Chargement...

La Littérature comme échange verbal différé

Essai sur la parole littéraire

de Alain Trouvé (Auteur)
©2024 Monographies 188 Pages
Série: ThéoCrit', Volume 17

Résumé

Contrairement à une idée reçue, la théorie n’a pas dit son dernier mot en matière de littérature. Elle trouve peut-être un souffle nouveau en s’inscrivant ici dans un dialogue intercontinental entre France (Europe) et Argentine (Amérique du Sud). L’assimilation de la littérature à un « échange », au sens anthropologique du potlatch, s’appuie sur deux notions, redécouvertes ou redéfinies, l’arrièretexte, qui renvoie à l’inscription du sujet dans le monde, et la parole, écrite ou orale, acte verbal par quoi il signale sa singularité. L'inflexion de l’oral vers l’écrit introduit dans l’écho d’une parole à l’autre le facteur temps. Après un premier bloc théorique s’ouvrant sur la traduction inédite d’articles publiés en Argentine, puis interrogeant le vocabulaire de la théorie littéraire, les variations de focale qui suivent oscillent entre deux pôles : élargissement, notamment au mythe et à la fiction, et confrontation à des corpus et à des auteurs particuliers (Bonnefoy, Breton, Char, Michaux, Prévert, Rabelais, Aragon, Queneau).

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Sommaire
  • Sommaire
  • Préambule. Échange verbal différé
  • PREMIÈRE PARTIE PROPOSITIONS
  • Chapitre I Pour une lecture littéraire de seconde génération
  • Chapitre II Le jeu littéraire et ses dédoublements
  • Chapitre III Le lexique de la théorie littéraire
  • DEUXIÈME PARTIE VARIATIONS DE FOCALE
  • Chapitre IV Autour de L’Écharpe rouge (Yves Bonnefoy)
  • Chapitre V Mythe, parole et littérature
  • Chapitre VI Sacré, poésie et lecture littéraire
  • Chapitre VII Paroles

Préambule. Échange verbal différé

Nous voudrions exprimer d’abord notre gratitude envers nos collègues et amis argentins de l’Université Nationale de Córdoba, Susana Gómez et Nicolás Garayalde, attachés comme nous au renouvellement de la réflexion en matière de théorie littéraire. La coopération entre les universités de Reims et de Córdoba a conduit à la réalisation de deux colloques internationaux sur la lecture littéraire en 2018 et 2022. Sans les stimulations amicales venues de l’autre hémisphère, il est probable que le présent livre n’aurait jamais vu le jour.

Dans un monde en mutation accélérée, la littérature occupe une large place au sein du discours culturel et médiatique, non sans ambiguïté. La littérature, dans son sens actuel, est une notion relativement récente qui s’est imposée, il y a à peine trois siècles, comme pratique artistique du langage soumise au jugement esthétique d’autrui (Rancière, 2007). Que la qualité artistique puisse résister à la massification des échanges a paru assez vite suspect: dès la fin du XIXe siècle, Mallarmé soulignait l’incompatibilité entre la littérature et «l’universel reportage1». Que dire aujourd’hui, à l’heure où la transmission numérique des énoncés enserre de toutes parts l’ensemble des écrits publiés sur papier, considéré par d’aucuns comme îlot de résistance anachronique et par d’autres comme trésor en péril? Nous n’entrerons pas dans ce que nous considérons comme un faux débat, lui préférant l’idée d’une complémentarité des supports anciens et nouveaux.

En revanche, nous proposons d’associer à une nouvelle réflexion sur la littérature la notion de parole comme acte de langage créatif. L’entreprise n’est pas sans difficulté, ce vocable étant lui-même source d’équivoques nombreuses et, pour le dire vite, toujours menacé de se figer dans le stéréotype ou le cliché, en «langage cuit», selon la plaisante dénomination de Robert Desnos (1923) ou de dégénérer en avatars nocifs, non assignables à la singularité d’un énoncé. La parole, cependant, rend manifeste un des traits sous-jacents de l’expérience littéraire, la dimension réciproque de l’acte de langage sur lequel elle repose, autrement dit, l’implication d’une contre-parole, ou encore le caractère interlocutoire de tout énoncé situé ici dans un «échange verbal».

Deux précisions essentielles s’imposent à ce sujet. L’échange dont nous parlons n’est pas celui du dialogue au sens courant du terme: il ne s’agit pas de reprendre la vieille mais trompeuse idée de la littérature comme conversation entre auteur et lecteur, fût-ce par le truchement d’un texte. Nous prendrons «échange» dans le sens de «don» et de «contre-don», selon le modèle du potlatch pratiqué dans les sociétés primitives (Mauss, 1925). La notion d’échange littéraire ainsi comprise conduit à une réévaluation des pouvoirs et prérogatives du lecteur dont le principe s’est imposé depuis quelques décennies, mais elle se démarque de la tendance d’abord dominante qui voulut substituer à l’hégémonie ancienne de l’auteur celle du lecteur. Elle implique un rééquilibrage. Toutefois il faut aussi, pour que le don et le contre-don prennent sens, que soit reconnue une autre dimension essentielle de la relation littéraire: le facteur temps, par quoi elle se distingue des pratiques éphémères, vouées à l’insignifiance. Un «échange verbal différé» requiert le temps de l’élaboration et de l’interprétation.

