pas d’une différence de la forme ou de sa sémantique dans ← 10 | 11 → les deux langues, mais plutôt d’une différente organisation du système global de l’expression de la conjecture, à l’intérieur duquel d’autres stratégies linguistiques sont disponibles.
Nelson Cartagena Rondanelli s’intéresse au futur en espagnol et, s’appuyant sur les descriptions du futur en espagnol d’Espagne et en espagnol d’Amérique, dessine un système d’expression de la futurité basé sur un paradigme de formes synthétiques et un second paradigme, complémentaire, de formes périphrastiques sans différences diatopiques majeures. Les valeurs – temporelles et modales – sont exprimées de préférence par un type de forme spécialisé, notamment les valeurs temporelles par les périphrases et les valeurs modales par la forme synthétique du futur.
Josep Martines analyse la génèse historique du futur épistémique en catalan, en mettant en lumière le parcours de changement sémantique qui a porté des formes temporelles exprimant des prédictions aux emplois futuraux modaux et, ensuite, aux emplois purement épistémiques. Une importante analyse de corpus lui permet d’illustrer en détail la situation du catalan au XIIIème siècle, au cours duquel apparaissent des formes de futur qui s’éloignent progressivement de la temporalité.
Laura Baranzini se concentre sur les emplois non temporels du futur en italien. La description des principaux emplois recensés dans la littérature et de leurs caractéristiques amène à une réflexion plus détaillée sur les liens entre emploi temporel, épistémique et concessif. En conclusion, une première ébauche de procédure interprétative de la forme du futur est avancée, en vue de systématiser de façon unitaire le parcours interprétatif selon le type de contexte dans lequel l’occurrence du futur se trouve.
La perspective choisie par Johanna Miecznikowski se caractérise, d’une part, par l’analyse d’un corpus thématique spécifique, à savoir un corpus de presse économique. D’autre part, elle se différencie par le fait qu’elle observe non pas la forme morphologique du futur directement, mais les réalisations linguistiques des prévisions, conceptuellement futurales, de manière plus générale. La réflexion sur les données récoltées, qui mettent en lumière la nature inférentielle de ce type d’action conceptuelle, tient compte de plusieurs aspects, en particulier des relations de discours, de l’illocution et des informations modales ← 11 | 12 → et épistémiques. Les différentes stratégies utilisées pour exprimer les prévisions montrent des schémas récurrents dans le choix des prédicats, dans la construction argumentative des énoncés et dans l’indication de la source de l’information.
Anastasia Giannakidou et Alda Mari, par une approche plus formelle, analysent le fonctionnement du futur en italien et en grec. L’analyse du morphème du futur amène une réflexion sur les modaux en général, et sur les adverbes modaux qui apparaissent dans les énoncés au futur. La description sémantique qui en est donnée prend en considération une dimension non-vériconditionnelle, évaluative, qui leur permet de conclure que le futur (aussi bien dans sa valeur prédictive qu’épistémique) et les autres expressions modales ne communiquent pas seulement quelque chose à propos des mondes possibles, mais expriment également la croyance du locuteur à propos de la place du monde actuel dans l’espace des mondes possibles.
Riccardo Giomi nous offre un panorama très riche des emplois du futur en italien et en portugais, et en propose une taxonomie raisonnée. À la lumière de ses observations sur les contraintes auxquelles chaque emploi est sujet, il distingue des valeurs grammaticales, non déterminées contextuellement, et des valeurs contextuelles, construites pragmatiquement. La conclusion principale qui ressort de la classification est l’indépendance des deux grandes catégories d’emploi du futur dans les deux langues – temporelle et épistémique – qui permet de considérer la forme du futur comme authentiquement polysémique. Chacune des deux significations de base connaît un certain nombre d’emplois contextuels dérivés ; parmi tous ces emplois dérivés, il est intéressant d’observer le futur de l’information rapportée du portugais, absent dans les autres langues romanes, qui est présenté par l’auteur comme un cas particulièrement avancé de dérivation du futur épistémique participant à un processus de grammaticalisation qui pourrait aboutir à un troisième signifié de base du morphème futur.
