Exprimer son amour et sa haine : une étude à travers les langues
Summary
Le présent ouvrage s’inscrit dans les travaux de recherche sur les sentiments entrepris dans le cadre de la MSHS de l’université de Poitiers autour de l’expression des émotions.
Excerpt
Table Of Contents
- Couverture
- Titre
- Copyright
- À propos de l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Introduction
- De l’amour à la haine … Traités français et polonais du langage des fleurs et des couleurs au tournant du siècle
- La poésie d’amour et l’expression de soi dans la littérature romantique russe : les pratiques éditoriales de Konstantine Batiouchkov et de Vassili Joukovski
- Cartographie des émotions collectives dans la tradition épique serbe : Ban Strahinia entre l’amour et la haine
- Dénoncer le racisme dans la littérature de jeunesse : Le racisme expliqué à ma fille et ses traductions vers le bosnien et le croate
- The Victorian Novel between Love and Hate
- La construction des significations lexicales des mots amour et haine et leurs valeurs dans la Sémantique des Possibles Argumentatifs (SPA)
- Le datif éthique serbe et ses équivalents français : de la sympathie à l’antipathie
- haïr et détester : à la recherche de leurs propriétés combinatoires
- Les nuances de l’amour : la conceptualisation de l’amour en grec moderne et en russe
- Sur les traductions polonaises des descriptions de l’amour physique : le cas du mot sexe
- Entre l’amour et la haine : métaphores érotiques dans les fabliaux français et dans la poésie populaire serbe
- Le français entre l’amour et la désaffection. Les représentations sur la France et le français des étudiants serbophones
- Love Thy Neighbour : French Identity of British Culture
- Notices biographiques
Introduction
Ces dernières années, nombreux sont les chercheurs qui se sont penchés sur l’étude des émotions. Nous pouvons mentionner parmi ces publications plusieurs volumes collectifs : Novakova et Tutin (2009), Chuquet, Nita et Valetopoulos (2012), Baider et Cislaru (2013), Blumenthal, Novakova et Siepmann (2014), Depraz et Serban (2015), Krzyżanowska et Wołowska (2016), Celle and Lansari (2015), Nita et Valetopoulos (2018), Chauvaud, Defiolle et Valetopoulos (2021). La plupart de ces volumes sont consacrés à l’étude des émotions en général, parfois dans une approche contrastive, exception faite des travaux portant sur la surprise.
Dans le cadre de ce volume, nous proposons de nous concentrer sur l’étude de deux émotions : l’amour et la haine. Si l’étude du discours de haine, et en particulier du discours de la haine raciste ou du discours raciste, connait une tradition de plus de 20 ans en linguistique et en études du discours (Whillock and Slayden 1995), l’amour, tout comme les autres émotions positives, semble être beaucoup moins étudié, surtout dans une approche interlangues et contrastive. D’après les dictionnaires unilingues, l’amour, d’un côté, correspondrait à une « [a]ttirance, affective ou physique, qu’en raison d’une certaine affinité, un être éprouve pour un autre être, auquel il est uni ou qu’il cherche à s’unir par un lien généralement étroit » (voir le Trésor de la langue française informatisé - TLFi). Ce même amour peut également avoir une dimension sociale et correspondrait à un « principe de cohésion de la société » ou même « […] réalisant sa finalité sociale par l’intermédiaire d’une incarnation ou d’une symbolisation du lien social ». L’amour peut également être la source ou être lié à d’autres états situationnels ayant un caractère collectif et social comme entente, harmonie, accord, connivence. De l’autre côté, la haine serait un « sentiment de profonde antipathie à l’égard de quelqu’un, conduisant parfois à souhaiter l’abaissement ou la mort de celui-ci ». Elle peut également avoir un caractère collectif et fonctionner comme un état événementiel (Lamprou 2004 ; Chauvaud et Valetopoulos 2021). Prenant comme base ces définitions, nous avons réuni des contributions qui étudient l’expression de l’amour et de la haine à travers différentes entrées thématiques présentées dans un continuum créé par les liens qui existent entre les ressources, les langues et les supports analysés par les auteurs : les textes littéraires, la poésie orale, les traductions, les propriétés linguistiques des mots, les représentations.
