Des ingénieurs pour un monde nouveau
Histoire des enseignements électrotechniques (Europe, Amériques) – XIXe–XXe siècle
Summary
Excerpt
Table Of Contents
- Couverture
- Titre
- Copyright
- À propos des directeurs de la publication
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Avant-propos
- Présentation générale
- Foreword
- General presentation
- Première partie. Des formations techniques au cœur de l’Europe – l’espace tchèque et slovaque
- La pensée et l’éducation techniques dans la société tchèque
- Prague, lieu de coopération entre l’université et l’école technique au XIXe et début du XIXe siècles
- L’évolution de la formation et la montée en puissance des électrotechniciens tchèques de 1884 à 1950
- L’enseignement électrotechnique dans les écoles secondaires industrielles des pays tchèques des années 1880 à 1938
- La loi sur l’électricité – un pas vers la création d’un réseau connecté
- L’électrotechnicien tchèque Ludvík Očenášek et les activités de son entreprise dans la première moitié du XXe siècle
- La formation dans le domaine de l’électrotechnique en Slovaquie des origines à 1990
- Les programmes nucléaires civils de la France et de la République Socialiste Tchécoslovaque, entre rayonnement technique et volonté d’indépendance (1950-1970)
- Les archives de l’Université polytechnique tchèque de Prague et les documents concernant l’histoire de l’enseignement de l’électrotechnique
- Deuxième partie. La naissance des formations électrotechniciennes au XIXe siècle
- L’essor de l’enseignement électrotechnique en Russie : genèse, filières et aboutissements (1832-1917)
- L’électrotechnique et l’enseignement supérieur en Grande-Bretagne (1850-1914)
- La connexion progressive: les hautes écoles d’ingénieurs de Zurich et de Lausanne et les besoins de l’industrie nationale
- La formation électrotechnique dans l’Italie post-unitaire et les débuts de la professionnalisation des « ingénieurs industriels » (1861-1915)
- Origines de l’enseignement électrotechnique en Belgique
- Les institutions d’enseignement et de recherche en électrotechnique en Allemagne (1882-1914)
- La création de l’Institut d’électrotechnique de l’École d’ingénieurs de Porto Alegre et la formation des premiers ingénieurs électromécaniciens dans le sud du Brésil (1908)
- Troisième Partie. Les formations électrotechniciennes : perspectives sur la longue durée
- L’enseignement et la formation en électricité et électrotechnique en Espagne (1850-1950)
- Les formations techniques supérieures en électrotechnique en France (1880-1939)
- La contribution de l’École nationale supérieure d’Électricité et de Mécanique de Nancy (E.N.S.E.M.) à la formation des ingénieurs électriciens nord-africains (1900-1960)
- Formation, carrière et montée en puissance des ingénieurs électriciens au Portugal (de la fin du XIXe siècle aux années 1930)
- La formation des ingénieurs électrotechniciens bulgares et roumains de la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale
- L’électrification de la Grèce (1882-1950) : la constitution de réseaux, les ingénieurs, le capital et l’État
- Identités problématiques : la formation de l’ingénieur américain, des origines à la Guerre froide
- Des savoir-faire industriels aux sciences de l’ingénieur : l’électrotechnique au Massachusetts Institute of Technology
- Quatrième Partie. Pédagogies
- Quelques inventions entre science et technique : le télégraphe, le galvanomètre, l’électroaimant et le moteur électrique
- Le Musée E.D.F. Électropolis et le patrimoine électrique du groupe E.D.F.
- Index des noms de personnes
- Index des noms de sociétés, organismes, institutions et entreprises
- Index des noms de revues périodiques
- Titres de la collection
← 10 | 11 →Avant-propos
Président du Comité d’histoire de l’électricité et de l’énergie
Directeur de recherche au C.N.R.S., Sirice, Paris
beltran@univ-paris1.fr
C’est avec beaucoup de plaisir que le Comité d’histoire de l’électricité et de l’énergie a soutenu l’initiative de Marcela Efmertová épaulée par quelques collègues de renom dont au premier rang André Grelon. La conférence qui s’est tenue à Prague nous a impressionnés par la qualité, la diversité des exposés auxquels il faut ajouter le sans-faute de l’accueil dans cette ville qui pour tous les Européens est synonyme de charme, d’histoire et d’art. Avant de lire les passionnants exposés des nombreux spécialistes d’électrotechnique, d’enseignement et d’échanges internationaux, nous aimerions situer et préciser l’action du Comité d’histoire de l’électricité et de l’énergie.
