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Une question « chaude »

Histoire de l’éducation sexuelle à l’école (France, XXe-XXIe siècle)

de Yves Verneuil (Auteur)
©2023 Monographies 536 Pages
Série: Exploration, Volume 209

Résumé

Aux premières heures du XXe siècle, alors que la sexualité est un tabou social, des médecins hygiénistes, obsédés par la lutte contre les maladies vénériennes, recommandent d’introduire une éducation sexuelle à l’école. Leur proposition suscite aussitôt un vif débat, dont les termes vont perdurer jusqu’à nos jours. Une telle éducation ne va-t-elle pas pervertir enfants et adolescents ? Quelle est la légitimité de l’école pour intervenir dans un domaine qui semble relever de l’intime et de la famille ? Une éducation sexuelle collective peut-elle éviter de froisser la sensibilité de certains enfants ?
Un siècle plus tard, après de multiples expérimentations, cette éducation, qui considère désormais la sexualité dans toutes ses dimensions, est devenue obligatoire. Mais elle demeure une « question socialement vive ». En se fondant sur des archives nouvelles, de nombreux périodiques (médecins, parents d’élèves, syndicats enseignants…) et des témoignages, cet ouvrage en retrace l’évolution, de la prudence du vice-recteur de Paris Louis Liard au volontarisme de Pap Ndiaye.

Table des matières

  • Cover
  • Titel
  • Copyright
  • Autorenangaben
  • Über das Buch
  • Zitierfähigkeit des eBooks
  • Sommaire
  • Liste des sigles et acronymes
  • Préface par Rita Hofstetter
  • Introduction
  • Chapitre 1Premières préconisations à la Belle Époque : l’éducation sexuelle contre le « péril vénérien »
  • IL’école du tabou de la sexualité
  • IIL’éducation sexuelle : une prophylaxie sanitaire et morale ?
  • IIIBrochures, cours ou conférences ?
  • IVCritiques de l’éducation sexuelle collective
  • Conclusion
  • Chapitre 2Entre propositions et anathèmes : les débats de l’Entre-deux-guerres
  • ILe refus de la Fédération des associations de parents d’élèves des lycées et collèges (1922–1929)
  • IIDes vœux insistants, des réalisations limitées
  • IIISceptiques et opposants
  • IVL’initiative éphémère du gouvernement du Front populaire
  • VÀ l’heure du moralisme vichyssois
  • VIL’expérience originale de Pierre Chambre
  • Conclusion
  • Chapitre 3Réflexions et expérimentations (1944–1973)
  • ILa Commission Louis François (1947–1948)
  • IILes expérimentations des années 1950 et 1960
  • IIILe GNIES
  • Conclusion
  • Chapitre 4La circulaire Fontanet, ou comment distinguer information et éducation sexuelles (1973)
  • IDe l’affaire Carpentier à l’affaire Mercier
  • IILa circulaire Fontanet
  • IIIEntre inertie, difficultés et désintérêt
  • Conclusion
  • Chapitre 5De l’information sur la contraception à l’éducation à la sexualité obligatoire (1981–2001)
  • IInformation sur la contraception et éducation sexuelle
  • IIL’éducation sexuelle au temps du Sida
  • IIIL’institution d’une éducation à la sexualité obligatoire (1996–1998)
  • IVL’éducation à la sexualité : un élargissement du champ
  • VDe la pilule du lendemain pour les infirmières scolaires à l’éducation à la sexualité inscrite dans la loi
  • Conclusion
  • Chapitre 6D’une circulaire à l’autre (2003–2022)
  • ILa circulaire du 17 février 2003
  • IIPolémiques sur l’introduction à l’école d’une « théorie du genre »
  • IIILa circulaire du 12 septembre 2018 et ses suites
  • Conclusion
  • Conclusion
  • Sources
  • Bibliographie
  • Liste des documents
  • Liste des tableaux
  • Index

Préface

De l’« école du tabou » à une culture de l’égalité entre les sexes

Ce volume comble une étonnante lacune. Alors que la sexualité des jeunes scolarisé·es cristallise de longue date les attentions et suscite une litanie de discours et circulaires, quand elle ne figure pas au palmarès des polémiques scolaires, elle constitue un parent pauvre de l’histoire longue de l’éducation en France. L’ouvrage d’Yves Verneuil arrive ainsi à point nommé. Inscrit dans l’engouement récent pour la construction des identités genrées, il retrace la sociogenèse des controverses publiques sur l’éducation sexuelle à l’école au fil du XXe siècle jusqu’à nos jours.

