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Le pouvoir de l’absent

Les avatars de l’anticommunisme au Congo (1920–1961)

de Anne-Sophie Gijs (Auteur)
©2016 Thèses 1020 Pages
Série: Outre-Mers, Volume 4

Résumé

Pour commander la version imprimée de ce livre, veuillez contacter orders@peterlang.com. Prix de vente: CHF** 110.00 Sfr., EURD** 93.90 €, EURA** 96.70 €, EUR* 87.90 €,GBP* 72.00£, USD* 105.90$). Pour acquérir l'Ebook veuillez suivre le lien 978-3-631-76448-0
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Cet ouvrage a reçu le prix du Centre des Archives communistes en Belgique, « Prix CARCOB 2015 » Obscures mouvances religieuses, remuants syndicats, espions industriels, étrangers comploteurs ou étoiles nationalistes ascendantes… Entre 1920 et 1961, le visage du « péril rouge » au Congo fut protéiforme. Cet ouvrage entend mettre au clair, d’une part la réalité et le degré de dangerosité du communisme au Congo, et d’autre part les enjeux liés à son combat, à travers les variations qu’ils connurent, au gré de la conjoncture politique, économique et sociale interne à la Belgique et sa colonie, mais aussi de la configuration de « l’échiquier » international. Confrontant archives, travaux et témoignages inédits, notre analyse démontre que malgré son échec à s’implanter in fine au Congo, le communisme n’en a pas moins exercé un pouvoir mobilisateur surprenant par toutes les répercussions et les réalisations que sa peur a engendrées. On peut dès lors parler de « pouvoir de l’absent », et ce, dans une pléiade de domaines : sphères policières et militaires, rouages diplomatiques et économiques, enjeux politiques et identitaires. Recourant aux notions de « mythe » dans l’édification d’un Lumumba communiste ou de « bouc émissaire » comme régulateur de crise, notre étude se conclut plus largement sur les mécanismes humains à l’œuvre dans l’identification d’un ennemi déstabilisateur, puis dans son élimination, censée apporter un apaisement ou une accréditation symboliques.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières du volume 1
  • Remerciements
  • Table des abréviations
  • Table des organigrammes et cartes
  • Introduction générale
  • Un sujet inédit, complexe et controversé
  • Des acteurs multiples et des sources disparates
  • Présentation de la structure de l’ouvrage : réseaux, spécificités et constantes
  • Prolégomênes
  • Première partie L’anticommunisme au Congo avant la Guerre froide
  • Introduction
  • Premier chapitre : L’émergence de la « peur du rouge » au Congo durant les années 1920-1930. Une menace révélatrice des inquiétudes d’une colonie en mutation
  • Section 1. Contexte situationnel
  • Section 2. Les mises en garde de la presse, à la fois « source » et « détectrice » du danger
  • Section 3. La SEPES, une arme polyvalente
  • Section 4. Riposte idéologique et réformes policières sur fond de crise économique
  • Deuxième chapitre : Le Congo pendant la Seconde guerre mondiale. Face à la « crise d’autorité », des réactions mitigées : entre bienveillance et sévérité…
  • Deuxième partie D’une guerre À l’autre (1945-1950) : entre convoitises de l’Ouest et menaces de l’Est… - Le Congo, chasse gardée d’une petite Belgique en proie aux ambitions des Grands
  • Introduction
  • Premier chapitre : L’Union Soviétique, la propagande communiste et les risques de subversion politique au Congo
  • Section 1. Le syndicalisme, principal terrain de la propagande communiste au Congo
  • Section 2. Les autres canaux de la propagande communiste au Congo : une colonie infestée du dedans et assiégée du dehors ?
  • 2.1. L’action intérieure des polémistes européens
  • 2.2. Le consulat de Tchécoslovaquie à Léopoldville : un ferment de subversion en plein cœur de la colonie ?
  • 2.3. Les relais africains périphériques : une colonie encerclée par des complices de Moscou ?
  • Section 3. La lutte contre la subversion communiste au Congo entre 1945 et 1950 : les enjeux sous-jacents d’une menace… finalement maîtrisée !
  • 3.1. Une première barrière « naturelle » à l’influence communiste : la situation sociale, intellectuelle, matérielle et morale des colonisés noirs
  • 3.2. Un deuxième rempart à la subversion : une Sûreté optimalisée
  • 3.3. La priorité du discours belge face à l’étranger : prouver sa compétence pour éviter l’ingérence
  • 3.4. La collaboration occidentale en matière de lutte anticommuniste en Afrique : des nécessités politiques et sécuritaires coloniales aux enjeux militaires et stratégiques mondiaux
  • Deuxième chapitre : Le Congo, enjeu de la défense belge, européenne et occidentale face à « l’ennemi soviétique »
  • Section 1. L’uranium et la menace communiste (1945-1950)
  • 1.1. En métropole : l’uranium congolais et le Parti communiste belge, une campagne dévouée aux intérêts nationaux ou à la stratégie soviétique ?
  • 1.2. Sur le sol congolais : la spirale du « complot soviétique » visant l’uranium emporte la presse, la Sûreté et les autorités elles-mêmes…
  • Section 2. De l’uranium à la politique européenne de défense : les enjeux du problème militaire congolais au début de la guerre froide
  • Troisième partie L’anticommunisme au cŒur d’imbroglios melant l’officiel et l’officieux (1950-1955)
  • Premier chapitre : Quand l’insaisissable Crocodile sème la panique rouge
  • Section 1. Douche froide sous les tropiques africains : un agent secret belge démantèle le complot soviétique au Congo…
  • Section 2. La face cachée du Capitaine Freddy
  • Section 3. Le Capitaine Freddy et la Sûreté congolaise : l’histoire d’un « je t’aime, moi non plus »
  • Deuxième chapitre : Entre nécessité alliée et ambitions nationales ou privées : la protection de l’uranium, une « obligation rentable » ?
  • Section 1. Août 1950 – janvier 1951 : quand la menace de sabotage sur l’uranium s’intensifie et décide enfin les Américains à agir
  • Section 2. L’évolution des conceptions belgo-américaines pour la défense militaire du Congo face à l’ennemi soviétique (1951-1952)
  • Section 3. Le sabotage communiste au Congo : visions et répercussions selon les services secrets belges et américains (1951-1953)
  • Troisième chapitre : « L’affaire Moyen, acte II », ou quand le Crocodile se mange la queue
  • Section 1. La Sûreté congolaise lance la chasse au Crocodile
  • Section 2. Le Crocodile riposte… mais se fait harponner…
  • Quatrième chapitre : L’évolution du débat belge sur la défense et la sécurité dans la colonie (1952-1955)
  • Section 1. De l’échec bilatéral à la collaboration interministérielle nationale
  • Section 2. Le Congo, un bastion à préserver de l’intrusion des ressortissants de l’Est
  • Section 3. Des Congolais embrigadés dans l’école subversive de Prague ?
  • Cinquième chapitre : Le nationalisme et le communisme dans la propagande du colonisateur belge
  • Section 1. Le développement économique et social congolais, la garantie « sine qua non » contre la récupération politique communiste
  • Section 2. Le nationalisme, fourrier du communisme : un discours belge bien huilé face à l’anticolonialisme
  • Quatrieme partie Le Congo face aux percées économiques et idéologiques du camp soviétique en afrique (1955-1958)
  • Introduction : Du fantasme à la réalité : le « tiers-monde » dans l’optique de Khrouchtchev
