Contraintes linguistiques
À propos de la complémentation nominale
Summary
L’objectif de cet ouvrage est donc de revenir sur différentes constructions – essentiellement françaises – qui exigent d’une façon ou d’une autre une complémentation nominale sous peine d’altérer la recevabilité ou la grammaticalité de l’énoncé, voire d’en changer substantiellement la structure syntaxique et/ou l’interprétation.
Excerpt
Table Of Contents
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’auteur/l’éditeur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Introduction (Caroline Lachet / Luis Meneses-Lerín / Audrey Roig)
- Contraintes linguistiques en sémantique lexicale. À propos de quelques emplois du nom cœur (Thomas Bertin)
- Contraintes pour définir et interpréter les prédicats sortaux d’humains (Angelina Aleksandrova)
- Les emplois nominaux de prochain, proche, semblable : combinatoire libre et combinatoire contrainte (Nelly Flaux / Véronique Lagae)
- « Une chose [X] : P » : une conjonction de contraintes (Céline Benninger)
- La combinaison quasi-attributive « SN, ça » : pourquoi dit-on Un bébé, ça pleure mais pas Le bébé, ça pleure ? (Naoyo Furukawa)
- Contraintes sur le complément d’état. Le cas du néerlandais contemporain (Jan Pekelder)
- La place de l’adjectif, sous l’angle de la contrainte (Jan Goes)
- Une foule de témoins, un homme de cœur, cet abruti de Romero, un panier de crabes. <Dét N1 de N2>, un syntagme nominal sous contraintes ? (Céline Vaguer)
- Analyse syntaxique et contextuelle des structures SN1 c’est SN2 de type : l’amour c’est un sentiment qui se passe dans la tête (Mylène Blasco / Paul Cappeau)
- Les gens qui écrivent c’est pour se libérer : quelques remarques sur une construction peu décrite (Frédéric Sabio)
- Les SN définis et indéfinis dans les clivées en il y a (Lena Karssenberg / Karen Lahousse)
- Titres de la collection
Le concept de « contrainte linguistique » n’est pas neuf : il est déjà attesté par exemple dans les Exercices en langue sakalava et betsimisaraka de Dalmond (1841) à travers cette question : « L’antéposition du sujet au prédicat traduit-elle un choix délibéré de mise en relief dans le style de l’auteur, ou s’agit-il d’une contrainte linguistique imposée par les habitudes de parole propres aux Malgaches sakalava ? ». Retrouvés plus tard sous la plume de Charles Bally (1952 : 117) notamment en référence à des aspects sociologiques du langage, les termes « contrainte linguistique » se rencontrent aujourd’hui dans de nombreux domaines de la linguistique : en pragmatique, en sémantique, en phonologie, en syntaxe, en morphologie, en didactique du français (en relation, souvent, avec les questions de productions écrites), etc., avec, selon les approches, une connotation soit neutre soit négative.
En outre, la notion de « contrainte » ne saurait être appréhendée sans tenir compte des notions de « combinatoire libre » et de « combinatoire figée » (Anscombre & Mejri 2011). En effet, l’étude du fonctionnement de différentes langues nous montre que très souvent l’assemblage d’unités linguistiques repose sur des contraintes syntaxiques et sémantiques (Mejri 2011, Meneses-Lerín 2014). Elle révèle également le figement de certains assemblages, la formation de blocs linguistiques insécables qui entraine généralement avec elle la perte des propriétés syntaxiques et sémantiques originelles des éléments composites.
Partant, il suffit de s’interroger sur le sujet pour constater que des contraintes linguistiques sont identifiées à tous les niveaux du langage ← 9 | 10 → (lexical, syntaxique, sémantique ou pragmatique, notamment) et que celles-ci touchent toutes les parties du discours, quelle que soit leur taille (syntagme, proposition). En syntaxe, on observe par exemple l’exercice de la contrainte linguistique à travers la question de la complémentation nominale, qu’illustreraient (sans exhaustivité) des énoncés (écrits ou oraux) comme :