C’est d’abord une action qui s’inscrit dans la durée puisque le Comité est l’héritier de l’Association pour l’histoire de l’électricité en France (A.H.E.F.), née au début des années 1980. La date même en fait l’une des plus anciennes structures associatives consacrée à l’histoire de l’industrie. Cette période fut marquée en effet par une forte demande des entreprises désireuses de connaître leur histoire, leur patrimoine, leur identité en un mot. La notion de « corporate culture » était alors fortement valorisée, or cette dernière notion s’appuie en partie sur l’histoire vécue et relatée par les membres du personnel. Les universitaires étaient à même de répondre à cette attente dans la mesure où on leur donnait quelques moyens, qu’on respectait leurs méthodes, leur rythme et a fortiori leur indépendance. Une entreprise comme Électricité de France (E.D.F.) qui était un quasi-monopole (à l’époque) pour la production, le transport et la distribution d’énergie électrique se trouvait être l’héritière des très nombreuses sociétés qui furent nationalisées en 1946 mais aussi de tous les précurseurs qui depuis le XVIIIe siècle se sont émerveillés de la puissance et des immenses possibilités de l’électricité. Il se trouvait donc intéressant et même utile de connaître l’évolution profonde qui avait créé l’image de l’électricité ← 11 | 12 →dans les années 1980 car cette dernière est la conséquence des façons de regarder et d’utiliser le potentiel électrique depuis plusieurs générations. La modernité, la toute-puissance de l’énergie électrique ne dataient pas d’hier : comprendre les mécanismes humains demande de se plonger dans un passé plus ou moins lointain. Le but assigné à l’Association puis au Comité était donc de comprendre le phénomène électrique dans toutes ses dimensions : scientifique et technique, sociale, économique, juridique, politique, territoriale, culturelle. En effet, l’énergie électrique fut une innovation, totale, globale. Elle transforme (et elle n’a pas fini de transformer) la société française et tous les pays industrialisés sans oublier les pays qui progressivement l’adoptent. Il y a un avant et un après l’électrification. Hier « l’électrique » c’était le tramway, la lumière, la galvanoplastie et la communication. Aujourd’hui l’électricité c’est sans doute encore la voiture de demain, les énergies renouvelables, la supraconductivité, l’automatisation de la maison, un chauffage rationnel, etc. Étant à la fois une énergie primaire et secondaire, elle peut trouver sa source dans des combustibles fossiles mais aussi dans la large gamme des énergies dites « nouvelles ». En bref, polymorphe et sans cesse en mouvement, elle requiert un regard aigu qui doit plonger dans le passé proche ou lointain.