Les émois d’une nation : obsessions, tergiversations, émancipations

Les historien·nes de l’éducation ont largement démontré que les contenus scolaires sont loin d’être neutres et préservés des interférences confessionnelles, sociopolitiques et économiques. Pas plus en France – connue pour ses récurrentes « guerres scolaires » – que dans d’autres pays. L’éducation sexuelle à l’école constitue précisément aussi l’une des « questions vives », question « chaude » assurément, discutée et disputée sans relâche depuis quelque 130 ans ; en ce premier quart du XXIe siècle, elle a encore suscité des dissensions, dont a témoigné la polémique autour de la prétendue « théorie du genre », sous le prétexte d’une perte irrémédiable de la binarité sexuée.

Longtemps apparentée à une dissuasion et répression sexuelles, cette éducation ne pourrait-elle pas constituer un rempart face à la dégénérescence des mœurs, aux contagions vénériennes, à l’abâtardissement de la race ? Ne conditionne-t-elle pas le bon fonctionnement sociétal et la préservation de la nation, ancrés dans une conception patriarcale de la famille, que relaient l’obsession démographique des familialistes et natalistes, et même certains de leurs contradicteurs, les néo-malthusiens prônant le contrôle des naissances pour endiguer la surpopulation ? Cette éducation a aussi figuré au premier plan de certaines croisades féministes dont les visées émancipatrices connaissent des déclinaisons plurielles, et des abolitionnistes, qui luttent pour leurs parts contre tout esclavage sexuel.

Pour les plus « progressistes », l’école devrait servir de lieu d’information, d’instruction et de prévention, afin d’ajuster l’éducation aux évolutions des mentalités, d’offrir à chacun·e une éducation complète et non discriminante, d’accompagner les conquêtes féministes qu’élargissent les mouvements LGBTQIA+, de déjouer les rapports de pouvoir entre sexes, de répondre aux questions identitaires des jeunes, de décrypter avec eux la façon dont le corps sexué se fabrique et peut se vivre. À condition certes de s’affranchir de la conviction que l’ignorance préserve l’innocence, de reconnaître que les premiers émois juvéniles ne sont pas pervers et d’accepter de déléguer à l’école une part de ce qui est supposé se vivre dans l’intimité des familles. On le constate d’emblée : la frontière entre l’espace privé et public, entre les comportements individuels et les responsabilités citoyennes, est ici questionnée, de même que certains droits, laborieusement conquis. Parmi ceux-ci, ce que l’on appelle aujourd’hui le droit à une éducation complète adaptée et progressive – laquelle inclut la santé sexuelle et reproductive (ONU, UNESCO, OMS, Conseil de l’Europe) –, le droit à une sexualité épanouie et responsable, qui comprend désormais le droit de son orientation sexuelle. À l’école, revient la mission de promouvoir une culture de l’égalité entre toutes et tous, pour démanteler en particulier tout sexisme, tout harcèlement et maltraitance.

C’est ce que Yves Verneuil problématise dans son passionnant ouvrage, qui met en scène les discours des trois principaux ensembles de protagonistes, dont les positions – aussi au sein de chaque groupe – divergent1. 1. Les répondant·es de l’éducation nationale française (incluant le privé sous contrat, et leurs relais ecclésiastiques) ainsi que les enseignant·es et leurs associations ; 2. Les familles toutes classes et provenances comprises, à travers leurs fédérations, dont celles de l’enseignement catholique ; 3. Ceux et celles qui se positionnent en spécialistes des nouvelles sciences de l’enfance et l’adolescence (des philanthropes, pédagogues, philosophes, psychologues, hygiénistes, biologistes, aux dermatologues, démographes, gynécologues, obstétricien·nes, sociologues, psychiatres, psychanalystes, juristes), en particulier les sociétés d’hygiénistes et d’éducation prophylactique, dont les congrès portent le problème sur l’avant-scène internationale dès la fin du XIXe siècle. Si les positions de ces protagonistes diffèrent, en fonction aussi de l’évolution des mentalités et modes de socialisations de leurs proches cercles familiaux, ils·elles ont pour la plupart côtoyé des espaces sociaux où d’analogues silences ont pu recouvrir ces troubles désirs et « l’intouchable » double morale. Yves Verneuil analyse les véhéments débats de ces acteurs individuels et collectifs, réunis ici, pourrait-on dire, par le fait qu’ils trompent certains des tabous de leur époque (je renvoie ici à « l’École du tabou de la sexualité », significative expression d’Yves Verneuil, Chapitre 1. I). Fût-ce pour les consolider. Ou pour démontrer leurs effets pernicieux.