1. Il marche la tête haute. (vs *Il marche la tête.)
2. Une bière de plus, et je m’en vais (vs *La bière de plus, et je m’en vais.)
3. Moi(,) les plombiers(,) je les crois pas (vs *moi des plombiers je les crois pas)
Dans ces trois énoncés, en effet, la complémentation nominale est contrainte : dans l’exemple (1), c’est la présence même de l’adjectif haute qui semble contrainte, sous peine de rendre l’énoncé irrecevable (Goes 1999, Van Raemdonck 2011, Havu & Pierrard 2014, etc.), tandis que dans les exemples (2) (Allaire 1982, Kleiber & Berthonneau 2006, Corminboeuf 2009, etc.) et (3) (Blanche-Benveniste et al. 1990, Cappeau 2008, Groupe de Fribourg 2012), c’est davantage la forme du déterminant qui est contrainte. Dans la continuité de ces observations, relevons notamment la difficulté plus (4 ; Wilmet 1985, 1986, Corblin 1987, de Swart 1994, Anscombre 1996, Carlier 1998, 2000, Kleiber 1998, Heyd 2003, Vogeleer & Tasmowski 2005, Roig 2013, etc.) ou moins (5 ; Rothenberg 1979, Lambrecht 2002, Conti 2010, Willems & Meulleman 2010, Groupe de Fribourg 2012, Avanzi 2012, Lachet 2015) forte (mais non l’impossibilité, cette fois-ci) de substituer l’article indéfini à l’article défini dans :
4. Les triangles ont trois côtés égaux (vs ??Des triangles ont trois côtés égaux.)
5. Moi y a mon fils qui prépare… (vs Moi y a un fils qui prépare…)
L’exemple (6), en revanche, montre que les deux articles (défini et indéfini) sont permis dans certains énoncés proches, moyennant cependant l’accès à une autre lecture immédiate, sans rejeter pour autant l’autre lecture : aux coôtés de l’article défini ou du possessif, la lecture du groupe « café chaud » reçoit plus aisément une lecture prédicative, alors qu’en compagnie de l’article indéfini, c’est la lecture déterminative qui semble primer.
6. Elle boit son / le café chaud. (vs Elle boit un café chaud.)
En sémantique aussi, l’on peut observer des contraintes linguistiques en matière de complémentation nominale. En témoignent par exemple les collocations suivantes : ← 10 | 11 →
7. Un café noir. (vs ?Un café blanc.)
8. Du vin rouge / blanc / gris. (vs ?Du vin marron / vert / bleu / etc.)
9. Marcher / aller la tête haute. (vs Marcher / aller la tête basse.)
10. Faire bonne chère. (vs ?Faire mauvaise chère.)
L’exemple (7) montre que l’élément noir fonctionne comme un collocatif en perdant sons sens premier (couleur) et en ajoutant une caractéristique spécifique à la base café comme (non mélangé de lait). Sous (8), il s’agit également d’une collocation mais cette fois-ci le mot vin présente un « paradigme contraint », à savoir un adjectif de couleur, fonctionnant comme un collocatif. Les exemples (9) et (10) n’acceptent pas les contraires des adjectifs employés. L’emploi des adjectifs contraires empêcherait de conserver le sens originel des expressions en question.
L’objectif de cet ouvrage est donc de revenir sur différentes constructions – essentiellement françaises – qui exigent d’une façon ou d’une autre une complémentation nominale sous peine d’altérer la recevabilité ou la grammaticalité de l’énoncé, voire d’en changer substantiellement la structure syntaxique et / ou l’interprétation. Mais parce qu’elles sont évidemment beaucoup trop nombreuses pour être toutes étudiées, les contraintes linguistiques explicitées dans cet ouvrage ont été sélectionnées et toujours cantonnées, pour les besoins du volume, aux seuls domaines de la syntaxe et de la sémantique, avec des considérations parfois d’ordre lexical.
C’est dans cette perspective que Thomas BERTIN, d’abord, présente une étude du point de vue sémantique appliquée au lexique. Ce dernier propose d’analyser les contraintes distributionnelles qui participent au renouvellement sémantique d’une unité telle que cœur. Pour ce faire, l’auteur parle d’invariant sémantique et de variation de sens. Ce dernier exploite les attestations proposées par des ouvrages lexicographiques et qui montrent que cœur est une unité relativement polysémique. Son analyse présente, d’abord, les acceptions retenues et oppose les emplois QUALITÉ aux emplois DIMENSION. Il fait ensuite émerger les propriétés sémantiques de l’énoncé Paul a du cœur à partir d’un réseau de synonymes avant de mettre à jour les contraintes distributionnelles afin de dégager des interprétations d’ordre sémantiques de l’unité lexicale cœur.