  • Premier chapitre : Les missions commerciales de l’Est au Congo. Cheval de Troie des ambitions politiques soviétiques en Afrique ou opportunités économiques à saisir ?
  • Section 1. Le « déclenchement des opérations » : les sollicitations hongroises et tchécoslovaques (août-décembre 1955)
  • Section 2. Promesses et déboires d’une dérogation notoire : la visite d’un ambassadeur soviétique au Congo (janvier 1956)
  • Section 3. La multiplication des démarches émanant des satellites (février 1956-décembre 1958) : le Congo, victime d’un « assaut concerté » ?
  • 3.1. L’aggravation du dilemme opposant l’indispensable « sécurité » à l’éventuelle « rentabilité »
  • 3.2. Quand l’enjeu politique fait pencher la balance en faveur de la prudence
  • 3.3. Le commerce avec l’Union Soviétique : la constance d’un sage maintien à distance
  • Deuxième chapitre : Les Belges face à la nouvelle stratégie de séduction communiste des Afro-Asiatiques. L’empathie et l’appel à l’émancipation
  • Section 1. L’instrumentalisation du canal onusien
  • Section 2. Le courant afro-asiatique et l’atout égyptien
  • Section 3. Le communisme et ses ferments privilégiés : le syndicalisme et le nationalisme
  • 3.1. Des Belges apaisés par le caractère modéré de l’éveil syndical et national congolais
  • 3.2. Le Parti communiste belge et l’émancipation congolaise (jusqu’en décembre 1958)
  • 3.3. Patrice Lumumba face au communisme et au pouvoir colonial jusqu’à la conférence d’Accra
  • Section 4. Décembre 1958 : le péril communiste évité dans le chef des Belges « protecteurs », aguerris et souverains
  • Troisième chapitre : L’évolution des stratégies belges face à la menace militaire soviétique au Congo (avril 1955-décembre 1958)
  • Section 1. Une priorité : assurer la paix intérieure dans la colonie
  • Section 2. Les stratégies prônées face aux dangers extérieurs : de l’incident de frontière au conflit mondial
  • Index
  • Table des matières du volume 2
  • Cinquième partie Belges, Communistes et Congolais face au vacillement irréversible de l’ordre colonial (janvier à décembre 1959)
  • Introduction : Les émeutes de Léopoldville, objets d’une « préméditation » ou d’une « récupération » communiste ?
  • Premier chapitre : Les communistes et les nationalistes congolais. Les débuts difficiles d’une relation inféodée à la persécution, la séduction et les manipulations…
  • Section 1. Le pouvoir colonial face aux « redresseurs de torts » communistes belges
  • Section 2. « L’Union Nationale des Travailleurs Congolais » ou le syndicalisme comme aiguillon du combat politique communiste
  • Section 3. Le PCB et les premiers partis politiques congolais
  • Section 4. Le consul de Tchécoslovaquie, l’autre intermédiaire idéal ?
  • Deuxième chapitre : Les communistes utilisent la fédératrice et prometteuse jeunesse africaine
  • Troisième chapitre : Les Belges et la stupéfiante offensive de propagande communiste consécutive aux émeutes
  • Section 1. La riposte sur le plan colonial
  • Section 2. Les variations du discours belge selon les circonstances : une menace utile tantôt pour repousser, tantôt pour solliciter l’étranger…
  • Quatrième chapitre : Les militaires et la Sûreté suite à l’effondrement de la « Pax Belgica »
  • Sixième partie De la Table Ronde à l’indépendance (janvier – 30 juin 1960) / L’accélération de la lutte d’influence tricéphale face à l’extraordinaire « pari congolais »
  • Introduction
  • Premier chapitre : Communistes et Américains dans l’attente du premier gouvernement congolais. Entre prévention et premiers passages à l’action
  • Section 1. La stratégie communiste ou quand le PCB prend les devants…
  • Section 2. La prudence américaine
  • Deuxième chapitre : La cristallisation des tensions et des suspicions autour de « l’étoile montante » Lumumba
  • Section 1. Le contexte non anodin de l’amplification des rumeurs visant Lumumba…
  • Section 2. La « méthode Nendaka »
  • Section 3. L’arme anticommuniste et la constellation anti-lumumbiste au printemps 1960
  • Section 4. Au-delà du mythe, la réalité des relations entre Lumumba et les communistes de janvier à mars 1960
  • Troisième chapitre : Des Congolais se distinguent aux yeux des communistes belges (mars à mai 1960)
  • Section 1. Quand Jean Terfve redistribue les cartes
  • Section 2. Les premiers résultats probants manifestés par les « élus » communistes
  • Section 3. La mise à distance du MNC/Lumumba
  • Section 4. Possibilité d’une « récupération » américaine ?
  • Quatrième chapitre : L’ajustement des tactiques quand Lumumba brouille les pistes (mai-juin 1960)
  • Section 1. Une fin de campagne anti-belge
  • Section 2. Un « complot » belge contre Lumumba ?
  • Section 3. Les solutions américaines
  • Cinquième chapitre : Les atouts et faiblesses des trois forces extérieures à l’aurore de l’indépendance
  • Section 1. Le bilan communiste
  • Section 2. Le bilan américain
  • Section 3. Le bilan belge
  • Conclusion
  • Septième partie La crise congolaise « sous les feux de la rampe et en coulisses » / Un sempiternel ballet rythmé par les stratégies, les enjeux et les intérêts personnels, nationaux et internationaux
  • Premier chapitre : Le 30 juin 1960 et l’explosive entrée en matière de Lumumba. Rupture, symboles et colmatages
  • Deuxième chapitre : Mutinerie de la Force Publique, appel de Lumumba à Khrouchtchev. L’ombre du complot communiste dans la stratégie belge et ses premières conséquences au Congo, à l’ONU et à Washington
  • Troisième Chapitre : Duplicité et controverses autour des résolutions de l’ONU, de la question katangaise et de la visite de Lumumba à l’Oncle Sam (21-27 juillet 1960)
  • Quatrième chapitre : Les dessous de la solution onusienne. Les Belges face à l’ambiguïté américaine ; l’affirmation personnelle d’Hammarskjöld (27 juillet – 5 août 1960)
  • Cinquième chapitre : Entre Tshombé menaçant et Lumumba intransigeant, l’impuissance « désarmante » de l’ONU (5-15 août 1960)
  • Sixième Chapitre : Rupture Hammarskjöld-Lumumba et cristallisation des oppositions à un Premier ministre de plus en plus orienté vers l’Est (15 août – 5 septembre 1960)
  • Septième Chapitre : Valse-hésitation autour d’un chef d’orchestre bien difficile à détrôner (5-14 septembre 1960)
  • Huitième chapitre : Le coup d’État de Mobutu. Pour les Occidentaux, la fin de « l’acte Un » du drame congolais ? (14 septembre 1960)
  • Neuvième chapitre : L’intrigue vire à la cabale…. Les protagonistes rivalisent d’imagination pour contrer Lumumba (14 septembre-10 octobre 1960)
  • Dixième Chapitre : Malgré la fracture entre les alliés d’hier, une première victoire des antilumumbistes (10 octobre – 22 novembre 1960)
  • Onzième chapitre : Turbulences congolaises fomentées par Lumumba, Gizenga, Tshombé et Mobutu (décembre 1960)
  • Douzième chapitre : Le régime de Gizenga à Stanleyville, une nouvelle opportunité pour le camp communiste ?
  • Treizième chapitre : Face aux échecs de l’ONU, le repli sur des solutions bilatérales ?
  • Quatorzième chapitre : La « solution finale » pour le cas Lumumba. Des actions délibérées aux silences complices…
  • Conclusion générale
  • L’anticommunisme sous l’ère coloniale belge
  • La décolonisation en marche
  • Le ‘mythe’ de Lumumba communiste
  • La crise de 1960-1961 : entre rupture et continuité
  • Le pouvoir de l’absent ou les ressorts de « l’émissarisation » symbolique
  • Sources et bibliographie
  • Index

