Chargement...

Littérature et sacré : la tradition en question

de Valentina Litvan (Éditeur de volume)
©2017 Collections 290 Pages

Résumé

Les études réunies dans ce volume examinent les possibilités et les modalités de transmission du sacré, dès lors qu’il n’est plus considéré comme objet exclusif du discours religieux et qu’il apparaît lié à la création littéraire. Il s’agit de voir comment les écrivains en renouvellent le sens selon les périodes et les traditions. L’approche envisagée n’est pas seulement littéraire, mais aussi philosophique, sociologique et théologique.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos du directeur de la publication
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Avant-propos (Valentina Litvan)
  • Force Mythique du Sacré
  • Origines du monde, commencements d’écriture (Julio Premat)
  • L’expérience du sacré dans Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès ou Quand la nuit est aussi un soleil (Raymond Michel)
  • Le Golem, la kabbale et le sacré dans le roman fantastique contemporain (Katia Hayek)
  • Une poésie mystique contemporaine. Le Livre d’heures du bois d’automne de Jean-Claude Masson (Catherine d’Humières)
  • Poétiques et Prophéties Politiques
  • Entre destruction de la tradition et dire du Sacré. Perspectives sur l’usage de Hölderlin chez Heidegger (Laurent Husson)
  • Poésie et célébration : l’ode, un genre américain (Edgardo Dobry)
  • Sacrée antinomie. L’engagement littéraire d’Ahmadou Kourouma (Paul Dirkx)
  • La trajectoire senghorienne : des Écritures saintes à la pensée poétique du monde (Mamadou Diop)
  • Langage et Sacré
  • Transmission textuelle et sacralisation. Quelques caractéristiques de la pratique des copistes des ms. A et B du texte hébreu de Ben Sira (Jean-Sébastien Rey)
  • Platon et la sacralisation du savoir (Olivier Moser)
  • Inutile de nommer étoiles, constellations, galaxies : El entenado de Juan José Saer (Valentina Litvan)
  • « Et le bruit s’est fait chair » : les réécritures sacrées dans la littérature de Leónidas Lamborghini (Martín Arias)
  • Sécularisation et Profanation
  • « Comme un prêtre mis en pièces… » : la relève de la métaphysique par la poésie (May Chehab)
  • Renouvellement du mythe chrétien : les échos de la tradition chrétienne chez deux auteurs marxistes du XXe siècle (Jérémy Camus)
  • Expérience du sacré et imaginaire christique dans les écritures contemporaines européennes : Artaud, Beckett et Pasolini. Trois écrivains vêtus en « chemise d’ex-amateur de théologie » (Martina Della Casa)
  • L’écriture et le sacré (André Michels)
  • Index des noms d’auteurs
  • Titres de la collection

Avant-propos

S’interroger sur les liens entre littérature et sacré suppose une réflexion sur les modalités mêmes du sacré, lorsqu’il n’est plus l’objet absolu et exclusif du discours religieux. Or il faudrait se demander jusqu’à quel point l’appropriation du sacré par le discours littéraire n’est pas préalable au « désenchantement du monde » (Max Weber) et à la fin d’une société occidentale structurée par le religieux, dès le début du XIXe siècle. Si, tel que J. L. Borges l’évoque dans son poème « El Golem », à son tour inspiré par Platon (Cratyle), « le nom est l’archétype de la chose1 », si on établit ainsi un rapport entre le réel et le langage littéraire, le sacré n’en apparaît pas moins consubstantiel à la littérature dans cette quête du savoir, une quête qui, tout en étant inhérente à la littérature, la dépasse et la transcende. Ainsi, de même que le lien entre le nom et la chose questionné par Platon se réfère à la notion du sens, le binôme composé par la littérature et le sacré se construit nécessairement à partir d’un troisième élément : la transmission. Proposer l’analyse du rapport entre littérature et sacré exige donc de penser les possibilités d’une transmission du sacré qui, traditionnellement, fut l’apanage exclusif des institutions religieuses, dans son identification à une vérité prétendue originaire. Le sacré que l’on peut rencontrer dans les textes littéraires serait au contraire de l’ordre d’un questionnement, car défini par son renouvellement et sa constante réinvention. Un sacré créatif qui mettrait naturellement en cause l’absolutisme d’un sacré unique.