À la suite de T. Bertin, Angelina ALEKSANDROVA s’intéresse aux prédicats sortaux d’humains. En interrogeant le fonctionnement du nom composé être humain en regard des substantifs adolescent et ministre dans des structures attributives, elle cherche à donner une assise linguistique au concept d’origine philosophique. L’étude dessine alors les contours de la notion de prédicat sortal et dégage les contraintes qui en régissent l’emploi. Ainsi l’auteure teste-t-elle les deux caractéristiques des prédicats sortaux : (i) la modalité aléthique contenue dans ces lexèmes ; (ii) l’extension ← 11 | 12 → temporelle « maximale » du prédicat. A. Aleksandrova conclut alors à l’existence, à côté de l’opposition admise entre prédicats sortaux et prédicats non sortaux, de prédicats sortaux transitoires (ou de phase).
Travaillant également en sémantique, Nelly FLAUX & Véronique LAGAE s’attachent à décrire les emplois nominaux des adjectifs prochain, proche et semblable. Après avoir observé les contraintes distributionnelles à l’intérieur du SN – et plus particulièrement la possibilité de variation en genre et en nombre, le type de déterminant et la complémentation –, elles montrent que les propriétés syntactico-sémantiques des adjectifs sont transférées de façon singulière à chaque nom. Elles examinent ensuite la relation unissant le SN et le repère par rapport auquel le nom construit sa référence. Les auteures montrent ainsi que les trois SN en question présentent un comportement distinct : l’emploi nominal de prochain est plus contraint que ne l’est celui de semblable, le fonctionnement de [Dét + proche] serait quant à lui le moins contraint.
Céline BENNINGER, ensuite, approfondit l’étude des structures du type « Une chose [X] : P » (e.g. Une chose est certaine : l’homme a déjà marché sur la lune), lieu, comme elle montre, d’une conjonction de contraintes. Dans cette construction, en effet, le SN une chose se présente toujours comme le sujet d’une première séquence qui renvoie invariablement vers une seconde séquence. Les deux séquences sont ainsi associées par une relation cataphorique, la seconde séquence constituant l’antécédent du SN une chose ; elles se trouvent néanmoins toujours séparées par une pause, souvent matérialisée par un double point.
Naoyo FURUKAWA, enfin, étudie la combinaison « SN, ça », construction que l’auteur considère comme quasi-attributive. Il remarque qu’à l’acceptabilité des énoncés en « Le N animal ou végétal, ça… » (comme dans Le canari, ça chante bien) répond l’acceptabilité douteuse de la combinaison « Le N humain, ça… » (par exemple : ?Le bébé, ça pleure). La première combinaison, dit-il, s’expliquerait à partir d’une interprétation massifiante tandis que la deuxième semble reposer sur le fait que le démonstratif ça, malgré son rôle désindividualisant, n’a pas véritablement d’entité à désindividualiser dans le SN « Le N humain » générique.
Du côté des études plus syntaxiques, la contribution de Jan PEKELDER, d’abord, revient sur la notion de contrainte en analysant le « complément d’état » (COE) tel qu’il a été défini par la grammaire néerlandaise. L’auteur analyse quelques syntagmes du type SN afin de montrer que ces derniers entretiennent un lien du point de vue de la « catégorie syntaxique » et de la « désignation ». Cependant, certains syntagmes analysés ont une nature dite « inacceptable » et l’auteur propose d’intégrer un nouveau paramètre, « l’affectation du COD » afin d’expliquer leur nature. Finalement, il émet une nouvelle hypothèse qui montre que la compatibilité de la fonction COE et de la catégorie syntaxique SP semble être soumise à certaines contraintes. ← 12 | 13 →
Posant également une question de syntaxe, Jan GOES développe quant à lui la problématique de la place de l’adjectif et de ses contraintes. Comme il le montre, plusieurs travaux ont déjà abordé la question de l’antéposition ou de la postposition des adjectifs par rapport aux noms qu’ils déterminent. Si l’auteur entend cependant revenir sur cette problématique, c’est dans le but de montrer que, par-delà les statistiques, il est possible pour un même adjectif de connaitre différents emplois (qualificatif, relationnel, ou du troisième type) d’une part et, d’autre part, d’être antéposé et / ou postposé au nom déterminé, bien qu’il demeure des contraintes qui régissent sa place en français.