Comme le constate Pierre Livet, « le partage des émotions est très probablement le ressort fondamental de la plupart des émotions collectives » (Livet 2002 : 265). Les émotions éprouvées par les membres d’un même groupe ou d’une communauté sont souvent fondées sur le vécu collectif commun. Ainsi elles contribuent à la constitution de l’identité collective et orientent l’être collectif dans le sens du bien et du mal. Quelques questions se posent alors : l’amour et la haine, deux émotions opposées, comment se reflètent-elles dans l’histoire, dans la littérature ou bien dans la tradition orale ? peut-on transmettre les émotions collectives ? sommes-nous conscients de notre héritage culturel émotionnel ? Les cinq premiers articles tentent de répondre à toutes ces questions.
Le livre s’entame ainsi par une contribution de Justyna Bajda qui a pour objectif la présentation de certains manuels français et polonais du langage des fleurs et des couleurs, soulignant les façons d’exprimer les deux sentiments, l’amour et la haine. Le but de cet article est de comparer la signification symbolique des plantes et de déterminer si le langage des fleurs était un langage universel ou s’il dépendait des conditionnements culturels de la France et de la Pologne au XIX siècle. Différents types de manuels, dictionnaires et jeux de société en français et en polonais ont été pris en compte dans l’étude.
Pendant cette même période, en Russie, l’expression de l’amour rencontre le même type de difficultés : les nombreux interdits sociaux imposent le silence dans un espace littéraire qui n’a pas connu les mêmes étapes du développement que la littérature de l’Europe occidentale. Ainsi la poésie d’amour des troubadours et des trouvères est-elle absente dans la littérature russe tout comme la poésie amoureuse de la Renaissance ou les poèmes dits « légers » du xviiie siècle. Galina Subbotina analyse alors les pratiques éditoriales complexes de Konstantine Batiouchkov et de Vassili Joukovski qui permettent à ces deux poètes russes du début du xixe siècle d’aborder aussi bien « les énigmes du moi » que les thématiques amoureuses.
Dans un registre différent, Sanja Boskovic explore l’espace émotionnel commun qui s’est constitué autour d’un événement historique, la Bataille de Kosovo, événement jugé essentiel pour le peuple serbe et qui a fortement contribué à la conception du profil émotionnel collectif. La poésie épique représente un lieu propice pour ce genre d’analyse ; elle exprime le vécu commun, dessine le paysage culturel dans lequel l’être collectif s’oriente dans le temps et dans l’espace et grâce auquel il survit. Elaborer la carte émotionnelle figurant dans l’imaginaire épique permet de visualiser le croisement des émotions fondamentales gravitant autour des deux pôles antinomiques : amour et haine.
La haine, vue par le prisme du racisme, est également étudiée par Bisera Cero, qui étudie les expressions utilisées par l’auteur du roman Le racisme expliqué à ma fille pour parler avant tout des préjugés qui sont le plus souvent imprégnés de haine envers l’Autre. Ces mêmes préjugés n’existant pas forcément dans une autre culture, ex-yougoslave en l’occurrence, l’auteure étudie par l’analyse contrastive comment les deux traductions, en bosnien et en croate, traitent ce problème linguistique. Il est également intéressant de voir de quelle manière l’auteur du roman lutte contre ces préjugés, puisque la littérature de jeunesse, dans son fondement même, préconise l’idée de l’amour et de la tolérance.
Ce premier ensemble d’articles se termine par un article de Ognjen Kurteš qui se concentre sur la question de l’amour et de la haine dans les romans de l’époque victorienne et sur la description de toutes les différentes manières dont les personnages se servent afin de combler tous les écarts. Aussi, l’auteur se concentre-t-il sur les phénomènes liés aux cas où l’amour et la haine sont directement liés à la question de l’identité, de la caractérisation, des sphères publiques et privées, de la classe, du genre, voire de la narration, de la structure et du chronotope. La lutte entre l’amour et la haine, dans la plupart des cas, produit une tragédie, très courante pour le roman victorien.
Dans la suite du livre, plusieurs questions, plutôt linguistiques, sont abordées : quels sont les prédicats qui expriment l’amour et la haine dans les différentes langues et comment peut-on proposer une cartographie de ces émotions dans une approche monolingue ou contrastive ? quels sont les moyens linguistiques qui permettent l’expression de l’amour et/ou de la haine ? quelles sont les métaphores utilisées dans les langues pour exprimer ces deux émotions et quelles sont les spécificités par langue ? quelles sont les propriétés syntaxiques et sémantiques spécifiques de ces classes sémantiques ? quel est le lexique de l’amour érotique dans les différentes langues et quels sont les problèmes de traduction ?
