À la recherche du musée

Introduction

Le projet scientifique À la recherche du musée s’intéresse à l’actuelle redéfinition du statut des musées en mettant en relation le modèle phare du musée du Louvre avec une diversité d’autres institutions. Cette initiative, née en 2016 au cours de l’Université d’été du LabEx ICCA, s’est symboliquement implantée au cœur des ressources documentaires du Centre Dominique-Vivant Denon pour trois journées de communications : L’identité de la collection au musée : lieux, héritages et transferts (12 juin 2017), À travers les mondes de la gouvernance. Les missions du service public à l’épreuve du temps (13 février 2018) et Archives et musées. Origines, représentations et pérennité des savoirs au XXI^e siècle (18 septembre 2018). Celles-ci ont eu vocation à analyser et faire valoir les sources de l’histoire de l’institution au Louvre, des archives manuscrites à l’oralité de ses acteurs ici restranscrite, et de les mettre en résonnance avec des enjeux ayant émergés à travers l’histoire, ancienne ou plus récente, d’autres musées.

Si le projet du Grand Louvre est un modèle de réponse intéressant face à la mondialisation de la culture et au développement de masse, comprendre le modèle du musée implique de déconstruire le musée-modèle¹. Comment la réalité effective du musée peut-elle se désolidariser de la réalité projetée par son modèle? Par la mise en commun des outils de trois champs de recherche, la sociologie, l’histoire de l’art et la muséologie, À la recherche du musée s’est donné pour ambition d’identifier et d’observer les mécanismes, les événements et les discours qui remettent en question les missions établies et les modalités acquises de souveraineté du musée.

De cette approche exploratoire est née l’envie de réunir des professionnels des institutions culturelles, conservateurs et historiens de l’art comme administrateurs, mais aussi des universitaires, partenaires privilégiés du musée², pour dialoguer sans fard autour de leurs constats, pratiques et théoriques, quant aux derniers bouleversements des musées et de leurs fonctions. La spécificité de l’approche transdisciplinaire choisie éclaire le travail professionnel «au» musée et les travaux universitaires «sur» le musée qui concourent à leurs définitions, individuelles, communautaires, historiques, sociétales ou encore politiques. Le dialogue qui s’est naturellement noué entre eux ne permet pas ici, et c’est une chance, de distinguer clairement deux regards distincts sur le musée, dont l’un, porté de l’intérieur, serait plus sensible, et l’autre plus extérieur, a priori plus analytique. Au contraire, le programme À la recherche du musée a permis de mêler les modes de discours et c’est avec un plaisir manifeste que les divers contributrices et contributeurs ont bien voulu partager leurs témoignages, leurs observations et leurs analyses complémentaires.

En 2000, lorsqu’il s’est agi de réfléchir à la réactualisation du rôle des musées face aux enjeux du siècle qui s’ouvrait, le Louvre était sur la ligne de front. Son président-directeur d’alors, l’historien de l’art Pierre Rosenberg, avait ouvert la discussion avec son successeur Henri Loyrette sous la forme d’un colloque, «L’avenir des musées au XXI^e siècle»³. Henri Loyrette remarquait qu’il n’y avait plus, alors, «de débat aussi vigoureux qu’au XVIII^e siècle, ou qu’au XIX^e (ou même qu’au cours de plusieurs périodes du XX^e) sur le sens du musée». Ce colloque fut l’occasion de mettre en évidence les défaillances du système muséal au tournant du XXI^e siècle et le souhait de le voir se confronter à «la résolution patiente de quelques problèmes forts complexes, éminemment significatifs de notre temps⁴». La plupart des grands enjeux qui nous occupent actuellement y ont en effet été évoqués : gouvernance, préoccupations économiques et financières, compétitivité et logique du marché, autonomie, évolutions juridiques — cristallisées, déjà, autour de l’inaliénabilité et des restitutions d’œuvres d’art —, rôle du musée face au tourisme culturel de masse, événementialisation, place du musée dans la société, rôle des nouvelles technologies, des médias, nouveaux usages des publics, marketing, pouvoirs politiques, recherche au musée, etc. Le colloque anticipait une évolution considérable de la place des musées dans l’économie de la culture, ainsi que les conséquences qui pouvaient en découler sur le champ de l’histoire de l’art. Mais tout ne peut pas être anticipé : crises économiques, atteintes des limites de la mondialisation sur le plan environnemental, pandémie, etc. Aujourd’hui, de plain-pied dans ce siècle, la relève de ce regard prospectif sur les musées doit être menée sans spéculation, sous la forme d’un état des lieux réflexif.

Le Centre Dominique-Vivant Denon s’est imposé comme lieu d’accueil pour ces réflexions. Seul espace de consultation documentaire ouvert à tous les publics dans le musée du Louvre, ce service agit aussi comme un lieu de référence qui acquiert et propose à la consultation les publications les plus récentes, traitant des nouvelles tendances de la muséographie, des politiques culturelles ou encore de l’histoire du Louvre et des musées. Il conserve et met à disposition, avant ou après numérisation, les enregistrements des événements programmés à l’auditorium, colloques ou journées d’étude, depuis sa création en 1989. Cette documentation orale, inédite, enrichit les publications des spécialistes en muséographie, histoire des musées ou questions spécifiques d’expositions. Par ces problématiques transversales, il met à disposition les ressources imprimées et numériques qui questionnent la place du musée dans la société d’aujourd’hui, les métiers des musées et de leurs récentes évolutions, les pratiques culturelles ou la place de l’économie dans les stratégies muséales.

La politique documentaire soutient ainsi l’ensemble de la réflexion et de la programmation scientifique du Centre Dominique-Vivant Denon, afin de proposer et de participer plus spécifiquement au développement de projets de recherche avec différents partenaires académiques, sur ces axes de recherche. L’enregistrement et la diffusion simultanée à l’international des journées À la recherche du musée y étaient donc tout à fait légitimes et participent de cet apport en patrimoine immatériel qui constitue les sources complémentaires de l’histoire du Louvre et des pratiques muséales actuelles.