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António Sardinha (1887-1925) et la contre-révolution ibérique

Le penseur et ses héritages

de George Gomes (Auteur)
©2024 Monographies 166 Pages
Série: Convergences, Volume 109

Résumé

Ce livre étudie le parcours d’António Sardinha (1887-1925), maître à penser du mouvement monarchiste traditionaliste portugais de l’Intégralisme lusitanien, ainsi que polémiste prépondérant, mais controversé de la droite radicale portugaise du début du XXe siècle. À travers de nombreuses sources imprimées et archives privées, l’auteur propose une étude critique des principales idées qui se dégagent de l’oeuvre politique de Sardinha, en les situant dans leur contexte, avant de se pencher sur sa réfl exion concernant une possible alliance contrerévolutionnaire luso-espagnole, voire ibéro-américaine. Enfi n, l’ouvrage dresse le bilan de l’infl uence et de l’héritage intellectuels du penseur. Il démontre, d’une part, comment ses écrits ont marqué de leur empreinte la dictature de Salazar au Portugal, notamment à travers de jeunes hommes politiques comme Pedro Teotónio Pereira et Marcello Caetano au Portugal; d’autre part, il met en lumière l’impact à l’étranger de l’« hispanisme », qui a notamment trouvé en Ramiro de Maeztu un lecteur assidu en Espagne et en Gilberto Freyre un admirateur brésilien.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction
  • Première Partie - Sardinha : Origines et idéologie
  • 1. Jeunes années
  • 2. L’Intégralisme lusitanien et l’Action française : une filiation polémique
  • 3. Influences et références
  • 4. Une pensée traditionaliste au XXe siècle
  • Passéisme, progrès et modernité intégraliste
  • La réécriture de l’Histoire
  • Deuxième Partie - De l’exil à l’Alliance Péninsulaire
  • 1. La Monarchie du Nord
  • 2. De l’anti-ibérisme à l’Alliance Péninsulaire
  • Découverte de l’Espagne et retour sur le débat de l’Ibérisme
  • Premiers articles espagnols et construction d’un réseau intellectuel
  • 3. Campagne pour l’hispanisme
  • Retour à la tête de l’Intégralisme et parution de A Aliança Peninsular
  • La fraternité luso-espagnole
  • L’Amérique du Sud
  • Troisième Partie - Héritages de António Sardinha
  • 1. La mort du maître
  • 2. Oppositions et soutiens à l’hispanisme
  • 3. Sardinha et salazarisme
  • Sardinha aux origines de l’État Nouveau ?
  • L’hispanisme de Sardinha à Salazar
  • Pedro Teotónio Pereira et Marcello Caetano
  • 4. À l’étranger
  • L’Action espagnole et l’Intégralisme lusitanien, Maeztu et Sardinha
  • L’Action Intégraliste brésilienne et les réseaux brésiliens de Sardinha
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Chronologie de António Sardinha (1887–1925)
  • Index Onomastique

Introduction

Le début du XXe siècle au Portugal, qui, entre 1910 et 1926, vit s’effondrer, tour à tour, la monarchie constitutionnelle et la Première République, s’avéra être une période de transition aussi mouvementée que riche en rebondissements et compromis politiques, tant chez les républicains que chez les monarchistes. Pour les droites lusitaniennes, et en particulier pour les droites monarchistes, profondément divisées entre elles, l’époque fut celle des pactes improbables et des choix parfois impossibles. Ce fut dans ce contexte d’affrontements politiques, sociaux et militaires qu’apparut un des plus actifs mouvements d’idées antirépublicaines et antidémocratiques que le Portugal ait connu : l’Intégralisme lusitanien, indissociable de son leader, le monarchiste António Sardinha (1887–1925). Détracteur féroce de l’expérience libérale lusitanienne menée depuis le début du XIXe siècle, partisan de la monarchie traditionaliste et antiparlementaire, Sardinha est aussi le penseur le plus controversé de la mouvance monarchiste des années 1910–1920 au Portugal. Il a frappé les esprits en son temps et il nous surprend toujours aujourd’hui, non seulement par la sinuosité de son parcours politique, mais aussi par la fermeté avec laquelle il a livré chaque « bataille des idées » pendant sa courte vie. C’est à ce penseur ibérique des plus singuliers, ainsi qu’à son cheminement intellectuel décisif dans la transition du Portugal de la Première République à la dictature conduite par António de Oliveira Salazar (1889–1970) que nous consacrerons ce livre.