C’est de la rencontre d’un directeur d’Électricité de France (E.D.F.) (Maurice Magnien, directeur des études et recherches) et d’un universitaire passionné d’histoire de l’innovation (François Caron) qu’est née l’Association au début des années 1980. Rapidement, elle s’est étoffée avec l’appui de grands témoins et de chercheurs jeunes et moins jeunes. L’Association a souhaité innover, par exemple en formant des ingénieurs à la méthode historique et à la conservation des archives. Ce prosélytisme n’a peut-être pas donné tous les résultats escomptés mais il a rapproché durant des années des mondes qui se connaissaient peu. Les uns ont écrit avec les autres ou sur les autres. Tant il est vrai que deux mondes qui ne se rejoignent que dans la globalité, l’électricité et l’histoire, se devaient de collaborer sans dénaturer les apports spécifiques de chacun. L’innovation est aussi venue des sujets traités ou à traiter. Une histoire culturelle de l’énergie électrique, l’approche des systèmes et des réseaux, les études comparées entre régions et aussi entre nations, etc. sont quelques-unes des options qui se sont révélées fort riches. Malgré tout, dans la mesure où les historiens sont toujours très demandeurs des origines des phénomènes, beaucoup de travaux dans cette première période ont porté sur la science électrique au XVIIIe siècle, sur les premières conquêtes du XIXe siècle, sur les développements de la première moitié du XXe siècle. La période la plus proche n’a pas eu le même succès sans doute parce que l’Association manquait d’historiens du très contemporain, que les ingénieurs étaient moins à l’aise vis-à-vis de questions récentes et qu’il existait de ← 12 | 13 →nombreuses publications sur l’après-1946, tant de la part de journalistes, politistes, économistes, sociologues et même d’historiens (mais dans une part très restreinte). Et on peut rappeler que l’Association a réalisé des travaux fondateurs en lançant un Bulletin d’histoire de l’électricité qui a dépassé les trente numéros et qui a permis à de nombreux jeunes historiens de s’exprimer dans ses colonnes. Une impressionnante collection de colloques internationaux est aussi à mettre à son actif avec une périodicité de deux ou trois années. Au fur et à mesure des avancées scientifiques, un réseau de chercheurs en histoire de l’électricité non seulement au niveau français mais bien au-delà des frontières s’est développé. Les années 1990 et suivantes ont vu s’élargir le spectre des recherches même si, par exemple, l’histoire des techniques est depuis Marc Bloch toujours en quête de sa légitimité. Au-delà des historiens de l’électricité, d’autres sciences humaines sont venues s’agréger aux travaux des chercheurs, sans doute de façon trop marginale mais dans une démarche pluridisciplinaire qui restait exemplaire.
Puis, après plusieurs années de travail, il fut décidé de se lancer dans une grande œuvre, une histoire de l’électricité en France en trois volumes de 800 pages chacun (dans le dernier volume, les témoins étaient plus nombreux que les historiens et le sujet portait davantage sur la seule entreprise E.D.F.). Travail de fin ou travail d’étape ? Un peu les deux en quelque sorte car d’une part les connaissances accumulées permettaient de se lancer dans une grande synthèse et d’autre part ce tableau général découvrait les terres inconnues à explorer dans l’avenir. Presque au même moment, nos collègues italiens faisaient de même, preuve que la science électrique avançait du même pas. Cette histoire de l’électricité écrite à de nombreuses mains tâchait de prendre le sujet dans toute sa complexité mais on remarquait bien que les événements les plus récents n’avaient pas encore reçu le même traitement. Outre ce travail essentiel, on doit aussi à l’Association un recensement des sources pour l’histoire de l’électricité, sous forme de CD-ROM. Ce guide, même un peu vieilli reste un outil particulièrement efficace pour les jeunes chercheurs. Un fonds ancien d’ouvrages permet de suivre les nombreux écrits sur la science électrique depuis les origines. On peut encore citer deux volumes spécialement édités qui recensent les archives des anciennes sociétés nationalisées en 1946 pour devenir Électricité de France (E.D.F.) et Gaz de France (G.D.F.). Enfin, ces années de travail ont permis de constituer une petite bibliothèque de recherches inédites où se croisent de nombreux mémoires de maîtrise, des Diplôme d’études approfondies (D.E.A.) et des thèses sur les sujets les plus variés. On ne saurait oublier le rôle des différents secrétaires scientifiques qui ont soutenu tous ces travaux et construit une réputation qui a un tant soit peu dépassé les frontières.