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REMERCIEMENTS

Cet ouvrage n’aurait pas pu voir le jour sans l’aide et le soutien de nombreuses personnes, que je tiens à remercier chaleureusement.

Je pense tout d’abord à mon promoteur, le Professeur Vincent Dujardin, qui durant quatre années, m’a guidée par ses conseils et motivée par son enthousiasme. Je tiens à lui exprimer ma profonde gratitude pour sa confiance et son soutien. Je souhaite exprimer aussi toute ma reconnaissance aux membres de mon jury de thèse, les Professeurs Michel Dumoulin, Claude Roosens, Guy Vanthemsche et Matthew Stanard. J’ai non seulement bénéficié de leurs conseils scientifiques et méthodologiques, mais aussi de leur écoute et leur disponibilité. Je songe aussi aux professeurs auxquels je dois ma formation et ma passion pour l’histoire, aux Facultés Saint-Louis et à l’Université catholique de Louvain. Par ailleurs, les membres du CEHEC, du GEOM, du Département d’histoire et de l’Institut d’études européennes de l’UCL sont autant de personnes avec lesquelles j’ai eu la chance d’échanger et de collaborer à l’occasion de divers projets scientifiques et qui me sont chères aujourd’hui.

Lors de mes dépouillements, j’ai pu compter sur le dévouement des responsables des divers centres d’archives, tant en Belgique qu’à l’étranger. Merci à Marie-France Hanon, Paul van Praag, José Gotovitch, Patricia Van Schuylenbergh, Alain Gérard, Didier Amaury, Pierre Dandoy, Paul Servais, Françoise Mirguet, François Danis, Gustaaf Janssens, David Langbart, Frédéric Gilly, Rudi Van Doorslaer, Filip Strubbe, Pierre-Alain Tallier, Michaël Amara, Baudouin Caeymaex, et bien sûr à Charles Delvaux et Bogumil Jewsiewicki, qui m’ont cédé des archives personnelles. Je remercie aussi Jean-Luc Vellut, Michel Dumoulin, Guy Vanthemsche, Pascal Deloge et Étienne Deschamps qui m’ont transmis des documents issus de leurs propres collections ou investigations. Merci à Beata Dunaj qui m’a aidée à naviguer dans les archives diplomatiques de Varsovie et m’en a traduit les éléments utiles. J’ai également une pensée particulière pour Françoise Peemans que j’ai côtoyée lors de mes longs séjours aux archives du ministère belge des Affaires étrangères.

Merci à José Gotovitch et Emmanuel Gerard pour leurs relectures critiques. Merci au FNRS qui a financé ma recherche doctorale. Merci à ← 13 | 14 → l’Institut d’analyse du changement dans l’histoire et les sociétés contemporaines (IACCHOS) de l’UCL, qui est intervenu dans le financement de cet ouvrage, tout comme Vincent Dujardin lui-même.

Sur le plan beaucoup plus privé, je tiens à remercier ma famille et mes amis pour leur soutien, leur patience et leur affection tout au long de ce cheminement.

Enfin, merci à « mes Essentiels ».

Merci à ma maman pour ses relectures attentives et ses corrections minutieuses, mais aussi pour son soutien au quotidien. Merci à mon rayon de soleil de petite sœur Camille.

Merci à mon mari Stéphane qui a partagé mes inquiétudes au jour le jour face à ce challenge que je m’étais fixée toute seule, mais qui en est devenu un pour l’ensemble de la famille. Sans sa présence indéfectible à mes côtés, je n’aurais jamais pu relever ce défi. Enfin, merci à ma petite fille Éléanor qui illumine notre vie et qui a dû être particulièrement patiente face à une maman bien occupée…

Papa et Benoît, vous aussi avez votre part dans l’aboutissement de ce travail.

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TABLE DES ABRÉVIATIONS

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TABLE DES ORGANIGRAMMES ET CARTES

Volume 1

images Grandes lignes de l’organisation du pouvoir au Congo belge

images Carte administrative du Congo belge – 1er janvier 1929

images Surveillance des populations et maintien de l’ordre au Congo dans les années 1920-1930

images Administration de la Sûreté après la réforme de 1949

images Administration de la Sûreté – Administration supérieure des Provinces, du Service territorial et de la Police en 1949

images Organigramme de la Sûreté de 1957 au 30 juin 1960

Volume 2

images Organigramme de la Sûreté congolaise sur les influences étrangères pesant sur le MNC et Lumumba en 1959

images L’anticommunisme comme arme contre Lumumba – Printemps 1960

images Carte administrative du Congo – 30 juin 1960

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Un sujet inédit, complexe et controversé

Dès les mythes fondateurs, depuis des temps immémoriaux, le pouvoir cultive et exploite la peur, composante intrinsèque de l’humanité. Au 16e siècle, Machiavel érige même ce principe en ressort essentiel de la domination politique lorsque, dans un chapitre célèbre du Prince, il conclut : pour un prince sage, « il est beaucoup plus sûr d’être craint qu’aimé »1. L’histoire des 20e et 21e siècles ne démentira pas cet éminent philosophe : qu’il s’agisse du despotisme des Soviets ou des attentats terroristes, le monde politique brandit la crainte de l’ennemi pour justifier son action et pour fédérer l’opinion autour des valeurs qu’il entend promouvoir2. L’une des peurs récurrentes pour les autorités en place est la crainte du complot, suscitant et justifiant l’existence et le développement de corps de police, de forces armées et de services secrets pour démasquer et neutraliser les agitateurs subversifs3. Preuve de la permanence de ce mécanisme, il se retrouve formulé à la Une d’un récent Courrier International qui titrait : « Tous suspects – Surveillance – Face à la menace terroriste, les États se transforment en Big Brother »4. Aujourd’hui comme autrefois, au nom de la sécurité, l’État active des dispositifs protecteurs et entend réguler ainsi la vie collective. À un autre niveau, individuellement, par définition, la peur est un état physiologique naturel, une réaction contre tout danger qu’il soit réel ou imaginaire, destinée à enclencher une réponse adaptative. Nous verrons que l’État lui-même n’échappe pas à ce mécanisme, en étudiant les multiples facettes de l’anticommunisme au Congo et le déploiement de stratégies que la « crainte du rouge » a générées, malgré l’absence de forces communistes tangibles dans la colonie. ← 23 | 24 →

Même si la peur est une donnée constante de notre « être au monde »5, et donc toujours un ressort de nos sociétés contemporaines, il ne faut pas mesurer les craintes d’autrefois à l’aune de nos jugements actuels. La démarche historienne permet de replacer le comportement des individus, leurs émotions, leurs représentations, leur imaginaire, dans un contexte méthodiquement circonscrit, tentant d’éviter ainsi les pièges de l’anachronisme psychologique. Car évidemment, de 1920 à 1961, la peur du communisme au Congo a renvoyé à des réalités très différentes, variant selon les aléas politiques, économiques et sociaux en Belgique et au Congo, mais aussi selon les enjeux de l’échiquier international, tant à l’Est qu’à l’Ouest.

Cet ouvrage s’attaque à un sujet éminemment polémique, non seulement par son contenu mais aussi par le traitement dont il a fait l’objet depuis des dizaines d’années, soulevant encore des interrogations et des interprétations quasi belliqueuses. De manière générale, l’histoire coloniale belge éveille les controverses. Souvent simplifiée ou biaisée par des productions audiovisuelles ou littéraires jouant sur une « sensibilité exacerbée qui favorise un succès d’audience »6, elle suscite culpabilité et repentance7 chez les uns, tandis qu’elle provoque un contre-feu hagiographique ou négationniste chez les autres8. Enfin, comme dans l’étude de l’esclavage ou de l’holocauste, la scientificité de la démarche historienne ne vise pas à « commémorer les victimes du passé »9 de la colonisation. Ce sont là les ← 24 | 25 → trois écueils que ce livre entend éviter, d’autant que cette étude compte rouvrir le dossier Lumumba, l’une des boîtes de Pandore du passé colonial belge… Certes, le destin tragique du Premier ministre congolais a été plus qu’abondamment traité, de même que le 30 juin 1960 et les journées qui l’ont suivi10. Mais les études consacrées aux années 1950 furent bien souvent le résultat de lectures « immédiates » d’auteurs ayant vécu de près ou de loin les événements, sans avoir eu le temps de prendre la distance nécessaire à leur évaluation objective11. Aujourd’hui, de nouveaux fonds d’archives, tant en Belgique qu’à l’étranger, sont devenus accessibles et permettent à l’historien d’affiner l’examen de cette période, et en particulier quand il s’agit de décrypter les dessous de luttes d’influences idéologiques, comme celles qui gravitent autour du communisme. Jusqu’à présent, sur ce sujet précis, on ne pouvait se référer qu’à quelques publications12, dont le rapport de la Commission d’enquête sur l’assassinat de Lumumba est la plus récente, quoiqu’il date de 2001-200213

En outre, étudier la peur du rouge au Congo signifie aborder la question du « maintien de l’ordre » en milieu colonial, thématique qui demeure ← 25 | 26 → un véritable « parent pauvre du renouveau des études impériales », ainsi que l’ont récemment déploré les Français Emmanuel Blanchard et Joël Glasman. Si le sujet rebute, c’est notamment parce que le chercheur qui s’y frotte se trouve rapidement dépassé par son objet d’étude, tant le maintien de l’ordre dans les empires européens d’Outre-Mer s’avère une question ultra-sensible : pas seulement d’ordre technique, mais véritablement existentielle puisqu’il s’agit de « la condition sine qua non de l’existence… » et de la survie de la société coloniale14.