Une problématique révélatrice de la pluralité des regards penchés de longue date sur la sexualité juvénile

Cet ouvrage retrace ainsi pour la première fois l’histoire conflictuelle de l’éducation sexuelle à l’école en France sur la longue durée. Son auteur exhume des sources qui s’étendent des années 1880 à nos jours, s’inscrivant de surcroît résolument dans l’histoire du temps présent. Ce temps long constitue selon moi un atout majeur de l’œuvre d’Yves Verneuil, nourrie d’analyses sérielles d’une variété de sources : débats et décrets ministériels, pétitions et anathèmes, discours dans des congrès nationaux et internationaux, prises de positions dans des périodiques scientifiques et pédagogiques, entre-filets de presse, éclats des médias et de la cinématographie, enquêtes d’opinions (parents, normaliennes, élèves, population), programmes scolaires et manuels éducatifs. L’auteur croise ces discours avec des sources orales grâce à des entretiens ciblés auprès d’acteurs de la définition et de la mise en œuvre de la politique d’éducation sexuelle.

En dégageant rémanences et ruptures, la longue durée permet de visibiliser des temporalités plurielles que favorise une approche intégrant différents champs historiographiques : en spécialiste de l’histoire sociale et culturelle de l’école en France, Yves Verneuil contextualise ainsi cette dernière au regard de l’histoire des mentalités, des femmes et du genre, des évolutions des sciences naturelles et des sciences humaines et sociales, des récentes sciences des sexualités, tout en prenant en compte les effets des successives révolutions industrielles, politiques, sanitaires, démographiques. Et sexuelles bien sûr.

Le présent volume met ainsi en relief la manière dont certains des protagonistes scolaires s’opposent à ce que seul le secret du confessionnal soit le garant d’une nature saine (jugée « surnaturelle » par d’aucuns), sans scandaliser les familles catholiques promptes à privilégier l’enseignement libre. Il décrypte leur façon encore de faire face à la propagation de maladies vénériennes conjointement aux alertes natalistes face au déclin démographique et aux périls congénitaux. Il dépeint comment ces protagonistes se positionnent de surcroît dans les années soixante devant les revendications à la liberté sexuelle des jeunes, l’évolution des méthodes contraceptives, la démocratisation sous forme de massification de la scolarisation, dans un contexte où perdurent l’assignation des femmes à leurs fonctions maternelles et de tenaces discriminations à l’encontre des LGBT. Grâce à cette large approche, Yves Verneuil met en évidence les transformations majeures qui scandent cette histoire, depuis la « Belle époque » aux tracts et tweets de « l’ère du #MeToo », par devers d’analogues hantises et discriminations (sociales, sexuelles, ethniques, confessionnelles notamment).

L’historien établit que ce sont bien des événements externes à la sphère scolaire, qui permettent de saisir ce qui s’y joue, expliquant ainsi pourquoi des regards si contrastés se penchent sur l’éducation à la sexualité, fût-ce pour la condamner. Parmi ces phénomènes, les grandes crises constituent des accélérateurs sans pareil d’une réflexion voire de changements en la matière, vu leurs répercussions, aujourd’hui largement documentées : les pandémies vénériennes à l’exemple traumatisant de la syphilis et du sida, dont la contagiosité défie les frontières et connaissances sanitaires, non sans inciter à leurs actualisations ; cela, plus encore en période de guerres et famines, et ses cortèges migratoires, ses jeunesses à l’abandon, ses échanges en nature pour survivre, les promiscuités dans les tranchées, les « femmes de réconfort » et autres prostitutions organisées auprès des soldats, les violences en terres conquises ou ethnies à soumettre. Pour les contemporains, le devenir de la nation et l’avenir de l’humanité sont dès lors en jeu.

Bien que sa perspective soit plus large, privilégiant les controverses publiques, et non pas les témoignages personnels et ce qui se joue en classe, cet ouvrage renvoie son lectorat – c’est le cas pour moi tout au moins – à sa propre intimité et sa trajectoire personnelle, fissurant la chape de plomb des silences imposés aux nouvelles générations : outre le possible silence des familles (où l’éveil à la sexualité peut toutefois s’accomplir avec ou par la fratrie, la nourrice, voire de proches parents), le tenace silence des programmes, des manuels, des cours magistraux, des formations à l’enseignement. Un silence qu’ont renforcé les interdits et normes des constructions scolaires, pour contrôler la possible irruption de cette sexualité : depuis les organisations des filières (longtemps distinctes selon le sexe) aux dispositions des classes et consignes vestimentaires jusqu’aux latrines – c’est-à-dire les toilettes plus sobrement encore qualifiées de « cabinets d’aisance » – où des ouvertures dessus et dessous permettent une surveillance constante. Et pourtant, ce sont bien ces espaces de socialisations qui recèlent les traces d’émois juvéniles intimes.