← 13 | 14 →Pourtant, malgré ce bilan très positif, il y a quelques années, l’entreprise Électricité de France a souhaité que son soutien matériel et moral à l’Association soit plus visible car l’entreprise était le seul soutien de l’Association sans que cela se sache et donc sans en voir les retombées. Dès lors, un Comité d’histoire de la Fondation E.D.F. a succédé à l’Association. La continuité a joué dans la plupart des actions mais toutefois l’accent a davantage été mis sur les questions les plus contemporaines qui en effet peuvent intéresser plus directement l’entreprise. Celle-ci peut ainsi situer les similitudes et les ruptures qui l’intéressent et comprendre aussi les attentes ou les résistances de la société. Pour le personnel, soumis à des fusions et des scissions, l’Histoire donne des clés pour se connaître, affirmer son identité et se différencier des autres (ou quelquefois pour trouver les éléments communs qui permettent les rapprochements). Pour le grand public enfin, en essayant de montrer les réalités loin des clichés et des stéréotypes, l’approche historique permet de dépasser l’émotion fugitive du moment. Il est vrai que bien des sujets historiques sont encore à approfondir comme le nucléaire, les nouveaux usages électriques comme l’automobile ou la vie sans électricité de près de deux milliards d’habitants de la planète. L’indépendance des décisions et des sujets de recherche a été garantie par un comité scientifique uniquement formé d’universitaires et d’archivistes. Ainsi a été préservé l’équilibre entre la nécessaire lisibilité pour l’entreprise et l’indispensable indépendance des historiens (accompagnés d’économistes et de sociologues). La nouvelle revue du Comité a pris le nom d’Annales historiques de l’électricité, ce qui est un évident clin d’œil.
On comprendra donc que – dans ce mouvement qui s’inscrit déjà sur plus de vingt ans – le Comité d’histoire de l’électricité de la Fondation E.D.F. ait souhaité appuyer l’initiative de la conférence tenue à Prague sur les ingénieurs et les écoles d’électrotechnique. D’abord parce que la République tchèque (et auparavant la Tchécoslovaquie) a joué un rôle moteur dans la diffusion des nouvelles techniques électriques, à cheval entre les influences allemande, française ou britannique. D’autre part, parce que la formation des élites techniques reste un sujet fondamental pour la compréhension du phénomène de diffusion de l’innovation électrique. Ce qui permet aux différents spécialistes réunis ici, dans une perspective largement internationale et pas seulement européenne, d’aborder tout à la fois les premiers pas de la science électrique et certains de ses développements les plus récents comme le nucléaire. Si la connaissance du passé se fonde sur des archives bien inventoriées, certains textes mettent l’accent sur des évolutions plus originales. Dans la vaste chaîne de la connaissance et de la recherche, la valorisation finale passe par une réflexion sur l’objet scientifique qui, lui-même, quand il est mis en valeur dans un espace approprié, quand il est contextualisé et expliqué, peut prendre alors tout son sens en ← 14 | 15 →devenant accessible au plus grand nombre. Archivistes, historiens, muséographes travaillent dans un but commun et les textes qui suivent illustrent cette démarche globale. Avec pour base une coopération franco-tchèque, l’initiative de la conférence de Prague entrait parfaitement dans les préoccupations du Comité : comparaisons internationales et sujets renouvelés. En lisant les pages remarquables des nombreux spécialistes rassemblés ici, on se rendra compte encore une fois que l’histoire de l’électricité est vaste, riche et qu’elle procure des sujets de réflexion pour aujourd’hui comme pour demain.← 15 | 16 →
← 16 | 17 →Présentation générale
Directeur d’études, École des hautes études en sciences sociales
Centre Maurice Halbwachs, Paris
andre.grelon@ens.fr, andre.grelon@ehess.fr
Cet ouvrage rend compte des travaux du colloque international (« Le monde progressivement connecté – Les électrotechniciens au sein de la société européenne au cours des XIXe et XXe siècles ») organisé les 10, 11 et 12 mai 2010 à l’Université polytechnique de Prague, avec l’appui de la Fondation E.D.F., à l’occasion du 60e anniversaire de la Faculté d’électricité de cette université, sur l’histoire internationale de la formation en électricité et en électrotechnique et sur le rôle des électrotechniciens aux XIXe et XXe siècles. S’il rassemble la plupart des contributions exposées à cette occasion, chacun des auteurs présents a été invité à reprendre et retravailler son texte afin d’en faire un chapitre d’un ouvrage collectif coordonné.