Pour notre propos, depuis les années 1920 jusqu’aux lendemains de la mort de Lumumba, en 1961, il s’agira tout d’abord identifier la nature de la menace communiste perçue par les autorités politiques, économiques et militaires belges et occidentales, et de comprendre comment cette représentation s’est construite. Ceci implique en amont de repérer les sources sur lesquelles ces sphères dirigeantes s’appuyaient pour dépeindre le danger communiste visant le Congo, d’identifier ensuite les acteurs et les mécanismes de la transmission et du traitement de l’information, et de juger enfin, lorsque cela s’avère possible, de la fiabilité des données rapportées. Dans un second temps, il s’agira de dépeindre, en fonction du type et du degré de dangerosité attribués au « péril rouge » pour chaque période identifiée, la manière dont les Belges et les Occidentaux ont réagi à la menace, en discernant les stratégies mises en place pour la contrer.

Des acteurs multiples et des sources disparates

Il nous faut d’emblée préciser que derrière le label « Belges et Occidentaux » se cache bien sûr une myriade d’entités et d’agents décisionnels, aux opinions et surtout aux intérêts différents voire parfois nettement antagonistes. L’organisation politico-administrative de la colonie belge à elle seule constitue déjà un fameux dédale vu la multiplicité des instances concernées par sa gestion, en métropole et en Afrique, et la flexibilité des règles codifiant leurs relations15. Rien que du côté belge, notre enquête heuristique se devait d’embrasser une pléiade d’archives et de documents, officiels ou secrets, si elle ambitionnait de comprendre la manière dont les sphères dirigeantes avaient perçu la menace rouge et y avaient riposté. Nous avons donc commencé par analyser tous les documents judicieux et accessibles relatifs à ces acteurs nationaux, qu’ils opèrent dans les sphères ← 26 | 27 → politiques, sociales, militaires, policières, diplomatiques, judiciaires ou économiques, qu’ils agissent ou s’expriment dans le domaine public ou privé, via de la correspondance bilatérale, en marge ou lors de réunions multipartites ou de grandes assemblées telles qu’à l’ONU ou à l’OTAN.

Concrètement, nous avons consulté les fonds relatifs au gouvernement général et à l’administration territoriale, à la Force Publique et à l’armée métropolitaine en Afrique, sans omettre bien sûr les dossiers de la Sûreté congolaise. Nous avons étudié les archives des diverses composantes des ministères des Colonies et des Affaires étrangères (cabinet, direction du Commerce, direction de la Politique), de même que toute la correspondance diplomatique relative au Congo pour les années couvertes par cette étude. Les démarches effectuées pour accéder aux archives du Renseignement militaire et de la Défense belges à Evere, ainsi qu’aux fonds de la Sûreté de l’État en métropole n’ont pas abouti16 mais nous avons eu accès à de très nombreux documents issus de ces sphères par voie indirecte, c’est-à-dire via la correspondance ou les rapports qu’ils échangeaient avec les autorités politiques et économiques belges et occidentales.

Tant les documents produits par les organes publics (PV des Conseils des ministres ou Annales parlementaires) que les archives privées des décideurs ont été dépouillés. Citons par exemple celles de Gaston Eyskens, Pierre Wigny, Harold d’Aspremont Lynden, Paul-Henri Spaak, Paul Van Zeeland, Joseph Pholien, Jacques Delvaux de Fenffe, Frédéric Vandewalle ou encore Jules Loos … Nous avons également compulsé les souvenirs et mémoires de personnalités emblématiques telles le gouverneur général Léon Pétillon, le ministre des Affaires générales en Afrique Walter Ganshof Van der Meersch, le conseiller diplomatique Robert Rothschild ou le premier ambassadeur belge à Léopoldville après l’indépendance, Jean Van den Bosch. Nous avons aussi dépouillé les papiers d’acteurs et d’analystes contemporains des événements, tels ceux de Benoit Verhaegen17. En ← 27 | 28 → ce qui concerne les grandes sociétés coloniales, nous avons consulté les archives de la Compagnie du Congo pour le Commerce et l’Industrie, de la Société minière du Bécéka, ainsi que celles de l’Union Minière du Haut- Katanga, dont les fonds secrets nous ont été spécialement ouverts après trois ans de démarches administratives. Nous avons également dépouillé les papiers d’Edgar Van der Straeten, vice-gouverneur de la Société Générale de Belgique, le plus puissant holding opérant au Congo, et d’Herman Robiliart, l’un de ses directeurs, et par ailleurs administrateur de l’Union Minière.

Pour étudier les réseaux anticommunistes « privés » et leurs liaisons avec les tenants du pouvoir, nous avons consulté les documents concernant la « Société d’études politiques et sociales », dite SEPES (y compris à Bois-du-Luc, dans les archives industrielles du Couchant de Mons) et ceux relatifs au « Centre international de lutte active contre le communisme » ou CILACC, que nous présenterons en temps utile. Nous avons également décortiqué les rapports du célèbre mais néanmoins obscur André Moyen, qui nous plongent dans l’univers des Stay Behind et autres « armées secrètes de l’OTAN ». Cet agent de renseignement belge est resté longtemps une énigme, que les historiens du CEGESOMA viennent de contribuer à résoudre, du moins en ce qui concerne le rôle de Moyen dans l’assassinat de l’ancien Président du Parti communiste belge, Julien Lahaut18. Mais une facette tout aussi méconnue du singulier personnage réside dans les activités qu’il déploya au-delà du territoire belge. Nous allons démontrer qu’au Congo aussi, son influence s’est puissamment fait ressentir. En effet, nous avons découvert des archives inédites à propos du réseau qu’il fonda dans la colonie, appelé Crocodile et grâce à elles, nous aurons l’opportunité d’éclairer les modes opératoires d’André Moyen et les raisons de leur incroyable impact, y compris à l’étranger. Pour y parvenir, les dossiers concernant la traque et la répression du réseau par la Sûreté et la magistrature du Katanga, se sont avérés décisifs. Ils nous ont été fournis par le Professeur Bogumil Jewsiewicki, de l’Université Laval au Québec. Il les avait conservés après son séjour au Congo et nous le remercions chaleureusement de nous les avoir envoyés.

Toujours dans la sphère judiciaire mais sur d’autres affaires, nous avons également enquêté sur les procès des leaders Abako ou de Patrice Lumumba, au départ de pièces issues des Cours et tribunaux de Stanleyville et Léopoldville ou de celles conservées par certains magistrats de l’époque, tels Roger Sergoynne et Charles Delvaux. ← 28 | 29 →

En outre, les réseaux anticommunistes éditaient de nombreuses brochures et disposaient d’importants relais dans le monde de la presse. Nous avons donc examiné quantité de journaux de l’époque, diffusés en Belgique, en Occident ou en Afrique et analysé les débats auxquels les questions soulevées par les anticommunistes ont donné lieu dans l’opinion publique, y compris lorsque certains pamphlets polémiques suscitèrent ripostes et mises au point19.

Toutefois, nous n’avons pas consulté les archives des congrégations missionnaires, considérant que ce domaine en lui-même mériterait un travail à part entière. Par contre, nous avons tenu compte des prises de position de grands prélats, comme Mgr de Hemptinne, vicaire apostolique du Katanga, le Père Van Wing, missionnaire jésuite membre du Conseil colonial ou le cardinal Van Roey, archevêque de Malines. Ils nous semblaient être les porte-parole du monde catholique belge et nous démontrerons en quoi leurs actions, leurs relations ou leurs prises de positions s’avéreront polémiques et surtout influentes.