Mort précocement en 1925, à 37 ans, António Sardinha est né en 1887, à Monforte – Alentejo, dans le sud du Portugal. Issu d’une famille de la petite aristocratie rurale désargentée depuis la fin du XIXe siècle, il se montrera toujours très fier de ses origines provinciales qu’il considérait comme déterminantes dans son choix de s’engager pour la restauration de la monarchie traditionnelle : « Au moment de mon entrée dans les rudes batailles du traditionalisme portugais, les forces mystérieuses de mon ascendance, la longue procession de mes aïeux ruraux, m’ont ouvert en grand les portes de la Religion et de la Monarchie »1.

D’abord poète et auteur de nombreux recueils, presque tous publiés de son vivant2, António Sardinha laisse surtout derrière lui une œuvre politique foisonnante consacrée à l’apologie de la contre-révolution traditionaliste. Au nom de cette contre-révolution, qu’il croyait « moderne » et nullement passéiste, Sardinha mena tout un processus de révision historique, ou plutôt de « rectification », visant à démolir un siècle de libéralisme constitutionnel au Portugal ou, en d’autres termes, tout ce qu’il considérait, à l’instar de Léon Daudet (1867–1942), appartenir à l’héritage politique et intellectuel du « stupide XIXe siècle ».

Mais sa contre-révolution se voulait aussi bien ancrée dans une tradition nationaliste portugaise que porteuse d’une ambition transnationale qui semblait se détourner volontairement de l’Europe pour se lancer dans un projet d’alliance politique, économique et culturelle avec l’Espagne et les pays de l’Amérique lusophone et hispanique. Ce projet et son originalité dans le cadre de l’histoire des idées ibériques retiendront tout particulièrement notre attention dans la deuxième partie du présent ouvrage.

En effet, produits à trois moments clés de la courte vie du penseur monarchiste – lors de sa jeunesse militante, lors de son exil espagnol (1919–1921) puis après son retour au Portugal –, les textes « hispaniques » de Sardinha témoignent du parcours idéologique complexe d’un auteur déroutant à plus d’un titre. Les constantes inflexions qui jalonnent son parcours politique – de l’anarchisme juvénile à la monarchie traditionaliste, en passant par le républicanisme des années 1910–1912, puis, par la défense d’une alliance péninsulaire aux allures provocatrices pour l’intelligentsia portugaise de l’époque – continuent de soulever des interrogations au sein de l’historiographie nationale. Accusé en 1924, au moment de la publication de son dernier livre, A Aliança Peninsular, d’avoir voulu « vendre » son pays à l’Espagne, Sardinha se retrouva, souvent, bien qu’à tort, taxé d’incohérence et de trahison à ses idéaux. Pourtant, outre « un rôle décisif dans la rénovation du vocabulaire politique qui mettait le Portugal en relation avec, non seulement, l’Espagne, mais aussi avec les autres nations de langue espagnole »3, c’est sa théorisation sur « l’hispanisme » qui lui permit de consolider son statut de penseur antidémocrate des plus influents de la droite portugaise des années 1910–1930.

Bien connu des élites politiques et intellectuelles portugaises de son temps, républicaines et monarchistes, Sardinha fut l’objet de nombreux travaux tantôt apologétiques tantôt démolisseurs, pour la plupart écrits par d’anciens collaborateurs, mais aussi par certains de ses ennemis, au Portugal, en Espagne et au Brésil, dès les années qui suivirent sa mort, en 1925. Plusieurs d’entre eux parurent à des moments charnières de l’histoire du XXe siècle de ces trois pays4. En revanche, après la Révolution du 25 avril 1974, qui mit fin à près d’un demi-siècle de dictature au Portugal, l’historiographie portugaise a été longuement silencieuse au sujet d’António Sardinha, dont l’idéologie allait tout à fait rebours du marxisme militant très présent dans les universités lusitaniennes de l’époque.

