Les inégalités scolaires en Suisse
École, société et politiques éducatives
Résumé
Les analyses portent sur les effets des politiques éducatives et identifient les facteurs qui favorisent, ou au contraire limitent, l’efficacité et l’équité de ces politiques. De ce point de vue, la diversité des systèmes éducatifs proposés par chaque canton en Suisse constitue un véritable « laboratoire scolaire » pour la sociologie de l’éducation, au sens où toutes les formes possibles d’organisation des scolarités sont présentes et peuvent ainsi être comparées pour rendre compte des mécanismes de production des inégalités scolaires.
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’Éditeurs
- À propos du Livre
- Pour référencer cet eBook
- Remerciements
- Sommaire
- Introduction: Inégalités Scolaires et inégalités sociales: Georges Felouzis et Gaële Goastellec
- L’école: une question de société?
- Comment gérer la diversité des élèves?
- Définir les inégalités scolaires, leurs sources et leur ampleur
- La Suisse comme laboratoire scolaire
- Chapitre 1: Ce que l’école fait aux plus faibles: une analyse comparative de 13 cantons suisses: Georges Felouzis
- Introduction
- PISA Suisse 2009: 20’000 élèves scolarisés dans 13 cantons
- Les inégalités scolaires en Suisse: des systèmes plus ou moins équitables
- Ce que l’école fait aux plus faibles
- Inégalités liées au sexe
- Inégalités et parcours migratoires
- Origine socioéconomique des élèves
- Inégalités, filières et ségrégation scolaire
- Conclusion
- Chapitre 2: Ségrégation sociale et migratoire à Genève. Comment l’école participe-t-elle à la reproduction des inégalités?: Samuel Charmillot
- Introduction
- Les effets de la ségrégation sur les compétences et les inégalités
- Données et méthodes
- Les données de l’enquête
- Pourquoi mesurer la ségrégation selon les caractéristiques sociales et migratoires?
- Comment mesurer la ségrégation inter-classe et inter-établissement?
- Résultats
- La dissimilarité inter-établissement et inter-classe
- L’impact respectif de la ségrégation inter-classe et inter-établissement
- Les effets de la carte scolaire
- Discussion
- Ségrégation et inégalités scolaires
- Quelles politiques pour réduire les inégalités scolaires ?
- Inégalités scolaires et espace urbain
- Chapitre 3: Les inégalités sociales de réussite à l’aune de la mesure des performances des élèves. Le cas vaudois: Bruno Suchaut
- Contexte et problématique
- Données et structure des analyses
- Quelles relations entre les mesures des acquis des élèves?
- Performances scolaires et milieu socio-économique
- Analyse selon les filières d’enseignement
- Une analyse globale
- Conclusion
- Chapitre 4: Approche par compétence et inégalités scolaires dans l’enseignement primaire à Genève: Géry Marcoux, Marion Dutrévis, Marcel Crahay
- La logique de la compétence et l’objectif de réussite pour tous
- Le contexte sociologique et éducationnel genevois
- Le dispositif de recherche
- L’échantillon d’élèves
- Condition de passation des épreuves
- Les épreuves d’évaluation
- Tâche complexe
- Tâche décomposée
- Tâche mesurant les habiletés
- Procédure
- Résultats
- Performances aux différentes tâches et relations entre tâches
- L’évaluation des compétences accroît-elle l’échec scolaire?
- Performances aux différentes tâches et caractéristiques individuelles: le rôle de la langue première
- Performances aux différentes tâches et distinction REP - ordinaire
- Discussion et conclusion
- Chapitre 5: L’entrée à l’école et son influence sur la réussite scolaire future : quelles différences entre filles et garçons?: Irene Kriesi, Marlis Buchmann
- Introduction
- Cadre théorique
- Le rôle des compétences des garçons et des filles dans la transition de l’entrée à l’école et les résultats scolaires ultérieurs
- Compétences clés
- Perception des compétences selon le stéréotype de genre
- Le contexte social et les pratiques de socialisation genrée
- Le processus d’entrée à l’école et la réussite scolaire des filles et des garçons
- Données et méthodologie
- Résultats
- La qualité de la transition et la réussite scolaire des garçons et des filles
- Le rôle des compétences des garçons et des filles sur le processus d’entrée à l’école et les résultats scolaires ultérieurs
- Le milieu social et les pratiques de socialisation genrée
- Conclusion
- Chapitre 6: La formation professionnelle dans le cadre des réseaux d’entreprises formatrices comme aide à l’intégration des jeunes issus de l’immigration: Christian Imdorf, Nicolette Seiterle
- Introduction
- Les difficultés des jeunes d’origine étrangère à trouver une place d’apprentissage
- La recherche germanophone sur les discriminations dans l’attribution des places d’apprentissage
- Comprendre les raisons des discriminations du point de vue des entreprises formatrices
- L’acceptation des «étrangers» dans le monde industriel
- L’exclusion des jeunes d’origine étrangère dans le monde domestique
- Les barrières dans le monde marchand
- Éviter les dysfonctionnements éventuels dans les divers mondes
- L’organisation de la formation et les possibilités d’intégration
- L’intégration à travers la formation dans des réseaux d’entreprises formatrices
- Le recrutement des apprentis dans le monde par projets et dans le monde civique
- Le portrait de deux grands réseaux d’entreprises formatrices