Comme nous l’avons annoncé plus haut, nous avons progressivement élargi notre questionnement à la scène internationale. Pour évaluer les perceptions française et anglo-saxonne de la menace communiste au Congo et la manière dont ces puissances ont réagi, nous avons consulté les archives d’Outre-Mer à Aix-en-Provence, rassemblant la correspondance entre ministère des Affaires étrangères, ministère de la France d’Outre-Mer, services de sécurité et gouvernements locaux en Afrique, ainsi que les archives londoniennes du Foreign Office et du Colonial Office, comportant elles-mêmes des rapports de Sûreté et de la correspondance inédite entre services de sécurité occidentaux en Afrique. Nous avons également obtenu certains documents provenant des papiers personnels du Général de Gaulle. Outre-Atlantique, notre séjour de recherche dans les archives nationales américaines à Washington nous a permis de consulter les archives des Départements d’État et de la Défense, de leurs représentations diplomatiques à Léopoldville, Élisabethville et Bruxelles et dans le reste du monde, ainsi que les rapports de la CIA relatifs au Congo et à l’Afrique et les dossiers spécifiques touchant à l’uranium ou au European Recovery Program (Plan Marshall). La présentation détaillée des fonds consultés figure dans la bibliographie. ← 29 | 30 →

Pour objectiver l’analyse, la sphère des appréhensions et des craintes occidentales doit être confrontée à la réalité tangible des faits, afin de mesurer l’implication et l’emprise exactes du communisme au Congo. Dans cette optique, les sources de renseignements épinglées ci-dessus ont été soumises à un examen critique résultant de leur confrontation avec des archives en provenance « de l’autre bord », c’est-à-dire du « camp communiste », aussi bien en Belgique qu’à l’étranger, et donc cette fois, à l’Est de la scène internationale. Pour ce faire, nous avons dépouillé les archives du Parti communiste belge au CARCOB, ce qui nous a permis de découvrir de nombreux papiers personnels ainsi que les interviews orales de figures communistes impliquées dans l’histoire de la colonie20. Par ailleurs, nous avons analysé certaines archives soviétiques mises en ligne par le Cold War International History Project du Centre W. Wilson de Washington21, ainsi que les archives du ministère polonais des Affaires étrangères à Varsovie. La consultation des rapports des diplomates belges en poste dans les pays de l’Est révèle en outre des articles de presse, des ouvrages, des comptes rendus d’émissions radio ou des déclarations émanant des savants ou hommes politiques russes, reflétant la vision soviétique du colonialisme en Afrique et au Congo belge et la nature de sa propagande à destination des peuples en voie d’émancipation. Nous avons par ailleurs étudié les dossiers concernant les relations du Congo avec l’Est dans les archives du ministère des Colonies, du gouvernement général et des Affaires étrangères de Bruxelles, ainsi que les archives du Commerce extérieur, des Affaires économiques et des Finances pour analyser ce que représentait le commerce du Congo avec les pays socialistes.

À côté de ces sources « de première main », plusieurs études récentes22 permettent de mieux cerner l’évolution de la politique soviétique à l’égard ← 30 | 31 → de l’Afrique et d’en déceler les multiples changements conceptuels, mais aussi les conséquences pratiques au fil du temps. Ces travaux révèlent que les divers leaders soviétiques n’ont pas abordé la question coloniale de façon similaire. Il nous reviendra donc d’une part d’analyser comment leurs partisans en Belgique ont dû s’adapter aux variations d’injonctions provenant de Moscou, compte tenu de l’impact que le débat colonial pouvait avoir sur leur propre situation politique nationale. Il s’agira d’autre part de définir la place réservée au Congo dans les stratégies communistes plus globales, ce qu’aucun chercheur ne s’était jusqu’ici attelé à étudier spécifiquement ni a fortiori, sur le long terme.

Jusqu’à présent, à lire ce panel de sources documentaires, force est de constater que l’on parle beaucoup « du Congo », peu « des Congolais », et quasi pas de leur propre parole à l’égard de cette « peur du rouge ». Effectivement, les traces écrites exprimant leur vécu à l’égard du communisme ne datent que de la seconde moitié des années 1950, lorsque des « évolués » rédigent des textes dans lesquels ils se prononcent sur les diverses idéologies politiques, lorsqu’au cours de leurs séjours à l’étranger ou en Belgique, ils donnent des conférences dont il reste des comptes rendus, ou lorsqu’ils adressent des courriers aux instances politiques d’Afrique, de l’Ouest ou de l’Est et de Belgique. Bien entendu, les analyses rédigées a posteriori par les intellectuels congolais de l’époque, tel Thomas Kanza, éclairent aussi les faits à la « lumière noire »23… Ces voix africaines, même si elles s’expriment au nom de la masse, demeurent cependant les voix d’élites. Si cette observation est sans doute valable pour la plupart des archives congolaises, dans le cas particulier du traitement de la peur, il nous semble pertinent de relayer une des conclusions de Jean Delumeau dans son histoire de « La Peur en Occident »24, à savoir que la peur, quand elle est intellectualisée par l’élite, s’exacerbe et entraine des réactions plus violentes que celles que la population avait produites : « la culture savante est généralement plus affolée que la population devant l’action multiforme des forces ← 31 | 32 → démoniaques et s’efforce de répandre ses propres peurs dans la masse »25. Nous verrons ce type d’instrumentalisation à l’œuvre dans l’action d’un Victor Nendaka à l’encontre de Patrice Lumumba par exemple.

Au final, une des tâches les plus complexes face à ces sources disparates a été d’établir les connexions entre les multiples pôles personnels, organisationnels ou étatiques de l’immense réseau créé autour du communisme au Congo et de son combat, qu’ils agissent dans l’ombre ou en pleine lumière. Au-delà de la « mise au jour » de cette trame, cet ouvrage démontre en quoi ces connexions ont joué, d’une part dans l’identification voire l’amplification de la menace, et d’autre part dans la réflexion et l’action pour la contrer ou l’utiliser, consciemment ou non. Nous cernerons ainsi le poids des perceptions, des contacts, des intérêts et des enjeux individuels, nationaux ou internationaux sur le cours des événements.

Présentation de la structure de l’ouvrage : réseaux, spécificités et constantes

Les « Prolégomènes » permettront au lecteur non averti de prendre connaissance de la manière spécifique dont le Congo belge s’organisait, sur les plans politique, administratif, et économique.

Ensuite, sept parties s’enchaîneront successivement, chacune constituant une entité cohérente du point de vue de la conception de la menace et de sa lutte. C’est pourquoi, elles seront de volumes inégaux, certaines couvrant plusieurs décennies, d’autres seulement quelques mois. Au sein de chaque partie, les aspects politiques, économiques, militaires et sécuritaires seront abordés et mis en relation avec la menace communiste, avérée ou non. En voici brièvement le synopsis.

Dans les années 1920-30, le communisme s’établit de manière révolutionnaire en mode de gouvernance en Union Soviétique et les colonies soumises à la domination européenne représentent un terreau fertile où la révolution bolchévique pourrait germer et s’épanouir. Le danger se pose donc d’emblée de manière cruciale pour le Congo belge. Dans les années 1940-1945, la guerre et ses alliances internationales changent la donne et l’Union Soviétique cesse pour quelque temps d’être un ennemi aux yeux des Occidentaux. La lutte anticommuniste dans les colonies connaît donc une certaine trêve.

L’immédiat après-guerre est marqué par la recrudescence du « péril rouge », tandis que Staline et ses partisans bénéficient d’une aura politique ← 32 | 33 → importante, consécutive à leur contribution à la victoire sur le nazisme. De surcroît, c’est avec la Seconde guerre mondiale que le Congo uranifère prendra une importance stratégique et économique inédite, qui se verra confortée pendant la Guerre froide.

En 1949, l’explosion de la première bombe atomique russe, suivie du déclenchement de la Guerre de Corée, aiguise en effet les convoitises qui s’exercent sur l’uranium congolais. L’atmosphère devient véritablement paranoïde, à l’instar de la chasse aux sorcières maccarthyste qui sévit aux États-Unis et dont le Congo connaîtra des avatars.

À partir de 1955, les mines congolaises ne sont plus la ressource exclusive pour l’approvisionnement en uranium et l’URSS s’implante économiquement en Asie et en Afrique, faisant du « tiers-monde »26 son nouveau terrain d’expansion. Ces deux changements affecteront la façon dont la question du péril rouge va se poser au Congo.