Le XIXe siècle se caractérise par le passage progressif de l’électricité en tant qu’objet d’étude en laboratoire, comme une branche émergente de la physique, discipline elle-même en plein développement, en un domaine de recherche et d’enseignement autonome à partir des années 1880. Ces travaux théoriques et ces expérimentations ont parallèlement commencé à donner lieu à des applications notamment avec le développement du télégraphe dans les années 1840, de la galvanoplastie dans les années 1860, puis avec les débuts de l’éclairage électrique.
On a coutume de dater symboliquement la « naissance » de l’électricité industrielle de la première Exposition internationale d’électricité, tenue à Paris en 1881, en même temps qu’un congrès scientifique également international, qui avait pour tâche première de définir un système international d’unités électriques. Comme tout événement tenu pour initial sur le plan historique, c’est à la fois vrai et faux. Gramme avait déjà présenté sa machine à Paris, à l’Académie des sciences au début des années 1870, et on avait déjà établi au cours de cette décennie le principe de sa réversibilité (génératrice/moteur électrique). À cette époque, il existait déjà ← 17 | 18 →en France une centaine de sociétés industrielles d’électricité, même s’il s’agissait essentiellement d’entreprises de taille moyenne, et du reste, c’est un consortium d’industriels qui avait financé l’Exposition. Et les compagnies étrangères furent nombreuses à présenter leurs productions. En même temps, c’était la première manifestation publique d’une très grande ampleur et c’était la société civile qui prenait conscience de l’importance, pourtant encore largement potentielle, de cette nouvelle énergie : l’éclairage électrique fascinait, tout comme le tramway de la maison Siemens qui ne fonctionnait que sur quelques centaines de mètres. Enfin, l’historien est amené à constater que c’est à partir des années 1880 que s’accélère un processus d’innovation, d’applications et de diffusion dans de nombreux domaines, en même temps que les travaux théoriques se poursuivent pour comprendre plus intimement la nature du phénomène et faciliter ainsi la mise en œuvre de nouvelles techniques industrielles.
C’est dans ce même moment qu’émerge une figure nouvelle qui sera vite perçue comme protagoniste de l’essor de l’électricité et de son avènement en énergie majeure du XXe siècle et ce, jusqu’à nos jours : l’ingénieur électricien. Les ingénieurs industriels existaient depuis longtemps, ils étaient apparus dans la seconde partie du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle anglaise, puis ils s’étaient répandus sur le continent européen durant le premier tiers du siècle suivant, avec le développement de la grande industrie. Il était demandé à ces experts d’agir dans tous les départements techniques de l’entreprise, de disposer d’une qualification générale sur les différents problèmes industriels. L’électricien représentait un nouveau type d’expert : le spécialiste. La première catégorie d’ingénieur va perdurer, ses compétences demeurent précieuses. Mais désormais à ses côtés interviendra, dans un domaine technique particulier jusqu’alors inconnu, un acteur disposant d’un savoir spécifique.
Autre donnée historique qui correspond à un changement d’époque et dont ce livre rend largement compte : des formations exclusivement dédiées à cette nouvelle spécialité vont se multiplier non seulement sur l’ensemble du continent européen mais aussi sur d’autres aires culturelles comme l’Amérique du Nord ou le Brésil. Au cours du XIXe siècle, même si des institutions préparant des futurs ingénieurs à leur métier avaient été ouvertes dans les différents pays, nombre de ces experts techniques s’étaient formés sur le tas, à l’instar de ce qui se faisait couramment sur le sol britannique. Il ne peut plus en être de même avec l’électricité. Les ouvrages théorico-pratiques en vente dans le commerce, les cours du soir donnés par des sociétés savantes ou dans les universités peuvent combler partiellement les attentes d’un public assoiffé de savoir. Cependant la nécessité d’une formation complète à la fois théorique et pratique pour former des professionnels se fait rapidement jour. Ce sont des filières ← 18 | 19 →nouvelles qui s’organisent d’abord au sein des départements de physique ou de mécanique. Mais cette discipline nouvelle en évolution rapide va s’autonomiser dans le cadre universitaire. Dans d’autres pays comme la Belgique ou la France, ce sont des établissements spécialisés qui sont créés. C’est cette dynamique historique que l’ouvrage se donne pour tâche d’exposer, depuis les origines jusqu’au milieu du XXe siècle.