Dans un même intérêt contrastif, Laura Baranzini et Louis de Saussure se concentrent sur le type de modalité exprimé par le futur épistémique du français et de l’italien, en illustrant les zones de contact (tous les cas d’expression forte de la conjecture), et les emplois ← 12 | 13 → divergents (les conjectures « faibles » et le futur concessif de l’italien plus particulièrement). L’observation parallèle des cas de figure non symétriques amène les auteurs à une description différente de la nature du futur dans les deux langues et à une hypothèse relative au stade respectif de l’évolution diachronique de la forme, qui serait plus avancée en italien.
Gérard Joan Barceló se concentre sur l’occitan : en tenant compte des particularités et des contaminations de cette réalité linguistique, il nous présente les différentes formes de futur existantes, synthétiques et périphrastiques, qui construisent un système complexe d’expression de la futurité. Les rapports entre temporalité et modalité y sont également étudiés. L’occitan présente un emploi de futur du passé qui lui est propre, et des emplois modaux qui correspondent à ceux du français, de l’italien ou de l’espagnol. La réflexion sur le statut de la langue occitane et sur les phénomènes de contact/contamination avec les langues proches occupe également une partie de la contribution.
L’article de Viorica Codita est consacré au roumain, dont elle décrit la riche et complexe articulation non seulement de valeurs sémantiques du futur, mais aussi de formes pouvant exprimer la futurité ; en effet, le roumain, plus que toute autre langue romane, connaît une coprésence de paradigmes formels d’expressions futurales qui ne sont pas toujours décrits dans la littérature de façon consensuelle. Après un premier travail d’illustration raisonnée et ordonnée des formes à disposition, l’auteure propose une réflexion sur les points d’intersection entre temporalité et modalité, et sur la sémantique temporelle ou modale de ces formes, tout en montrant les éléments qui rendent ce type de description sémantico-pragmatique particulièrement compliqué pour une langue comme le roumain.
À la lumière de toutes ces contributions, le futur se confirme comme une forme complexe et de grand intérêt dans le domaine roman. En particulier la naissance, l’évolution, et l’articulation de ses valeurs modales de type épistémique avec la valeur temporelle posent des questions incontournables : il suffit de penser au problème – théorique et pratique – de la polysémie ou de la monosémie. Si la morphologie du futur n’est pas polysémique il est par exemple possible de postuler une proximité conceptuelle actuelle entre le domaine temporel de la futurité et la ← 13 | 14 → modalité épistémique ; d’autres phénomènes linguistiques pourraient, de ce fait, être analysés dans la même perspective. Dans le cas où les deux valeurs sémantiques sont considérées comme reliées, celles-ci sont le plus souvent décrites comme hiérarchiquement dépendantes et, en particulier, la valeur modale est vue comme dérivée de la valeur temporelle. Cette conception a au moins deux conséquences notables : la première au niveau typologique, et la seconde au niveau diachronique. La présence ou l’absence de certains emplois du futur dans une langue spécifique permet de dessiner des frontières et des regroupements à l’intérieur des langues romanes ; si le futur du français, par exemple, est fortement temporel, tout en présentant des emplois épistémiques, le futur de l’italien et celui de l’espagnol disposent d’un emploi épistémique plus indépendant par rapport à l’emploi temporel, et aussi de valeurs apparemment dérivées comme le futur concessif ; en même temps le portugais ajoute à ces emplois d’autres valeurs qui lui sont propres (par exemple celle d’information rapportée). Du point de vue diachronique, la systématicité avec laquelle ces emplois se présentent dans les langues – la présence du futur temporel, par exemple, semble nécessaire à la présence du futur épistémique, tout comme le futur concessif n’est pas attesté là où la valeur épistémique est peu productive, et ainsi de suite – permet d’avancer des hypothèses sur l’évolution et les stades de dérivation de ces valeurs, tout en tenant compte du parcours qui les a conduites jusqu’à leur fonctionnement actuel.
Le futur synthétique français a-t-il eu un sens intentionnel ?
Université Caen Normandie
Universiteit Antwerpen
Résumé des informations
- Pages
- 370
- Année de publication
- 2017
- ISBN (PDF)
- 9783034330077
- ISBN (ePUB)
- 9783034330084
- ISBN (MOBI)
- 9783034330091
- ISBN (Broché)
- 9783034330060
- DOI
- 10.3726/b11370
- Langue
- français
- Date de parution
- 2017 (Août)
- Publié
- Bern, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2017. 361 p., 11 fig., 37 tables
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