En janvier 1959, les émeutes de Léopoldville sonnent le premier coup de glas de ce que l’on croyait être l’exception belge, la « colonie-modèle ». Désormais, la Belgique n’émergera plus jamais de ce tourbillon de doutes, d’inquiétudes et de suspicions. Dans leur recherche des causes et des responsabilités, les autorités soupçonnent immédiatement Moscou d’avoir orchestré la rébellion populaire via son influence sur la poignée de nationalistes que comptait alors le Congo. Le problème se pose donc clairement en termes idéologiques et politiques, ce qui était quasi inconcevable dans le chef des Belges avant les émeutes. Au cœur de ces tensions, nous étudierons le cas emblématique de l’ascension de Patrice Lumumba, l’un des leaders congolais à avoir le plus précocement compris les avantages qu’il pouvait tirer de l’affrontement idéologique Est-Ouest. En quoi ses activités en 1959 amorceront-elles sa stratégie future et à quels dangers l’exposaient-elles déjà ? Comment les camps coloniaux, américains et communistes réagiront-ils à cette politique ?

Entre la Table Ronde de janvier 1960 et la cérémonie de l’Indépendance du 30 juin, le processus de décolonisation s’accélère de manière telle qu’il oblige les trois principales forces externes (Belges, Américains et communistes) à réadapter précipitamment leurs stratégies et à préparer ← 33 | 34 → la nouvelle configuration du terrain sur les plans économique, diplomatique, mais surtout politique. C’est à nouveau la personnalité de Patrice Lumumba qui va cristalliser les tensions au fil de son ascension jusqu’au sommet de l’État. Après avoir décrypté les véritables appuis logistiques, financiers et idéologiques dont a pu bénéficier le futur Premier ministre, nous reconstituerons les mailles du filet dans lequel ses détracteurs ont voulu l’empêtrer : le diaboliser en tant que communiste sera un moyen autour duquel se fédéreront divers acteurs aux mobiles différents mais au but convergent : écarter Lumumba de la scène décisionnelle congolaise.

Cinq jours après les cérémonies de l’Indépendance, la mutinerie de la Force Publique saccage définitivement tout espoir de transition pacifique et réamorce la hantise d’un complot communiste. La septième partie de cette étude analysera les six mois qui vont suivre, lesquels verront les antagonismes s’exacerber, tandis que les risques d’une troisième guerre mondiale s’intensifient et que les mesures de rétorsion s’amplifient par des moyens légaux ou non… La crise qui secoue le jeune État constitue « une grande première » à maints égards, tant dans l’implication qu’elle va exiger de la part de l’Organisation des Nations Unies, que dans la gestion des jeunes puissances afro-asiatiques et dans les réadaptations quasi quotidiennes imposées par l’incessante mouvance des acteurs en présence. Les entités autrefois amies – États-Unis/Belgique – se scindent, chaque camp se divise intrinsèquement – par exemple, autour de la question katangaise – et les alliés potentiels, tant de l’Est que de l’Ouest, se révèlent moins « bien disposés » que prévu. L’acuité des difficultés est telle que même l’organisation garante de la paix et la sécurité mondiales se voit contrainte d’abandonner sa sacro-sainte neutralité. De manière générale, si certaines tractations se nouent au vu et au su de tous, de nombreuses manœuvres en coulisses auront des répercussions décisives. Le caractère inédit des événements réside aussi dans le fait que pour la première fois dans l’histoire, les Congolais acquièrent une stature étatique internationale. Ils font preuve d’initiatives propres, indépendamment des sollicitations ou pressions externes.

La structure de l’ouvrage découle donc des variations que le danger communiste et son combat ont connues, en fonction de l’évolution interne de la colonie, des ressources et des priorités de la métropole, mais aussi des questions stratégiques liées à la conjoncture internationale. Les témoignages des protagonistes du passé seront en effet resitués dans les contextes belges, européens, africains et mondiaux au cours desquels ils se sont exprimés. Grâce à ce recadrage « macro-historique », le poids et l’influence des acteurs-phares pourront mieux se jauger et l’on parviendra à distinguer les actions inhabituelles ou « innovantes » des mécanismes ← 34 | 35 → collectifs plus conventionnels. En outre, le choix d’une structuration chronologique permettra de distinguer d’une part les spécificités relatives à la nature de la menace et à son combat pour chacune des sept périodes étudiées, et d’identifier d’autre part les implications plus durables de la lutte anticommuniste, par exemple sur l’évolution structurelle et institutionnelle du régime colonial belge, au fil des quatre décennies couvertes. Autrement dit, l’étude de l’anticommunisme jettera un éclairage neuf sur la manière dont l’État colonial belge fonctionnait réellement. De surcroît, au-delà des fluctuations que la lutte contre le péril rouge connaîtra entre 1920 et 1961, des éléments redondants se dessinent aussi. Ces constantes se décèlent tant au niveau des ressorts et dessous cachés des réseaux interpersonnels à l’œuvre qu’à propos des stratégies et schèmes mentaux récurrents dans « l’instrumentalisation » pratique – et surtout symbolique – de la menace.

Aujourd’hui, plus de cinquante ans après les faits, les enjeux et les rivalités qui agitent la planète font écho aux procédés et questionnements en vigueur alors, tandis que l’on fait toujours face à la difficulté de cerner un ennemi idéologique (mouvance des Djihadistes du califat) et que l’Occident semble hanté en permanence par la crainte de voir la sécurité des biens et des personnes mise à mal par les détracteurs de son modèle de civilisation. L’histoire ne « recommence » certes pas mais les situations passées affichent parfois de telles ressemblances avec les défis présents – surtout quand elles touchent à des dimensions fondamentales de notre « rapport à l’autre », telles la peur ou la quête de sécurité – qu’elles surprennent et interpellent tout qui s’engage à les explorer, en sa qualité de chercheur ou simplement, de citoyen et d’être humain.


1 Machiavel, Le Prince, Paris, Librairie générale française, 2000, p. 123-127 (Classiques de la philosophie).

2 Corey R., La peur, histoire d’une idée politique, Paris, Armand Colin, 2006, p. 22-24.

3 Delwit P. et Gotovitch J., « La peur des rouges », dans Delwit P. et Gotovitch J. (dir.), La peur du Rouge, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1996, p. VII-XV, ici p. XII.

4 Courrier international, n° 1285 du 18 au 24 juin 2015.

5 Lacroix A., « A-t-on raison d’avoir peur ? », dans Philosophie magazine, n° 34, novembre 2009, p. 36-39. Cité par Wicki J., Cuénot J. et Brasey-Taric, e.a. (dir.), La Peur. Une histoire des peurs sociales : de l’apocalypse à la peur climatique, Gymnases de Burier, Chamblandes, Morges, Nyon, 2010. Ce dossier est consultable sur http://www.gymnasedeburier.ch/site/images/stories/filehistoire/OC_Histoire/histoire_peur.pdf.

6 Van Schuylenbergh P., « Trop-plein de mémoires, vide d’histoire ? Historiographie et passé colonial belge en Afrique centrale », dans Van Schuylenbergh P., Lanneau C. et Plasman P.-L. (dir.), L’Afrique belge aux XIXe et XXe siècles. Nouvelles recherches et perspectives en histoire coloniale, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2014 (Outre-Mers, 2), p. 31-71, ici p. 46.

7 Dumoulin M., « Du voyage de Baudouin en 1955 au 30 juin 1960. Une approche historiographique », dans Dumoulin M., Gijs A.-S., Plasman P.-L. et Van de Velde C. (dir.), Du Congo belge à la République du Congo, 1955-1965, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2012 (Outre-Mers, 1), p. 27-42, ici p. 28. « Le retour en force du passé colonial fait se côtoyer l’apologie sans discernement avec le réquisitoire ponctué par un appel à la repentance ».

8 Vanthemsche G., « The historiography of Belgian Colonialism in Congo », dans Lévai C. (dir.), Europe and the World in European historiography, Pisa University Press, Éd. Plus, 2006, p. 89-119, ici p. 104 (consultable en ligne sur http://www.cliohres.net/books/6/Vanthemsche.pdf).

