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Or blanc

Sculpture en ivoire, Congo et discours colonial sous le règne de Léopold II (1885-1909)

de Sébastien Clerbois (Auteur)
©2023 Monographies 192 Pages

Résumé

Un « renouveau » de la sculpture éburnéenne s’opère en Belgique, à la Belle époque, entre 1890 et 1910 ; celui-ci résulte d’une mise à disposition de défenses d’éléphant par l’État indépendant du Congo et le Roi Léopold II. À travers les salons et expositions coloniales et internationales, l’administration instrumentalisa les œuvres pour en faire le pivot de son discours colonial, accréditant la supériorité de la culture européenne et légitimant la nécessité « d’apporter la civilisation » à la colonie congolaise.
C’est une histoire globale que propose ce livre : de l’animal africain aux salons européens, l’ivoire est étudié à la lumière d’une déconstruction et d’une mise en perspective du discours colonial.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Remerciements
  • Table des matières
  • Introduction
  • Chapitre 1. La colonisation du Congo et le commerce de l’ivoire
  • L’appât de l’or blanc
  • L’enjeu du Domaine royal
  • Mainmise et prédation
  • Géopolitique congolaise
  • Un espoir industriel…déçu
  • Chapitre 2. La sculpture éburnéenne au 19e siècle
  • La réception de l’ivoire, une affaire de légitimité
  • L’effort théorique de revalorisation
  • L’ivoire flamand et la fabrique d’une généalogie belge
  • Chapitre 3. Le « renouveau » de la sculpture chryséléphantine en Belgique
  • Les Expositions universelles, fabriques du discours colonial
  • L’Exposition universelle d’Anvers de 1894
  • L’Exposition universelle de 1897 et le Salon d’honneur du Pavillon colonial de Tervuren
  • Commandes et reconnaissance officielle
  • Chapitre 4 : Art d’ivoire, art colonial ?
  • Le mythe de Pygmalion
  • Iconologie et Congolie
  • Le style Congo
  • Un art sous tutelle ?
  • Dureté coloniale, silence des artistes
  • L’éclat des récits des aventuriers
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Légendes des illustrations

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Introduction

En 1874, alors âgé de 17 ans, le jeune Joseph Conrad commence une carrière de marin. Celle-ci l’amènera à sillonner les mers jusqu’à ce qu’en 1890, sur la recommandation d’Albert Thys, secrétaire aux affaires coloniales de Léopold II, promoteur de la ligne de chemin de fer Matadi-Léopoldville et l’un des principaux artisans de l’économie coloniale belge, Conrad soit engagé pour trois ans comme capitaine de steamer pour la Société du Haut-Congo. Au final, il ne réalisa qu’un seul voyage, entre Stanley-Pool et Stanleyville1.

De ce voyage en terre congolaise, Conrad ramènera la matière d’un roman, Au cœur des ténèbres, d’abord publié en 1899 dans le Blackwood’s Magazine, puis dans un recueil de récits en 1902. La nouvelle raconte l’aventure d’un jeune capitaine, Charles Marlow, parti à la recherche d’un agent de l’état indépendant du Congo et chasseur d’ivoire, Kurtz. Même si plusieurs sources littéraires ont pu influencer Conrad, le récit est pétri de ses propres souvenirs du Congo, comme les discussions qu’il a pu avoir avec Georges-Antoine Klein, agent colonial qu’il a secouru en mission et qui est décédé à bord de son steamer, le Roi des Belges. Sur place, Conrad assiste au développement spectaculaire du commerce de l’ivoire mené par l’État indépendant du Congo, avec le lot d’horreurs inhérentes à l’intense exploitation coloniale.

Le récit, d’une condensation extrême, décrit le voyage et l’éloignement de la civilisation comme métaphore d’une coupure progressive avec l’humanité. En filigrane, apparaît toute la noirceur de la colonisation, de la chasse massive à l’éléphant, de l’exploitation sans frein de l’or blanc, ce compris la prédation des réserves des populations locales, de la répression ou du travail forcé pour contraindre les congolais à participer au portage ←13 | 14→des défenses. Au terme du livre, le lecteur comprend que, contrairement à la rhétorique coloniale, le « sauvage » n’est pas le congolais qui vit au cœur de la forêt, mais bien le « diable blanc » qui l’exploite sans état d’âme, lui, les siens et les ressources naturelles de son environnement.