Cet ensemble de six articles s’entame par trois études portant sur l’amour et la haine à travers différentes approches et différentes traditions. Le premier article, proposé par Emir Šišić, a pour objet la formulation de la construction lexicale des mots amour et haine et leurs représentations selon le modèle de la Sémantique des Possibles Argumentatifs (SPA). Le potentiel argumentatif sous-tend les enchaînements possibles de différentes significations lexicales. L’auteur examine les valeurs positives et négatives axiologiques de ces mots dans une enquête menée auprès d’un groupe de locuteurs francophones de Bosnie-Herzégovine. C’est à partir du noyau dur sémantique des deux mots que l’auteur souhaite construire la signification lexicale avec (connotation) et sans (dénotation) des stéréotypes linguistiques.
Dans une approche plus syntaxique, Selena Stanković observe les types d’attitude émotionnelle dénotés par le datif éthique de la 1ère personne en serbe et, à l’aide de l’analyse contrastive, elle examine les réalisations françaises de cette structure dative serbe. Partant des définitions que la littérature linguistique offre sur le datif éthique en tant que catégorie fonctionnelle et sémantique en serbe et en français, elle étudie un corpus constitué d’exemples extraits de plusieurs œuvres littéraires et de transcriptions de films serbes et de leurs traductions en français,
De son côté, Olympia Tsaknaki se concentre sur le concept de la haine et étudie les propriétés combinatoires des prédicats verbaux haïr et détester. Son objectif est d’apporter une contribution à l’étude de leur usage afin de découvrir s’il y a des différences en fonction de leur comportement collocationnel. Le terme collocation est utilisé dans le sens de cooccurrences, de patterns de mots qui apparaissent fréquemment à proximité immédiate. La comparaison entre les deux unités lexicales fera ressortir des différences et des ressemblances qui devraient être mises en valeur dans le cadre de l’enseignement/apprentissage du FLE et, plus particulièrement, du lexique des émotions.
Les trois derniers articles proposent des études contrastives portant sur l’amour, en tant qu’émotion, et l’amour érotique ou physique. Freiderikos Valetopoulos et Eleni Motsiou proposent une étude qui a pour objectif l’analyse de la conceptualisation de l’amour en grec et en russe. Ils étudient tout d’abord les définitions proposées dans certains dictionnaires et ensuite ils analysent la combinatoire lexicale des prédicats qui renvoient à ce concept, à l’aide de différents corpus. L’analyse se fonde sur deux hypothèses : le grec et le russe disposent du concept de l’amour qui est exprimé à l’aide d’une palette de prédicats ; la deuxième hypothèse suppose que ces mêmes prédicats couvrent différentes nuances et par conséquent les limites du concept varient dans les deux langues.
Witold Ucherek se tourne vers la comparaison des descriptions françaises de rapports sexuels et de leurs traductions polonaises, et plus précisément vers les traductions du mot sexe pris uniquement dans son sens de nomen anatomicum, sachant que le mot polonais seks est un faux ami de sexe, dans la mesure notamment où il est inapte à communiquer le sens ‘organe sexuel’. Il s’intéresse ainsi aux moyens linguistiques dont dispose la langue polonaise pour exprimer ce contenu sémantique, mais aussi aux choix des traducteurs confrontés à un tabou.
Enfin, Ivan Jovanović et Tatjana Đurin s’appuient sur une analyse contrastive afin d’examiner l’extension sémantique des lexèmes désignant les sexes masculin et féminin en français et en serbe. Les lexèmes sont extraits du recueil de fabliaux et du recueil de poésie érotique populaire serbe. Puisque les deux textes sont le miroir de ces deux sociétés dominées par la religion et la morale patriarcale, où le sexuel est considéré comme un tabou, ils se proposent de démontrer que le langage métaphorique est le plus souvent utilisé pour exprimer le sexuel, de sorte que la métaphore représente le principe le plus productif du mécanisme de l’extension du champ obscène.
Details
- Pages
- 242
- Publication Year
- 2023
- ISBN (PDF)
- 9782875745101
- ISBN (ePUB)
- 9782875745118
- ISBN (Softcover)
- 9782875745095
- DOI
- 10.3726/b20954
- Language
- French
- Publication date
- 2023 (October)
- Keywords
- Expression verbale des émotions Etude contrastive des émotions Description et traduction des émotions Amour et haine à travers les repré-sentations
- Published
- Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2023. 242 p.