Qui ne préserve pas un souvenir ému des billets doux et discrets câlins échangés à l’abri du regard de l’enseignant·e, des cœurs dessinés en marges des cahiers, des plaisirs de « jouer au docteur » avec ses camarades en prélude à quelques expérimentations clandestines, des magazines et illustrés feuilletés avec une curiosité d’autant plus fiévreuse que l’on perçoit d’emblée qu’ils délivrent des savoirs indexés ? Qui ne conserve pas en mémoire les confidences entre proches camarades sur la découverte des premières émotions sensuelles, sur les métamorphoses de son corps, sur l’intensité d’une puberté excitée, sur ses premières menstruations, érections et jouissances ? Œuvres romanesques et cinématographiques, autobiographiques également, démontrent à l’envi que l’éducation sexuelle à l’école est largement le fait des pairs, compagnons de route des amoureux·ses timides, transi·es, comblé·es, éploré·es, aussi. Certes, nous prenons mieux la mesure aujourd’hui des violences, harcèlements et abus qui ont été vécus et se vivent encore dans ces espaces supposés avant tout préserver, élever et émanciper la jeunesse.

Analysant les discours de ceux et celles qui se positionnent comme spécialistes de l’éducation sexuelle de la jeunesse, Yves Verneuil montre comment, au nom de la raison ou de la morale, de la science ou de ses détracteurs, de leurs convictions et valeurs surtout, des expert·es se profilent pour qu’une telle éducation repose désormais sur une parole adulte autorisée ; reste à définir par qui, où, comment et sur quoi. Difficile à ce propos de concilier des positions qui peuvent aussi radicalement diverger et de surmonter les dilemmes de chaque époque, qui s’accommode aussi de certains arrangements sociétaux. Cet ouvrage met en lumière comment d’inlassables tentatives s’attachent à faire reconnaître l’importance de la sexualité infantile et juvénile, d’une éducation (collective aussi) à la sexualité, du rôle de l’école dans le domaine, d’une réduction des discriminations en matière de sexualités, qui en appelle à l’institutionnalisation de l’éducation sexuelle à l’école (réalisée à partir de 1973 en France) ; mais aussi, en parallèle, comment certains discours s’échinent à l’inverse à normaliser les comportements et – je m’autorise des métaphores personnalisées – à corseter les corps, naturaliser les identités, museler et exciser les femmes, silencer ces émois sensuels, invisibiliser les sexualités juvéniles.

Former sans déflorer – Trajectoires féminines

Parmi les plus frappantes différenciations figurent les discriminations sociales et genrées. Un zoom sur celles-ci exemplifie le profil des protagonistes – des trajectoires féminines aussi – et la teneur de leurs arguments, lesquels prêteraient à sourire, s’ils ne révélaient pas des convictions encore répandues, officiellement plus sobrement énoncées.

En parallèle puis dans le sillage de pédagogues françaises bien connues, telle Pauline Kergomard, les premier·es hygiénistes, docteur·es et psychologues scolaires, féministes aussi, ont pour cheval de bataille une formation sexuelle adaptée et progressive. Tel est le pari audacieux de la directrice de l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres, Anna Amieux, lorsqu’elle propose une formation à l’éducation sexuelle via des causeries aux professeur·es de son école, aux élèves des écoles normales et lycées, aux parents de ceux-ci également. Au-delà du champ pédagogique, cet ouvrage évoque les trajectoires palpitantes d’autres femmes qui se dédient à ces causes. L’écrivaine féministe et anarchiste Madeleine Pelletier, première médecin diplômée en psychiatrie en France, favorable à l’émancipation sexuelle des femmes, à une unique morale et à l’avortement, qui plaide avec sa complice Nelly Roussel, pour une éducation à la sexualité des femmes (Chapitre 1). Dans l’entre-deux-guerres, les syndicalistes des groupes féministes de l’enseignement laïque relaient le combat des médecins. Des ambassadrices se distinguent ; parmi celles-ci la doctoresse Dr Germaine Montreuil-Straus, longtemps cheville ouvrière de l’Association internationale des femmes médecins, qui préside le Comité d’éducation féminine (créé en 1925) de la Société de prophylaxie et qui élargit ses conférences et séjours à l’Afrique du Nord et à la Suisse romande (Chapitre 2).