9 Van Schuylenbergh P., op. cit., p54.

10 Parmi les études de référence, citons notamment : Gérard-Libois J. et Verhaegen B., Congo 1960, t. 1 et t. 2, Bruxelles, CRISP, 1961 ; Kalb M., The Congo Cables. The Cold War in Africa – From Eisenhower to Kennedy, New York, Macmillan, 1982 ; Willame J.-C., Patrice Lumumba. La crise congolaise revisitée, Paris, Karthala, 1990 ; Van Bilsen J., Congo 1945-1965. La fin d’une colonie, Bruxelles, CRISP, 1994 ; De Witte L., Crisis in Kongo. De rol van de Verenigde Naties, de regering Eyskens et het koningshuis in de omverwerping van Lumumba et de opkomst van Mobutu, Leuven, Uitgeverij Van Halewyck, 1996 ; Id., L’Assassinat de Lumumba, Paris, Khartala, 2000 ; Etambala Z.A., De teloorgang van een modelkolonie. Belgisch Congo 1958-1960, Leuven, Acco, 2008 ; Kent J., America, the UN and the Decolonisation. Cold War conflict in the Congo, Londres/New York, Routledge, 2010 ; Braeckman C., Gérard-Libois J., e.a., Congo 1960. Échec d’une décolonisation, Bruxelles, GRIP-André Versaille, 2010. Voir aussi Gerard E. et Kuklick B, Death in the Congo. Murdering Patrice Lumumba, Cambridge/Londres, Harvard University Press, 2015.

11 Dumoulin M., op. cit., p. 33-34.

12 Les deux plus emblématiques nous semblent : Vellut J.-L., « Épisodes anticommunistes dans l’ordre colonial belge (1924-1932) », dans Delwit P. et Gotovitch J. (dir.), La peur du Rouge, op. cit., p. 183-190, et Verhaegen B., « Communisme et anticommunisme au Congo (1920-1960) », dans Brood en Rozen, 1999, n° 2, p. 113-127. Il faudra aussi bientôt y ajouter : Vellut J.-L., « Simon Kimbangu entre dans l’horizon communiste : de la collaboration à l’éclipse ». À paraître en 2016 dans Simon Kimbangu. Les sources. Vol. 3 : Christianisme et radicalismes européens en désarroi (1922-1960), Bruxelles, ARSOM.

13 Rapport de la Commission d’enquête parlementaire visant à déterminer les circonstances de l’assassinat de Patrice Lumumba et l’implication éventuelle des responsables politiques belges dans celui-ci (Documents parlementaires, Chambre, 2001-2002, n° 50 0312/006 et 0312/007 du 16 novembre 2001, 2 vol.). Voir aussi sa publication sous forme de livre : De Vos L, Gerard E., Gérard-Libois J., Raxhon P., Les secrets de l’affaire Lumumba, Bruxelles, Racine, 2005.

14 Blanchard E. et Glasman J., « Le maintien de l’ordre dans l’empire français : une historiographie émergente », dans Bat J.-P. et Courtin N. (dir.), Maintenir l’ordre colonial. Afrique et Madagascar, XIXe-XXe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 11-41, ici p. 11-13.

15 Voir les « Prolégomènes » et l’organigramme de la structure du pouvoir au Congo belge, page 37.

16 Le Chef du service général du Renseignement et de la Sécurité de la Défense à Evere et l’Administrateur général de la Sûreté de l’État ont décliné notre demande d’accès à ses archives, précisant que « la législation spécifique au secret professionnel dans le monde du renseignement fixe un cadre rigide quant à la communication d’informations classifiées sensibles et des données à caractère personnel, en particulier celles dites sensibles ».

17 Docteur en droit et en économie, Benoît Verhaegen (1929-2009) a été volontaire dans le bataillon belge de la guerre de Corée avant de gagner le Congo et d’y devenir progressivement un marxiste convaincu et un partisan affiché d’une transformation révolutionnaire de la société. De Villers G., « Le CRISP, Benoît Verhaegen, et l’histoire du temps présent au Congo-Kinshasa », exposé présenté au séminaire du Groupe Europe-Outre-Mers à Louvain-la-Neuve, le 2 décembre 2010. Praticien de « l’histoire immédiate », Benoît Verhaegen a aussi joué un rôle d’intermédiaire politique auprès des autorités congolaises en 1960, que nous découvrirons dans notre septième partie.

18 Gerard E., De Ridder W. et Muller F., Qui a tué Julien Lahaut ? Les ombres de la guerre froide en Belgique, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 2015.

19 Par exemple, quand l’avocat juriste démocrate Jules Chomé répondit à l’éditorialiste pacifiste catholique Pierre Houart sur la nature des liens entre Lumumba et les communistes. Houart P., La pénétration communiste au Congo. Commentaires et documents sur les événements de juin-novembre 1960, Bruxelles, Centre de documentation internationale, 1960. Chomé J., M. Lumumba et le Communisme, Bruxelles, Remarques congolaises, 1961.

20 En matière de témoignages, le chercheur Tom Masschaele a également consigné en annexes de son étude divers comptes rendus transcrivant ses entretiens avec des communistes belges ayant joué un rôle dans l’affaire congolaise. Masschaele T., De activiteiten et standpunten van de Communistiche Partij van België met betrekking tot Belgisch Congo (1945-30 juni 1960), mémoire de licence, Vrije Universiteit Brussel, 2001-2002.

21 Archives américaines et soviétiques relatives à l’Afrique et au Congo pour la période 1954-1962, mises en ligne par le Woodrow Wilson Center dans le cadre du Cold War International History Project (en septembre 2004). Ce dossier est consultable à l’adresse : http://www.wilsoncenter.org/publication/the-congo-crisis-1960-1961 ou sur CD-Rom au CEGESOMA à Bruxelles.

22 Citons par exemple : Davidson A., Mazov S. et Tsipkin G., SSSR i Afrika 1918-1960. Dokumentirivannaia istoriia vzaimootnoschenii, Moscou, IVI RAN, 2002 ; Matusevich M. (dir.), Africa in Russia. Russia in Africa. Three centuries of Encounters, Trenton, NJ/Asmara, Eritrea, Africa World Press, 2007 ; Katsakioris C., « L’Union Soviétique et les intellectuels africains. Internationalisme, panafricanisme et négritude pendant les années de décolonisation, 1954-1964 », dans Cahiers du monde russe, vol. 47, 2006, n° 1, p. 15-32 ou encore Id., « Transferts Est-Sud. Échanges éducatifs et formation de cadres africains en Union Soviétique pendant les années soixante », dans Outre-Mers, t. 95, n° 354-355, 2007, p. 83-106. Voir aussi Bartenev V., « L’URSS et l’Afrique noire sous Khrouchtchev : la mise à jour des mythes de la coopération », dans Outre-Mers, t. 95, n° 354-355, 2007, p. 63-82 ; Mazov S., A Distant Front in the Cold War. The USSR in West Africa and the Congo, 1956-1964, Washington, Woodrow Wilson Center Press, 2010 et Iandolo A., « The rise and fall of the ‘Soviet Model of Development’ in West Africa, 1957-64 », dans Cold War History, vol. 12, n° 4, 2012, p. 683-704.

23 Kanza T., Conflict in the Congo, Londres, Penguin Books, 1972.

24 Delumeau J., La Peur en Occident, Paris, Fayard, 2008.

25 Id., « Une histoire de la peur », dans Anales de la Fundación Joaquín Costa, n° 8, 1991, p. 35-42, ici p. 41, consultable en ligne sur <dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/105076.pdf>.

26 L’expression « tiers-monde » a été créée par le démographe français Alfred Sauvy dans un article publié le 14 août 1952 par L’Observateur. L’auteur évoque, entre le bloc occidental et le bloc communiste, l’existence d’un troisième monde, constitué de pays « sous-développés », convoités par les deux blocs. Selon Sauvy, ce tiers-monde a des traits caractéristiques, et notamment une croissance démographique galopante. En 1956, dans un ouvrage écrit avec Georges Balandier, A. Sauvy explicite le terme de « tiers-monde » dans une volonté d’infléchir sensiblement le concept de « sous-développement » né quelques années plus tôt, aux États-Unis.