Un regain d’intérêt s’est manifesté à partir de la fin des années 1980, avec les études de l’historien portugais Manuel Braga da Cruz sur les affinités entre le salazarisme et l’Intégralisme lusitanien. Depuis, bon nombre de travaux académiques ont été produits à ce sujet5. Un regard plus apaisé et neutre semble enfin émerger sur ce mouvement politique qui, conduit par Sardinha, aura durablement marqué la pensée nationaliste portugaise de la première moitié du XXe siècle. Quant à Sardinha, les études scientifiques le concernant spécifiquement furent lancées par la revue A Cidade qui lui consacra un numéro en 19886. Mais ce fut seulement à partir des années 1990 que la recherche à son sujet s’enrichit considérablement avec les travaux de l’historien et philosophe Paulo Archer de Carvalho7 et, surtout, avec la parution de plusieurs ouvrages de l’historienne Ana Isabel Sardinha-Desvignes8.

Dérangeant, encombrant, aujourd’hui encore, António Sardinha le fut surtout en son temps, à la fois pour les républicains et pour les monarchistes portugais. Plus tard, après sa mort en 1925, il le demeura pour la droite salazariste et pour Salazar lui-même, qui l’a certainement croisé à l’Université de Coimbra, sans que les deux hommes aient eu une quelconque relation. Avec ses multiples revirements politiques et spirituels, Sardinha ne fut cependant pas un cas singulier au Portugal et dans l’Europe occidentale de l’époque. Son cheminement erratique ressemble, à bien des égards, à celui de nombreux autres intellectuels européens9. Comme eux, il est le produit d’une époque nouvelle : celle de la Première Guerre mondiale et de l’entre-deux-guerres ; une époque fascinée par le monde nouveau qui se profilait, qui attirait, en même temps qu’il révulsait, et où modernité et traditionalisme, ordre et inquiétude se faisaient face et se combattaient farouchement. Aussi, c’est également cette complexité de la vie intellectuelle du début du XXe siècle que ce livre examinera à travers le parcours d’António Sardinha, qui fut, selon l’historien portugais Rui Ramos :

Le premier intellectuel portugais à rompre avec les préjugés idéologiques des générations antérieures (le rationalisme positiviste, l’anticléricalisme et le pacifisme), entrant ainsi dans le XXe siècle comme dans un monde libéré de ses entraves, un monde désengourdi10.


1 António Sardinha, Na Feira dos Mitos, Lisbonne, Livraria Universal, 1926, p.XVI. L’ensemble des sources et des études critiques écrites en portugais et en espagnol et citées dans cet ouvrage n’ont jamais été traduites auparavant en français. À l’instar de cette première citation, les suivantes, originellement écrites en portugais ou en espagnol, ont donc aussi été traduites par nos soins vers le français.

2 Voir bibliographie finale.

3 Sérgio Campos Matos, Iberismos – nação e transnação, Portugal e Espanha (c.1807- c.1931), Coimbra, Imprensa da Universidade, 2016, p.191.

4 Voir, par exemple, António Jorge de Almeida Coutinho, António Sardinha, Um apóstolo Contrarrevolucionário e Retificador da História de Portugal, Porto, Araújo e Sobrinho, 1930 ; Fernando Gallego de Chaves Calleja marqués de Quintanar, Por tierras de Portugal, Madrid, Compañía General de Artes Gráficas, 1930, pp.53–60 ; Guilherme Auler, António Sardinha, Recife, Ciclo Cultural Luso-Brasileiro, 1943 ; António Rodrigues Cavalheiro, António Sardinha e o Iberismo, Acusação Contestada, Lisbonne, Biblioteca do Pensamento Político, 1974 ; António José de Brito, Para a compreensão do pensamento contrarrevolucionário: Alfredo Pimenta, António Sardinha, Charles Maurras, Salazar, Lisbonne, Hugin Editores, 1996 ; Ruy Miguel, António Sardinha : Monarquia e Nacionalismo, Lisbonne, Contra-Corrente, 2013.