C’est en fonction de ce besoin d’actualisation du sacré par la littérature que les auteurs des différents articles présents dans ce volume s’interrogent paradoxalement sur les possibilités de sa transmission, ← 1 | 2 de sa continuité. Puisqu’il ne peut pas y avoir de continuité sans actualisation, la tradition se trouve ainsi mise en question : d’où le sous-titre de cette publication. Lorsqu’il est question de la transmission du sacré, c’est en effet sa tradition tout entière qui sera mise en jeu et qu’il faudra analyser. Autrement dit, s’interroger sur la transmission du sacré par la littérature nécessite non seulement une réflexion sur les différents sens que les écrivains accordent au sacré, ses modalités dans l’écriture, mais c’est la transmission elle-même dans son rapport à une temporalité déterminée qu’il faudra également repenser. C’est en ce sens que Walter Benjamin lisait les récits de Kafka comme représentatifs de « l’étiolement de la tradition » et de la perte d’une possibilité de transmission. Car, selon le philosophe, ce n’était que dans la sécularisation radicale dont Kafka se faisait l’écho que quelques bribes de la tradition pouvaient paradoxalement être sauvées2. Or, plus que la mélancolie inévitable due à la perte de la tradition religieuse, ne faudrait-il pas voir dans cette lecture des œuvres de Kafka l’avènement d’une modalité nouvelle du sacré ? Un sacré qui trouverait sa source dans le vide ahurissant et l’incompréhension troublante, angoissante, caractéristiques des créatures kafkaïennes, un sacré qui demande donc d’être réinterprété.

Cet ouvrage propose une réflexion théorique sur ces différents aspects du sacré, à un moment où son sens étymologique semble s’effacer en faveur de son utilisation généralisée qui sert à qualifier tout type d’expérience subjective ou de valeur sociale (Régis Debray, Jeunesse du sacré). Les quatre sections qui le composent ont moins le but de délimiter les passages et les multiples croisements entre les différents articles que de suggérer une possible lecture à partir de quatre axes thématiques fondamentaux : force mythique du sacré, poétique et prophétie du sacré, langage et sacré, sécularisation et profanation. Les échos entre les différents textes y sont en effet plus nombreux que les contrastes, car malgré la distance chronologique et géographique parfois existante entre les écrivains et les ouvrages étudiés dans les différentes ← 2 | 3 contributions, le lecteur retrouvera les questions qui reviennent, se recoupent et se reformulent. C’est ainsi que se tissent les différents aspects d’une problématique complexe qui est celle du rôle de la littérature dans la transmission du sacré et de ses modalités. Si, à chaque fois des textes littéraires en constituent le point de départ, l’approche interdisciplinaire et le comparatisme s’imposent afin d’aborder un sujet qui ne saurait se limiter à une seule perspective : philosophie, sociologie, théologie et psychanalyse y sont ainsi convoquées.

Sous le sous-titre de « Force mythique du sacré » ont été publiés les articles de Julio Premat, Raymond Michel, Katia Hayek et Catherine d’Humières. Le mythe en est le thème central, à partir de deux lectures distinctes : soit le mythe est à l’origine d’une tradition de réécritures, soit il en est le résultat. C’est en ce sens qu’en analysant le geste premier de l’écrivain, les commencements d’écriture, Premat suggère l’idée d’une origine mythique. Or, plutôt que d’une origine ab ovo, conçue en tant que page blanche fondatrice d’une écriture, selon Premat l’origine acquiert une fonction opératoire comme étant « structure symbolique signifiante ». Celle-ci permettrait à l’écrivain précisément de projeter son œuvre vers un horizon, un idéal, un dénouement. Cette fonction des commencements d’écriture est représentative notamment pour la construction des figures d’auteur. « Le commencement – affirme-t-il – est le lieu où l’on voit l’idéalité de l’œuvre où il est, de manière rétrospective, la construction qui permet de donner à l’œuvre un chemin, une logique, un sens. » De la même manière, le texte biblique offrirait une matérialisation de certains topoï ou mythèmes sur l’origine qu’il ne faudrait pas confondre avec une explication première du monde ; un mythe de l’origine qui, tout autant que celui de la fin des temps, nourrit la littérature occidentale.