L’écriture donne à ce temps de latence sa puissance maximale. Elle entre aussi dans le champ de la parole. En effet, selon le contexte énonciatif, la parole, outre le sens de la profération orale, peut s’appliquer à une performance écrite ; elle est alors l’inflexion apportée à l’idiome commun par celui qu’il faut bien nommer à nouveau «auteur», en dépit du caractère figural de sa représentation et au sens étymologique, de celui qui «augmente2». Après avoir décrété la «mort de l’auteur», Barthes s’attacha, comme on le sait, à sa résurrection partielle3, puis finit par rêver, dans la dernière période de sa vie à la «Préparation du roman» [1978-1980], avec en vue une forme nouvelle à inventer et, comme horizon, les plus grands, Proust ou Tolstoï.

Une théorie de la relation littéraire, en ce sens, ne peut plus être réduite à une théorie de la lecture, sauf à préciser le sens nouveau donné au syntagme «lecture littéraire», étendant l’activité du lecteur à la mise en mots de sa lecture. Inversement, elle ne saurait être une théorie de l’écriture pensée dans sa différence essentielle avec l’acte de lecture, selon les schémas anciens. Elle implique la prise en compte de l’articulation de ces deux actes, écrire et lire, dans leurs acceptions multiples et leur spécificité partielle, ce qui suppose une série de dédoublements entre ce que Foucault nomma «fonction auteur» (1969) et une «fonction lecteur», à réinventer.

Le mouvement que nous venons d’esquisser correspond à deux articles écrits en 2022, que nous avons eu le plaisir de proposer sur sollicitation aux revues Boletin et Badebec de l’Université Nationale de Rosario. Inédits dans leur version française, ils constituent l’ouverture de cet essai revenant sur les notions de «lecture littéraire» et de «jeu»4. Le troisième chapitre, «le lexique de la théorie littéraire», également inédit, offre une version étoffée de notre communication présentée lors du colloque de Córdoba. L’enjeu en est le maintien d’une visée théorique en matière de littérature, lequel passe selon nous par une réflexion sur le vocabulaire de la théorie, dans son lien avec la notion de catégorie.

Il nous a semblé que ces trois propositions pour une théorie renouvelée du littéraire trouvent un prolongement particulier ou plus général dans les chapitres suivants, versions légèrement remaniées d’articles écrits dans le même mouvement de pensée et récemment publiés, ou productions également inédites.

Le dernier livre d’Yves Bonnefoy, L’Echarpe rouge (2016), objet du chapitre 4, associe comme l’ensemble de son œuvre, poésie et langages sur l’art ; nous croyons y discerner une anticipation de l’échange, tel que nous venons de l’évoquer.

Cet échange met en jeu deux modalités de la parole: une parole en quelque sorte anonyme, venue du répertoire mythique de l’humanité et une parole singulière, plus spécialement accordée à l’idée de littérature au sens moderne. Il s’agira dans le chapitre 5, «mythe, parole et littérature», de donner à comprendre comment s’articulent ces deux dimensions, anonyme et singulière.

Un des traits de l’échange, on le devine, est la non-clôture ; le chapitre 6, «Sacré, poésie et lecture littéraire», aborde à ce propos la tentation d’un certain nombre de poètes de jouer les prophètes, dont la parole fulgurante serait vouée à la seule répétition ou profération du lecteur ; nous interrogeons en ce sens le rapport entre la littérature et le sacré.

Le dernier chapitre, également inédit, tentera, suivant les traces proches ou anciennes de Prévert, Rabelais, Aragon et Queneau, de montrer la nécessité et l’actualité d’une réflexion portant sur le lien entre littérature et parole au pluriel.

La composition que nous venons de décrire implique un certain nombre d’échos d’un chapitre à l’autre. Le lecteur pourra naviguer dans l’ensemble au gré de sa curiosité. Au moins essayons-nous de maintenir à l’échelle globale l’impératif de cohérence.


1 Stéphane Mallarmé, «Crise de vers», in Divagations, [1897], 2003: 212.

2 L’une des étymologies possibles du terme «auteur» le rapporte à la racine latine: augere = faire croître (Alain Rey, Le Robert, Dictionnaire Historique de la langue française en deux volumes, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1994, I, p. 145).

Résumé des informations

Pages
188
Année
2024
ISBN (PDF)
9783034349628
ISBN (ePUB)
9783034349635
ISBN (Broché)
9783034349611
DOI
10.3726/b21880
Langue
français
Date de parution
2024 (Août)
Mots clés
arrière-texte mythe fiction-scénario fiction-figure écriture jeu parole lecture
Published
Bruxelles, Berlin, Chennai, Lausanne, New York, Oxford, 2024. 188 p.

Notes biographiques

Alain Trouvé (Auteur)

Alain Trouvé, MCF HDR à l’Université de Reims, est vingtièmiste et théoricien de la littérature. Parmi ses publications, Le Lecteur et le livre fantôme (2000), Le Roman de la lecture (2004), L’Arrière-texte (co-écriture, Peter Lang, 2013) et Nouvelles déclinaisons de l’arrière-texte (2018).

Précédent

Titre: La Littérature comme échange verbal différé