- Integranet: un réseau d’entreprises formatrices avec mandat communal d’intégration
- Transportnet: un réseau privatisé sans mandat d’intégration
- Comparaison de l’attribution des places d’apprentissage dans les deux réseaux d’entreprises formatrices
- Le pool et les canaux de recrutement
- Screening des dossiers de candidature
- Evaluations internes
- L’entretien d’embauche et le stage d’essai («Schnupperlehre»)
- Conclusion
- Chapitre 7: Inégalités dans le(s) système(s) d’éducation suisse(s): facteurs systémiques et devenir individuel: Thomas Meyer
- Introduction
- Les dimensions systémiques de la production des inégalités
- Inégalités socio-spatiales
- Sélectivité du système de formation et inégalité
- Rationnement de l’offre de formation et inégalité
- Appartenances sociales et inégalités
- Inégalités selon «l’origine»: statut migratoire vs. origine sociale
- Effets cumulatifs: l’exemple des jeunes migrants
- Inégalités selon le sexe
- Les perdants et les gagnants du système d’enseignement
- Conclusion
- Chapitre 8: L’évolution des inégalités d’accès aux diplômes du tertiaire en Suisse: quels principes explicatifs?: Gaële Goastellec, Crispin Girinshuti
- Introduction
- Qualifier la diversité sociale: un problème complexe
- L’Enquête Sociale Européenne
- Variables de lecture des inégalités et structure des trois cohortes
- L’origine socio-économique
- Les appartenances ethniques
- L’évolution des inégalités d’accès aux diplômes du tertiaire
- Le sexe au coeur des inégalités
- L’origine socio-économique
- L’appartenance ethnique
- La religion
- Les inégalités comparées au plan international
- Conclusion
- Chapitre 9: Formation et mobilité sociale en Suisse: regards sur cinquante ans d’inégalités: Julie Falcon, Dominique Joye
- Introduction
- Éducation et mobilité sociale: débats en cours
- La mobilité sociale en questions
- Construire une comparaison historique
- Changements structurels du domaine en Suisse: quelques tendances
- L’évolution de l’effet de l’origine sociale sur le niveau d’étude
- L’évolution de l’effet du niveau d’étude sur la position sociale atteinte
- Conclusion: des inégalités maintenues?
- Conclusion: les politiques scolaires à l’épreuve de la sociologie de l’éducation: Georges Felouzis, Gaële Goastellec
- Configurations familiales, école et inégalités
- Des inégalités produites au sein même des classes
- Offre scolaire et production des inégalités
- L’école, les diplômes et la mobilité sociale
- Bibliographie
- Les Auteur(e)s
INÉGALITÉS SCOLAIRES ET INÉGALITÉS SOCIALES
Georges Felouzis et Gaële Goastellec
Cet ouvrage propose une vision d’ensemble des inégalités scolaires en Suisse au travers de travaux issus de recherches qui relèvent toutes, à des degrés divers, de la sociologie de l’éducation. Chaque auteur s’attache ainsi à comprendre comment la réussite ou l’échec scolaire, l’accès à tel ou tel niveau de diplôme ou à une maîtrise plus ou moins élevée de savoirs et de compétences, dépendent de facteurs que l’on pourrait qualifier de «collectifs».
Par «facteurs collectifs», nous entendons deux types de phénomènes. D’abord le poids sur les parcours scolaires des caractéristiques ascriptives des individus, c’est-à-dire qui ne relèvent pas de leur volonté propre tout en les situant au sein de la société. Etre un homme ou une femme, d’origine sociale aisée ou modeste, de parents migrants ou non, etc. relèvent de ce type de caractéristiques dont on sait qu’elles agissent fortement sur les chances de réussite sans pour autant que les élèves puissent directement agir sur elles. Cela signifie que nous raisonnerons de façon privilégiée sur des inégalités entre groupes d’élèves et non pas entre individus: les compétences scolaires dépendent-elles du sexe, de l’origine sociale ou encore du parcours migratoire des individus? Quels sont les mécanismes qui produisent ces inégalités scolaires entre groupes d’élèves?
Le deuxième type de facteurs collectifs relève ensuite du contexte de scolarisation, défini par la structure et l’organisation des systèmes éducatifs qui créent des conditions d’apprentissage très diverses, suscitant des inégalités plus ou moins marquées en fonction des politiques et des dispositifs scolaires mis en œuvre à un moment donné. De ce point de vue, la Suisse offre un éventail extrêmement varié de contextes de scolarisation, notamment en fonction des politiques conduites dans les différents cantons au niveau de l’enseignement primaire et secondaire. ← 1 | 2 → Construire une sociologie des inégalités scolaires revient donc inévitablement à rendre compte des effets de ces politiques et ainsi avancer dans la compréhension des facteurs plus généraux qui favorisent, ou au contraire limitent, l’efficacité et l’équité de ces systèmes. De ce point de vue, la Suisse constitue un terrain privilégié pour comprendre le rôle de ces facteurs collectifs dans la production des inégalités. La diversité des systèmes éducatifs proposés par chaque canton constitue un véritable «laboratoire scolaire» au sens où toutes les formes possibles d’organisation des scolarités sont présentes dans l’espace éducatif suisse. Et l’étude approfondie de ce «laboratoire scolaire» nous permettra de rendre compte des mécanismes de production des inégalités et des processus plus généraux qui président à leur production et reproduction.