Dans sa contribution, Céline VAGUER propose ensuite de mener une réflexion linguistique sur les constituants nominaux <Dét N1 de N2> (une robe de soie, une fille de joie, une foule de témoins, etc.). Après être revenue sur les cadres théorique et méthodologique qui régissent son analyse, C. Vaguer montre qu’à la structure de surface <Dét N1 de N2> peuvent correspondre au moins cinq structures profondes différentes (a) <Dét N1 de> N2 qui est un déterminant-quantifiant du N2 (une foule de témoins), (b) Dét N1 <de N2> qui est un qualifiant du N1 (un blouson de cuir), (c) Dét N1 <de N2> qui est une apposition attributive, un caractérisant du N1 (la ville de Paris), (d) Dét <N1 de> N2 qui est un qualifiant-caractérisant du N2 (mon abruti de frère), (e) <Dét N1 de N2> qui entre dans la formation de noms composés ou de locutions (un coup de pompe, un panier de crabes).
Mylène BLASCO & Paul CAPPEAU emboitent le pas à C. Vaguer et proposent d’observer les contraintes linguistiques inhérentes aux constructions explicatives du type « SN1 c’est SN2 » (l’amour c’est un sentiment qui se passe dans la tête). Si cette structure a déjà été décrite par des auteurs comme Auger (1997) par exemple, M. Blasco & P. Cappeau entendent revenir sur cette structure de façon originale, en en étudiant les réalisations orales dans les corpus Philosophèmes et Multicultural Paris French, mais surtout en classifiant les énoncés recueillis de façon à en dégager l’ossature et les contextes appelés de façon récurrente, c’est-à-dire les contraintes qui lui sont associées. Cet examen met au jour des articulations assez fortes entre syntaxe et sémantique comme il conduit à l’identification de trois fonctionnements principaux de ces constructions.
Dans la lignée de cette contribution, Frédéric SABIO propose à son tour d’examiner les structures exemplifiées par : les gens qui écrivent c’est pour se libérer. Ces énoncés, comme il le montre, ont pour caractéristique de présenter successivement (a) une séquence nominale suivie d’une proposition relative, (b) la forme verbale c’est, et (c) une construction conjonctionnelle ou prépositionnelle introduite par parce que, pour ou d’autres types de prépositions. Ces structures, qui semblent bien installées dans le français contemporain, explique-t-il, sont à considérer comme ← 13 | 14 → des énoncés pleinement conventionnels analysables aussi bien (micro- / macro)syntaxiquement que sémantiquement.
Pour terminer, Lena KARSSENBERG & Karen LAHOUSSE mettent au cœur de leur réflexion les structures clivées en il y a. Elles s’interrogent sur les contraintes régissant le choix du déterminant introduisant le SN. Les auteures montrent ainsi que la répartition entre SN défini et SN indéfini est corrélée à la structure informationnelle de la clivée (all-focus vs focus – arrière fond), mais aussi que la fréquence d’emploi de ces structures est conditionnée par le choix du corpus (oral / écrit, formel / informel, interactif / non interactif).
Details
- Pages
- 214
- Publication Year
- 2017
- ISBN (PDF)
- 9782807602229
- ISBN (ePUB)
- 9782807602236
- ISBN (MOBI)
- 9782807602243
- ISBN (Softcover)
- 9782807602212
- DOI
- 10.3726/b11380
- Language
- French
- Publication date
- 2017 (June)
- Keywords
- Contraintes linguistiques complémentation nominale syntaxe sémantique phraséologie français
- Published
- Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2017. 214 p., 34 tabl., 4 ill. n/b