Plus délicate est toutefois la situation de la professeure de philosophie Nicole Mercier, contre laquelle une cabale est menée pour avoir permis aux langues de se délier dans un cours sur « Les instincts de l’homme sont-ils sociaux ou asociaux ? ». L’affaire revêt bientôt une dimension politique et pédagogique nationale, incitant in fine à clarifier la nature des informations et éducation sexuelles qui incombent aux enseignant·es (Chapitre 4). Dans les années 1980, on retrouve d’autres figures féministes, telle Yvette Roudy, qui, du haut de son ministère des Droits de la femme, intègre à part entière dans les écoles l’information sur la reproduction, la régulation des naissances et ses techniques, où les questions de contraception et de préjugés sexistes figurent enfin de droit ; ce qu’elle peut s’autoriser grâce à ses conseillères ministérielles, telle Simonne Iff, ancienne présidente du Mouvements français pour le planning familial (Chapitre 5).

Toutes les femmes ne sont pas nécessairement les plus progressistes s’agissant de la liberté sexuelle des femmes. Et pour cause : une posture trop légère, sans même relever du libertinage, ne menace-t-elle pas de se retourner contre ces « ingénues », si elles se retrouvent à la rue, avec leurs enfants, abandonnés de leur géniteur, effrayé ou ignorant face à la « responsabilité paternelle » pourtant durablement figée dans les lois ? Les dangers sont exacerbés dans les classes populaires, où les femmes seraient aisément victimes de « promiscuités malsaines », que redoublerait la « présence sur notre sol de millions de soldats alliés et de travailleurs indigènes », lit-on dans le Bulletin de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale en 1919 (Chapitre 2).

Les femmes demeurent pour l’essentiel assignées à leur triple rôle d’épouse, de génitrice et d’éducatrice ; ou s’y assignent elles-mêmes. Cela paraît initialement le choix de la féministe suisse née à Paris, la médecin Emma Pieczynska (proche confidente de Joséphine Butler, fondatrice de la Fédération abolitionniste internationale), dans son adresse Aux mères de famille. L’école de la pureté, qui se distingue par sa rationalité scientifique puritaine et moraliste. L’ouvrage connaît d’emblée une audience sans pareil, aussi bien en France, en Suisse, en Allemagne, en Angleterre qu’aux États-Unis. Épuisé en deux mois, il est présenté comme le premier livre européen d’éducation sexuelle et aurait été traduit en 34 langues (Käppeli, 1990, pp. 79–102). Comme reines du foyer et de ce qui se joue dans l’intimité des familles, longtemps durant, les femmes, dénonce simultanément Emma Pieczynska, n’ont souvent guère droit à une éducation à la sexualité, voire sont supposées n’avoir aucune sexualité du tout ! Bien d’autres s’en insurgent également, inculpant l’hypocrisie qui impose aux femmes les « devoirs du mariage et de la maternité », jusqu’à « célébrer [écrit Mme J. Hudry-Menos en 1900] la mère sur le mode lyrique, lorsqu’on tient la maternité pour honteuse en quelques-unes de ses phases, les plus importantes et les plus décisives ? » (Chapitre 1).

Résumé des informations

Pages
536
Année de publication
2023
ISBN (PDF)
9782875748997
ISBN (ePUB)
9782875749000
ISBN (Broché)
9782875748980
DOI
10.3726/b21262
Langue
français
Date de parution
2024 (Mars)
Mots clés
Histoire de l’éducation sexuelle à l’école maladies vénériennes XXe-XXIe siècle France
Publié
Bruxelles, Berlin, Chennai, Lausanne, New York, Oxford, 2023. 536 p., 13 tabl.
Sécurité des produits
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Notes biographiques

Yves Verneuil (Auteur)

Agrégé d’histoire, Yves Verneuil est professeur des universités en sciences de l’éducation à l’Université Lumière Lyon 2 et co-rédacteur en chef de la revue Histoire de l’éducation. Il a notamment publié Les agrégés. Histoire d’une exception française (2017) et, avec J.-N. Luc et J.-F. Condette, Histoire de l’enseignement en France, XIXe -XXIe siècle (2020).

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