Dans son article, Katia Hayek propose l’étude du mythe du Golem chez trois auteurs d’inspiration meyrinckienne du XXIe siècle (les Français Sylvie Germain et Alix Brijatoff, et l’écrivain tchèque Miloš Urban). D’une part, elle montre dans quelle mesure le roman du surnaturel cherche à provoquer un effet déterminé chez le lecteur, effroi comme émerveillement, qui le relierait aux caractéristiques du sacré définies par Rudolf Otto ; d’autre part, l’hypothèse originale de Hayek porte sur la particularité du surnaturel chez ces auteurs : celui-ci ne s’associerait ← 3 | 4 pas tant à la révélation du divin qu’à une tradition de réécritures du Golem ancrée dans la ville de Prague. À partir des théories de Mircea Eliade sur l’espace sacré, Hayek analyse le lien entre littérature et sacré dans ces trois romans où la transmission du sacré apparaît liée à un genre littéraire précis ainsi qu’à une tradition légendaire régionale de Prague.

La réécriture est développée également par Catherine d’Humières, qui étudie l’œuvre poétique de Jean-Claude Masson, à partir de l’intertextualité mystique de Livre d’heures du bois d’automne paru en 2011. Jean-Claude Masson se servirait de cette intertextualité mystique afin de clamer la force de l’esprit et résister à l’anéantissement de la spiritualité d’une époque redevable de la tradition d’une modernité qui lui serait adverse. D’Humières présente sa lecture comme une invitation à une réflexion sur l’actualité de l’humanité, pour conclure sur le besoin de la quête de Dieu « sans laquelle – avec ses propres mots – nous ne sommes rien ».

Si, dans les articles de Hayek et d’Humières le mythe déclenche des réécritures, Raymond Michel nous fournit une lecture de Roberto Zucco où il n’est plus question de re-création du mythe, mais de mythification comme résultat. Bernard-Marie Koltès, dans sa dernière pièce présentée en public avant sa mort, s’inspire d’un fait divers réel de serial killer où, s’éloignant de toute lecture psychologique et prévisible de l’individu historique, il fait surgir au contraire une force mythique incarnée par le personnage. L’étude de différents tableaux de la pièce permet à Michel de démontrer que le sacré ne répond pas non plus ici à une sublimation abstraite, « substance transcendante », mais à la conjonction d’enjeux qui sont à la fois esthétiques, éthiques et esthésiques (selon la proposition faite par Stéphane Dufour et Jean-Jacques Boutaud qu’il emprunte). Par ailleurs, la notion de sacré que Michel développe s’inscrit dans la lignée du sacré gauche ou sacré noir de Georges Bataille, Michel Leiris et Roger Caillois.

La deuxième section d’articles, « Langage et sacré », prête une attention particulière à la langue dans la transmission du sacré et, par conséquent, l’idée d’interprétation en est centrale. Jean-Sébastien Rey analyse les différentes lectures du livre de Ben Sira – écrit au ← 4 | 5 IIe siècle avant notre ère mais lu en traduction jusqu’à la découverte des manuscrits originaux au XIXe siècle. À partir de ce cas concret, il étudie la place changeante du texte dans l’histoire du canon de la bible hébraïque. Il s’attarde tout particulièrement à problématiser les différents rapports des copistes face à un texte qu’ils reproduisirent en fonction du caractère plus ou moins sacré qu’ils lui accordaient. Rey retrace ainsi les variations subies par le texte, transmis à partir des différentes copies et lectures que le transformèrent : depuis la reproduction fidèle des copistes de l’Antiquité jusqu’à sa sacralisation au Moyen Âge, où les interventions sur le texte répondaient à une quête de sens de la part des scribes qui eurent, par conséquent, des implications herméneutiques.

Le travail d’Olivier Moser repose sur le problème de la transmission du savoir et son lien avec le sacré dans l’Hippias mineur, dialogue platonicien. Tout d’abord, il s’interroge sur l’écriture comme moyen de transmission du savoir, alors que Socrate, le maître de Platon, mourut sans laisser de traces écrites. Ensuite, Moser oppose les deux attitudes face au savoir et à la tradition (en particulier la tradition homérique) présentes dans ce dialogue : Hippias, le sophiste, incarne la sacralisation de la tradition en la présentant comme un système figé de savoirs intouchables. Il entend promulguer son savoir dans un sanctuaire et le présenter ainsi comme sacré en lui conférant une dimension d’infaillibilité. Pour Socrate, en revanche, le sacré est inhérent à l’acte d’apprentissage : contre la prétendue autorité de celui qui se croit possesseur du savoir, il reconnaît son ignorance et son humilité. Face à l’infaillibilité sacrée d’un savoir qui assurerait la célébrité et le pouvoir de domination chez le sophiste, s’oppose chez Socrate le mystère comme étant la condition même de la transmission du savoir.