Le livre a été organisé en quatre parties. Le colloque international initial s’étant tenu à Prague, on a pu rassembler dans une première section une série remarquable de contributions qui éclairent le long processus d’électrification des pays de Bohème, de Moravie et de Slovaquie, d’abord dans le cadre de l’Empire austro-hongrois, puis entre les deux guerres sous la République tchécoslovaque, et enfin dans la période socialiste sous domination soviétique. Un tel ensemble permet de comprendre sur plus d’un siècle, et de façon détaillée, l’évolution scientifique et technique en relation avec la croissance industrielle, mais aussi son ancrage dans les réalités politiques et sociales. Dans la deuxième partie, on a regroupé un certain nombre de contributions venant d’autres aires géographiques qui traitent essentiellement des débuts des formations électrotechniques dans un XIXe siècle que l’on prolonge jusqu’à la veille de la Grande Guerre. Les textes qui se succèdent suivent globalement un ordre chronologique fondé sur l’époque ou l’année considérée pour le début de l’étude. La troisième partie rassemble des chapitres qui proposent des analyses sur une période historique beaucoup plus longue, partant de l’origine des structures d’enseignement puis décrivant leur évolution jusqu’au milieu du XXe siècle. Disposant de deux textes traitant de la France et de deux examinant les États-Unis, on a choisi de les mettre à la suite l’un de l’autre. Enfin, deux autres contributions ne s’inscrivent pas directement dans cette perspective historique, mais elles proposent des réflexions d’ordre pédagogique stimulantes. C’est par elles que se conclura l’ouvrage dans une partie finale.
L’électrification dans les pays tchèques et slovaque
Pour ouvrir cette section, Zdeněk Beneš évoque la longue tradition savante tchèque, intéressée aux sciences et aux techniques dès l’époque médiévale. Il rappelle la longue liste des inventeurs et personnalités intéressés à la technique, depuis Agricola jusqu’à Willenberg, « professeur ingénieur », qui, au début du XVIIIe siècle, institutionnalise l’enseignement technique dans les États tchèques. Une autre conception de la technique mise en évidence est la prise en compte de celle-ci comme phénomène culturel et mode de programme politique. Dans cette acception, l’intérêt pour le progrès technique se confond avec la mise en œuvre et le renforcement de l’idée nationale, sans doute un des fondements du dynamisme tchèque dans ces domaines. Un des aboutissements est la séparation ← 19 | 20 →institutionnelle dans la seconde moitié du XIXe siècle du système éducatif, du primaire au supérieur, en deux entités, l’une en langue tchèque, l’autre en langue allemande. En 1918, la République tchécoslovaque établit ses bases sur le progrès scientifique et le développement technique qui impactent la vie économique et sociale, comme le montrent, outre la mise en œuvre d’un vaste programme d’équipement électrique, l’exemple fameux de l’entreprise de chaussures Baťa. Beneš rapporte aussi que sous le régime marxiste, il s’agissait alors de construire un État fondé sur la révolution scientifique et technique. Une telle conception globalisante faisait bon marché des aspirations culturelles, économiques et sociales, progressivement étouffées, du peuple tchécoslovaque. On sait ce qu’il en est advenu.