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PROLÉGOMÈNES

Avant d’analyser la manière dont la menace communiste va être perçue et combattue au Congo, il convient de présenter les structures de l’organisation politique, administrative et économique de ce vaste territoire. Ces structures vont évidemment s’étoffer et évoluer d’années en années, en termes de champ d’action, d’effectifs, de dénomination et de composition internes. Nous serons d’ailleurs attentifs à ces évolutions, surtout lorsque le péril rouge sera lui-même la cause des mutations apportées à « l’organigramme » colonial belge. Néanmoins, entre le moment où le Congo devint colonie belge en 1908 et son indépendance en 1960, sa destinée dépendra de quelques grands principes idéologiques et agencements institutionnels relativement stables, dont certains s’avéreront même quasiment immuables, en ce qu’ils conditionneront véritablement la survie de ce régime, à l’ossature tout à fait spécifique. Les prolégomènes présentés ci-dessous constituent donc en quelque sorte la « toile de fond » sur laquelle la peur du rouge va exercer son emprise protéiforme au cours du temps.

Après l’absolutisme qui caractérisa le régime de Léopold II1, même si l’exercice du pouvoir se voulut dorénavant beaucoup plus strictement contrôlé, l’organisation politico-administrative du Congo belge demeura fortement centralisée. D’après les termes de la Charte coloniale de 19082 – équivalent à la « Constitution » du Congo sous l’ère belge – les pouvoirs législatifs et exécutifs étaient concentrés à Bruxelles. Le Roi exerçait le pouvoir législatif par décret, et il légiférait sur proposition du ministre des Colonies. Tous deux étaient assistés d’un Conseil colonial, qui devait donner son avis sur les projets de décrets, tandis qu’en Afrique, le gouvernement général pouvait lui aussi promulguer des ordonnances législatives en cas d’urgence. En tant que membre du gouvernement belge, le ministre des Colonies devait rendre des comptes au Parlement, qui approuvait le budget du Congo, indépendamment de celui de la métropole, puisque patrimoines et finances de la Belgique et du Congo étaient rigoureusement séparés (seconde exigence destinée à éviter les dérives de la précédente ← 37 | 38 → gouvernance léopoldienne). Selon la Charte, le pouvoir exécutif revenait également au Roi, et c’est le ministre des Colonies et son représentant en Afrique, le gouverneur général, qui l’exerçaient concrètement, le premier par voie d’arrêtés, le second par voie d’ordonnances sanctionnées par des décrets. L’organisation politico-administrative du Congo s’apparentait donc à une pyramide. Les décisions émanaient sans conteste de Bruxelles, mais le gouverneur général n’en était pas pour autant un simple « sous-traitant ». Avant d’entériner ses décisions, le ministre des Colonies sollicitait en effet régulièrement l’avis et les propositions de son représentant en Afrique, dont l’administration, continuellement renforcée, l’informait des besoins et défis de la gestion sur le terrain, pas toujours compatibles avec les exigences formulées en métropole. La hiérarchisation en vigueur n’empêchait donc pas les divergences de vue et tensions entre le pouvoir central et le milieu colonial. En Afrique, le pouvoir s’exerçait en se transmettant comme par cascade, d’entités en entités subordonnées, dont le nombre variera au fil des années : sous le gouvernement général de la capitale (Boma, puis Léopoldville dès 1923), chaque province (au nombre de six après l’importante réforme administrative de 1933), dirigée par un « gouverneur », était subdivisée en districts, gérés par des « commissaires », puis des « territoires » avaient à leur tête des « administrateurs » et comprenaient diverses « circonscriptions indigènes » dont les « chefs indigènes » étaient eux-mêmes auxiliaires du pouvoir colonial3.

Pour assister le bras civil dans ses tâches d’encadrement, de contrôle et de « protection » des populations congolaises, « la Force Publique » était pour sa part spécifiquement chargée de maintenir l’ordre intérieur, d’une part, et d’assurer la défense extérieure du territoire, d’autre part. Ses troupes de soldats autochtones, supervisées par des Européens, faisaient donc à la fois office d’armée et de police coloniales4 et, conformément à la structure pyramidale en vigueur, son commandant en chef devait rendre des comptes au gouverneur général, lequel chapeautait donc aussi les services militaires établis dans la colonie. La « FP » connaîtra ← 38 | 39 → plusieurs réorganisations successives car, comme nous le découvrirons, à l’instar de la Sûreté civile (organe apparaissant au sein de l’administration congolaise au début des années 1930 suite aux premières manifestations du danger communiste), sa configuration devra continuellement s’adapter aux divers types de « menaces » défiant l’autorité en place… Nous verrons d’ailleurs aussi dans quelles circonstances spécifiques des troupes métropolitaines belges viendront s’y adjoindre en 1953, ce qui ne s’était pas encore avéré jusque-là nécessaire dans l’histoire de la colonie. Quant au système judiciaire en vigueur au Congo, il se calquait grosso modo sur l’organisation hiérarchique propre à la Belgique (des tribunaux de première instance étaient institués dans les chefs-lieux de province, deux Cours d’appel siégeaient à Léopoldville et Élisabethville tandis que la Cour de cassation à Bruxelles surplombait l’édifice). Dès 1926, les autorités coloniales intégreront les juridictions coutumières « indigènes ». Elles statuaient selon les coutumes de la localité afin de trancher les litiges soumis par les justiciables autochtones. Par ailleurs, des juridictions spécifiquement coloniales seront également créées (tribunal de district et tribunal de police). Présidées par des agents de l’administration territoriale, celles-ci seront compétentes à l’égard des justiciables autochtones et siègeront selon les prescrits légaux coloniaux5.

À Bruxelles, dans l’ensemble des affaires coloniales, les actes du Roi ne pouvaient être contresignés que par le ministre des Colonies. Cependant, la Charte avait soustrait à la compétence de ce dernier « les relations de la Belgique avec les puissances étrangères au sujet de la colonie ». C’était en effet le ministre des Affaires étrangères du royaume qui était responsable des relations du Congo avec les autres puissances sur la scène internationale, même si dans l’exercice de cette politique étrangère, y compris dans ses dimensions commerciales, le ministère des Colonies était systématiquement consulté : le département des Colonies effectuait les études et prenait les mesures préparatoires aux pourparlers de l’État avec les puissances étrangères et demeurera l’intermédiaire incontournable entre Bruxelles et les autorités locales d’Afrique à ce sujet6. Nous pourrons observer que durant toute la période coloniale, dès qu’il concernera le Congo, ce dialogue avec l’étranger sera problématique car les Belges considéraient leur empire colonial comme une œuvre nationale dont les affaires ne regardaient a priori qu’eux seuls. Cela ne voulait pas dire qu’il ← 39 | 40 → s’agissait d’un territoire dont les étrangers étaient exclus, puisqu’en vertu d’engagements consentis sur les plans économique et religieux, les Belges se devaient « d’ouvrir » leur Congo et de traiter les allochtones sur pied d’égalité avec leurs propres concitoyens. Cependant, le gouvernement du Congo, sa gestion et son orientation politique internes étaient, quant à eux, du ressort exclusif de la Belgique, et tout au long de son histoire, le petit royaume veillera à ce qu’en dépit de ses obligations internationales, son vaste joyau africain demeure une terre aussi belge que possible7

Résumé des informations

Pages
1020
Année de publication
2016
ISBN (PDF)
9782807614215
ISBN (ePUB)
9782807614222
ISBN (MOBI)
9782807614239
ISBN (Broché)
9782807611436
Langue
français
Date de parution
2019 (Novembre)
Mots clés
Colonisation-décolonisation guerre froide communisme sécurité Lumumba relations eurafricaines sûreté uranium
Publié
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2016.<BR> 2 volumes. Vol. 1 : 539 p. Vol. 2 : 485 p., 9 graph., 3 tabl.
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Notes biographiques

Anne-Sophie Gijs (Auteur)

Docteure en histoire, Anne-Sophie Gijs est chargée de cours invitée à la Faculté de Philosophie, Arts et Lettres et à la Faculté de Sciences politiques, économiques et sociales de l’Université catholique de Louvain (Belgique). Ses enseignements portent sur l’histoire de la construction européenne, le pluralisme et la diversité culturelle en Europe, et les relations avec l’Outre-Mer aux 19e et 20e siècles. Ses recherches actuelles analysent l’impact de la politisation des relations entre l’Union européenne et l’Afrique, sous les angles diplomatiques, sécuritaires et de coopération au développement.

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Titre: Le pouvoir de l’absent