Pour sa part, Valentina Litvan analyse les modalités de transmission du sacré dans le roman L’Ancêtre, de l’Argentin Juan José Saer (Serodino 1937 – Paris 2005). Contextualisé à l’époque de la conquête espagnole du XVe siècle, ce roman met en question les idées de filiation et tout particulièrement celle de la possibilité de transmission d’une forme de vie autre, primitive et première, celle des ancêtres. Si nous n’y avons plus accès car – c’est le cas des Colastinés – il n’existe parfois pas de traces, son existence, elle, est indéniable, incarnée dans le roman ← 5 | 6 par ces Indiens. Le protagoniste, un mousse espagnol captif pendant dix ans de la tribu des Colastinés, est le seul témoin possible d’un peuple disparu dont lui seul pourra par conséquent devenir le narrateur. Or, au-delà de l’expérience du personnage parmi les Indiens, de la mise par écrit de cette expérience, si transmission il y a d’une vie primitive et originaire, écho d’un sacré inaccessible, c’est grâce à l’étonnement nécessaire à tout besoin de récit, voire de la littérature.

Toujours dans le domaine de la littérature argentine, le texte de Martín Arias propose un travail sur les « réécritures » de textes sacrés de Léonidas Lamborghini. Moyennant une écriture excessive et délirante, « discours frénétique » dans lequel répétition, fluidité et variation créent l’impression d’un texte infini, Lamborghini déforme l’héritage d’une culture chrétienne qu’il rend burlesque, grotesque, notamment en la faisant cohabiter avec le discours excessif qui est celui des dispositifs de reproduction technique de notre époque. Le personnage du stultus incarne tout particulièrement ce discours pathologique, hallucinatoire, car incapable de trier les flux des pensées. Lorsque cette réécriture excessive et inépuisable est à l’origine d’un rythme créé à partir du paroxysme, sa souffrance touche la jouissance ; c’est ainsi que chez cet écrivain s’ouvre l’écart d’un impossible qui laisserait deviner le sacré.

La troisième section s’intitule « Poétique et prophétie politique ». Elle comporte des textes articulés autour de la sacralisation historique, voire aussi politique, de l’écrivain en tant que représentant d’une collectivité. Laurent Husson s’interroge sur la place complexe que Heidegger occupe dans une tradition du sacré qui peut être distinguée en trois dimensions, chacune étant liée à une dimension temporelle différente : si le passé renvoie au Sacré des origines et de la tradition, le futur renvoie au sacré prophétique, et le présent à la sacralité du culte et de la présence de Dieu. Or Husson montre comment l’articulation de la pensée problématique et complexe de Heidegger met précisément en question ces trois dimensions temporelles, pour en instaurer des ruptures. Après avoir éclairé les notions de littérature et de tradition chez le philosophe, Husson explique comment, contre le début historial propre à la conception du devenir historique, Heidegger préfère l’idée de commencement et d’origine, auxquels il donne une dimension ← 6 | 7 d’avenir. « En tant qu’elle libère, la tradition dégage et met en lumière les trésors cachés que recueille le passé qui ne cesse pas d’être », cite Husson. Liée à cette reformulation de la tradition qui préserve son sens étymologique, la notion du Sacré chez Heidegger repose sur sa lecture de Hölderlin, poète devenu pour le philosophe figure de fondation d’une dimension collective. Or, si le passé est pour Heidegger connecté à l’avenir, il refuse également toute dimension prophétique du poète au nom de l’absence des dieux enfuis, et en présence de l’être.

Résumé des informations

Pages
290
Année de publication
2017
ISBN (PDF)
9783034327428
ISBN (ePUB)
9783034327619
ISBN (MOBI)
9783034327626
ISBN (Broché)
9783034320825
DOI
10.3726/b10751
Langue
français
Date de parution
2016 (Décembre)
Mots clés
Littérature sacré tradition transmission
Publié
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2017. 277 p.
Sécurité des produits
Peter Lang Group AG

Notes biographiques

Valentina Litvan (Éditeur de volume)

Valentina Litvan est maître de conférences en langue et littératures hispaniques contemporaines à l’Université de Lorraine. Ses derniers travaux portent sur les notions de tradition et de transmission dans la littérature, ainsi que sur les liens entre littérature et sacré/sacralisation.

Précédent

Titre: Littérature et sacré : la tradition en question