5 Voir, Manuel Braga da Cruz, « O Integralismo Lusitano e as origens do salazarismo », in: Análise Social, 1a série, vol.18, nº 70, 1982, pp. 137–182; Monárquicos e Republicanos no Estado Novo, Lisbonne, Publicações Dom Quixote, 1987 ; António Costa Pinto, « A Formação do Integralismo Lusitano (1907–1917) » in: Análise social, vol. 18, no109 Lisbonne, 1982, pp.1409–1419 ; Paulo Archer de Carvalho, A Nação Portuguesa ou a Doutrinação Integralista, Coimbra, édition de l’auteur, 1992 ; Id., Nação e Nacionalismo : mitemas do Integralismo lusitano, édition de l’auteur, 1993 ; José Carlos Almeida, « Alguns apontamentos sobre o tema da revisão da história e da cultura como programa de trabalho em António Sardinha », in : A Cidade. Revista Cultural de Portalegre, nº2, 1988, pp.153–166 ; Cecília Barreira, « Três nótulas sobre o integralismo lusitano, evolução, descontinuidade, ideologia, nas páginas da Nação Portuguesa, (1914–1926)», in : Análise Social, vol.18, no72, 1982, pp. 1421–1429; Manuel Cardoso, « Misticismo e ideologia no contexto cultural português: a saudade, o sebastianismo e o Integralismo lusitano» in : Análise Social, vol.18, n°72–74, 1982, pp.1399–1408. Et, surtout, l’ouvrage de référence de José Manuel Quintas, Filhos de Ramires, As Origens do Integralismo Lusitano, Lisbonne, Nova Ática, 2004.

6 Voir, notamment, António Ventura, « Correspondência de António Sardinha para o editor elvense António Torres de Carvalho (1902–1916) », in : A Cidade. Revista Cultural de Portalegre, nº2, 1988, pp. 175–202 ; João Medina, « Antonio Sardinha, Antisemita », in : ibid., pp.45–122 et Jorge Borges de Macedo, « Para uma avaliação do magistério de António Sardinha », in : ibid., pp.141–152.

7 Paulo Archer de Carvalho, Nação e Nacionalismo: mitemas do Integralismo lusitano, Coimbra, Imprensa da Universidade de Coimbra, 1993 ; « De Sardinha a Salazar : O nacionalismo entre a Euforia Mística e a formidável paranoia », in : Revista de História das Ideias, Lisbonne, vol. 17, 1995, pp.79–123; « Ao Princípio era o Verbo: o eterno retorno e os mitos da historiografia integralista », in : ibid., vol.17, 1996, pp.231–243; « Cartas de António Sardinha para Eugénio de Castro (1905–1924)», in: Arquivo Coimbrão, vol. 40, 2008, pp. 7–91 ; « Integralismo Lusitano: Reação, Recristianização, Retorno », in : Locus: Revista de história, vol.18, no 1, 2012, pp. 13–31.

8 Voir, Ana Isabel Sardinha-Desvignes, Nas Origens do Integralismo Lusitano. António Sardinha. Aspetos de um Percurso Intelectual no Século (1902–1915), Thèse de Doctorat polycopiée, Lisbonne, ISCTE, Secção Autónoma de História, 2001; António Sardinha (1887–1925), Um intelectual no Século, Lisbonne, Imprensa de Ciências Sociais, 2006; Correspondência de António Sardinha para Ana Júlia Nunes da Silva (1910–1912), Lisbonne, Universidade Católica Editora, 2008 ; Tempos de exílio. Correspondência de António Sardinha para Ana Júlia Nunes da Silva (1918–1921), Lisbonne, Universidade Católica Editora, 2022.

9 Voir, Antoine Compagnon, Les antimodernes de Joseph de Maistre à Roland Barthes, Paris, Éditions Gallimard, 2005.

Résumé des informations

Pages
166
Année
2024
ISBN (PDF)
9782875749338
ISBN (ePUB)
9782875749345
ISBN (Relié)
9782875749321
DOI
10.3726/b21404
Langue
français
Date de parution
2024 (Avril)
Mots clés
Histoire contemporaine contre-révolution Portugal Espagne Brésil hispanisme relations luso-espagnoles relations ibéro-américaines
Published
Bruxelles, Berlin, Chennai, Lausanne, New York, Oxford, 2024. 166 p.

Notes biographiques

George Gomes (Auteur)

George Gomes est professeur certifi é docteur à l’Université Rennes 2, où il dispense des cours d’histoire, de culture et de langue portugaises. Il a soutenu, en 2019, à l’École Pratique des Hautes Études, une thèse de doctorat en Histoire contemporaine intitulée António Sardinha, penseur transnational de la contre-révolution (1913-1925).

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