Depuis la fin du dix-neuvième siècle, bien des choses ont changé, et pourtant la réalité du commerce de l’ivoire persiste. Cinq millions d’éléphants vivaient encore en Afrique vers 19302, moins d’un demi-million en 2012, à peu près 415.000 aujourd’hui3, avec une population considérée comme stable. 2011 est l’année d’un triste record : 23 tonnes d’ivoire sont saisies à travers le monde depuis l’enregistrement globalisé des saisies en 19894. Comme le dénonce le court-métrage de la réalisatrice américaine Kathryn Bigelow, Last Days (2014), c’est encore du trafic de l’or blanc que des sectes ou mouvements politiques tristement célèbres comme les Shebab (Somalie) ou Boko Haram (Nigeria) tirent une partie importante de leurs revenus. En Europe, la Commission européenne a recommandé en juillet 2017 aux états membres de ne plus délivrer de licences d’exportation pour l’ivoire brut (ce que faisaient déjà certains pays, comme la France, depuis 2016), mais encore faut-il voir si cette recommandation sera appliquée dans les juridictions nationales.

Au dix-neuvième siècle, par contre, le marché de l’ivoire est l’une des premières tranches du gâteau colonial. Les États-Nations sont fiers de leurs colonies et célèbrent leur réussite industrielle à travers l’exploitation des nouvelles matières d’outre-mer. Même si l’État indépendant du Congo est une colonie personnelle, le Roi Léopold II met à disposition des artistes belges de belles défenses et stimule l’essor de la sculpture en ivoire. Notre époque condamne avec force conviction. Mais l’impérialiste de la fin-de-siècle, lui, n’a vu dans ce matériau que le reflet idéalisé des concepts vertueux qu’il célèbre, nation, industrie, colonie.

Pour les élites de la colonisation, l’ivoire est une promesse. Il annonce un futur doré, il présage de son usage massif dans un large registre d’applications industrielles, artisanales et artistiques, et donc d’un commerce florissant. Ouvragé sous le ciseau expert du sculpteur, il révèle le haut degré de culture du continent européen, perçu comme ←14 | 15→l’étendard de la force civilisatrice et la preuve éclatante de sa légitimité, jusqu’à devenir le porte-plume d’une écriture triomphante et positiviste de l’histoire en marche. Parlant de la notion de culture matérielle, Martin Wobst écrit « they [the artifacts] don’t reflect a given social order. Instead, they reflect attempts to bring it about, to maintain it, to change it, or to resist it »5. Pour Wobst, l’artefact n’est pas un objet qui reflète ou illustre l’ordre social, mais qui vise plutôt à sa transformation. Dans le lustre de l’or blanc, ces élites ont perçu tout l’espoir de leur aventure sous l’Équateur, tout leur désir de progrès et de mutation positive de la société.

En quelques années, le plat pays sera célébré comme le haut-lieu d’un renouveau de la sculpture chryséléphantine, mêlant l’ivoire et l’or, en référence à l’âge glorieux de cet art, si prisé par la société grecque classique. Entre 1894 et 1910, les plus belles œuvres font la beauté des pavillons et salons lors des expositions internationales ou universelles. Dans le pouvoir opérant de la matière, l’Europe du dix-neuvième siècle a donné corps à la substance de ses rêves. Nouvelle Athènes, la Belgique fait rayonner l’ivoire comme l’avait fait Phidias avec la Pallas Athéna du Parthénon.

Résumé des informations

Pages
192
Année
2023
ISBN (PDF)
9782875747488
ISBN (ePUB)
9782875747495
ISBN (Broché)
9782875747501
DOI
10.3726/b20318
Langue
français
Date de parution
2023 (Février)
Mots clés
Animal africain Colonie congolaise Discours colonial La civilisation
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2023. 192 p., 53 ill. en couleurs, 31 ill. n/b.

Notes biographiques

Sébastien Clerbois (Auteur)

Sébastien Clerbois est archéologue et historien d’art. Il est Professeur à l’Université libre de Bruxelles et membre du CReA-Patrimoine. Ses recherches portent, entre autres, sur l’histoire et les techniques de la sculpture.

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Titre: Or blanc