Ivan Jakubec, quant à lui, met en évidence la place de Prague en tant que ville universitaire. Université ancienne, fondée au milieu du XIVe siècle, l’Université Charles se transforme à l’époque moderne, en s’ouvrant à de nouvelles disciplines comme la physique et les mathématiques, alors que des cours techniques pratiques sont proposés. La formation technique autonome ouverte par Willenberg au début du XVIIIe siècle est intégrée comme institut technique à l’université en 1787, avant une séparation définitive en 1815 des deux institutions. Le nouveau directeur de l’école polytechnique est František Josef Gerstner, mathématicien, astronome, qui prend en charge le cours de mécanique et d’hydraulique, et à qui l’on doit la construction de la première machine à vapeur dans le pays, utilisée pour les travaux pratiques de ses élèves. À cette époque, même si l’allemand est imposé comme l’unique langue officielle, et notamment dans l’éducation, par décision impériale, on doit à Joseph II une réorganisation libérale de l’université avec liberté de parole, dans une Prague unifiée par le monarque. Le souverain s’intéresse à la science, recevant Volta lors du passage de celui-ci à Prague en 1784. Mais c’est surtout la réforme du ministre Thun en 1849-1850 qui, reprenant les principes universitaires humboldtiens, transforme l’université en lui donnant la liberté académique avec élection de ses représentants. La philosophie qui servait de propédeutique au droit et à la médecine devient faculté de plein exercice en étant divisée en sections de mathématiques, sciences naturelles, histoire, littérature, philologie et orientalisme. Et désormais, on peut inviter des professeurs étrangers. Ivan Jakubec en dresse une liste et souligne que cette possibilité de circulation des enseignants favorise l’essor scientifique. C’est dans le cadre de cette faculté des Lettres, que les enseignants peuvent être habilités en physique ou en mathématiques. L’auteur met aussi en évidence les liaisons qui s’instaurent entre l’université de Prague et les écoles techniques de Prague et de Brünne. La division en établissements supérieurs de langue allemande ou de langue tchèque séparait toutefois ← 20 | 21 →les communautés savantes, même si des contacts persistaient au niveau individuel.
Ces deux textes de cadrage introduisent les études plus directement consacrées à l’émergence et au développement des formations en électrotechnique. Marcela Efmertová montre la mise en place de l’électrotechnique dans les cursus des universités de langue tchèque et allemande à Prague et dans les écoles techniques supérieures de Prague. Formellement, l’électrotechnique est d’abord inscrite dans les départements de mécanique, ce qui est de fait un des modes d’organisation classique à l’époque avec celui de l’insertion de l’électrotechnique comme une des branches de la physique, comme on le verra dans les chapitres rapportant la naissance de cet enseignement dans d’autres pays. Et comme partout, l’ampleur des innovations, le rôle de plus en plus important de l’énergie électrique dans l’industrie et l’économie du pays mènent progressivement à l’autonomie de l’électrotechnique en tant que discipline, avec ses propres départements et instituts et des cours de plus en plus diversifiés. Le rôle de Vladimír List, éminent électrotechnicien, est notamment mis en exergue en promoteur infatigable de cet enseignement : on le retrouvera comme un des initiateurs d’une législation organisant l’électrification du pays.
Si les hautes écoles techniques ont pour vocation de former des ingénieurs, le développement des industries électriques appelle aussi à l’emploi de techniciens qualifiés. Ce sera le rôle des écoles secondaires industrielles de langue tchèque et allemande que décrit avec précision Jan Mikeš. Il en dresse un tableau complet, exposant comment à partir d’une réforme de l’organisation des lycées dans l’Empire, selon le rapport de deux universitaires, Franz Exner de Prague et Hermann Bonitz de Berlin, des écoles industrielles pour former des techniciens, des écoles spécialisées pour préparer à la maîtrise et des écoles de formation continue (en cours du soir, ou en école du dimanche) avaient été implantées à partir des années 1850, non seulement à Prague, mais dans toutes les régions industrielles des pays tchèques. À partir des années 1880, des cours d’électrotechnique sont introduits, puis des sections spécialisées sont activées. Des écoles techniques entièrement dédiées à l’électricité ont également été ouvertes tant en langue tchèque qu’en langue allemande. Pour illustrer ce type de formation, Jan Mikeš prend l’exemple d’un établissement de formation électrotechnique municipal à Teplice (Městské Elektrotechnikum depuis 1895) qui offrait différents niveaux d’études et qui était considéré comme une institution modèle.
Details
- Pages
- 548
- Publication Year
- 2016
- ISBN (ePUB)
- 9782807600010
- ISBN (MOBI)
- 9782807600027
- ISBN (PDF)
- 9783035265576
- ISBN (Softcover)
- 9782875742469
- DOI
- 10.3726/978-3-0352-6557-6
- Language
- French
- Publication date
- 2016 (September)
- Published
- Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2016. 548 p., 1 ill., 12 tabl.
- Product Safety
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