L’ÉCOLE: UNE QUESTION DE SOCIÉTÉ?
Notre approche consiste donc à situer l’école au sein de la société pour en comprendre les effets sur les inégalités, les parcours individuels et in fine sur la stratification sociale elle-même. Cette posture ne tombe pourtant pas sous le sens et demande à être explicitée dans ses fondements et ses présupposés. S’interroger sur les inégalités scolaires est le propre des sociétés démocratiques avancées dans lesquelles l’accès aux fonctions les plus prisées est supposé dépendre du mérite et de l’effort de chacun, et non du hasard de sa naissance. Dans ces sociétés, les valeurs d’égalité et d’équité prennent une place centrale, tant au plan des relations entre individus qu’au sein même des institutions telles que l’Ecole. Ce phénomène est accentué par le fait que la réussite scolaire devient un moyen reconnu et légitime pour définir et mesurer le mérite et les capacités des individus. C’est aujourd’hui en fonction des jugements scolaires que l’on définit les critères légitimes d’accès aux biens rares que sont les diplômes, mais aussi les statuts sociaux et économiques qui leur sont associés. Ce n’est donc pas un hasard si la sociologie de l’éducation s’est développée dès les années 1960 aux Etats-Unis (Coleman, Campbell, Hobson, McPartland et al., 1966) et en Europe (Bernstein, 1975; Bourdieu & Passeron, 1964) dans une période historique où l’école est progressivement devenue une des principales clés d’entrée dans le monde du travail. Dans ces conditions, s’interroger sur les inégalités scolaires revient presque inévitablement à questionner la réalisation plus ou moins avérée des valeurs fondatrices des sociétés démocratiques modernes: l’égalité des ← 2 | 3 → chances, la valorisation du mérite, l’équité de traitement des individus quels qu’ils soient.
La problématique des inégalités scolaires est donc une question sociale relativement récente. Pour autant, la question de l’identification des «meilleurs» par «l’école» se pose au moins depuis Platon (1993) au 4e siècle avant J.-C. et fait étrangement écho à celle nourrissant la problématique contemporaine des inégalités scolaires. En premier lieu, Platon postule la distribution aléatoire des talents naturels dans la société, car il n’y a pas de raison que les individus talentueux soient plus représentés dans certains groupes sociaux que dans d’autres. En second lieu, il affirme que les «gardiens de la cité» doivent être issus de toutes les classes sociales. On doit ainsi retrouver une diversité sociale, à la fois dans la formation scolaire et dans le corps de l’élite. Troisième dimension, selon Platon, pour identifier ces talents: des dispositifs volontaristes de repérage doivent être mis en place. Cela n’est pas sans rappeler le développement des dispositions d’orientation scolaire et professionnelle. Enfin, pour Platon, l’individu porteur de talents doit être arraché à sa condition collective pour être préparé à sa future mission. Se pose alors la question de l’influence du milieu familial sur l’individu, du rôle de l’école dans l’égalisation de conditions initiales inégales et, in fine, de la répartition des responsabilités entre famille et système éducatif.
La question des inégalités scolaires ne se réfère donc pas seulement aux valeurs démocratiques. Elle renvoie aussi à la nature des sociétés modernes: changeantes, voire mouvantes, demandant des capacités d’adaptation extrêmement développées, des compétences spécifiques et socialement pertinentes. C’est là qu’intervient la question du capital humain (Becker, 1964) et des compétences de base que chacun doit acquérir dans une société moderne. On sait qu’un certain niveau minimal d’éducation est nécessaire pour s’insérer dans la vie professionnelle et sociale. Le fait d’avoir très peu fréquenté l’école et de ne pas avoir acquis les compétences de base marginalise les individus et fragilise leur insertion sociale. Dans les sociétés complexes, le temps d’apprentissage institutionnalisé s’allonge parce que les savoirs et compétences nécessaires à la vie en société sont plus importants et variés. C’est cette situation qui explique le développement de la scolarisation dans la plupart des pays du monde, fruit d’un investissement éducatif lui aussi croissant (Organisation de Coopération et de Développement Economiques [OCDE], 2012). C’est aussi ce qui explique l’allongement progressif de la scolarité ← 3 | 4 → obligatoire dans la plupart des pays au cours de la deuxième moitié du 20e siècle. Se pose alors la question du rôle de cet enseignement obligatoire et de la façon dont on définit le statut des savoirs et compétences que l’on doit y acquérir. Longtemps, cette question s’est limitée à l’école primaire, qui constituait le tout de l’enseignement obligatoire et de ce fait le lieu d’apprentissage d’un socle commun de connaissances jugé suffisant pour créer une culture commune. Ce fût le cas des lois Ferry sur l’enseignement obligatoire, laïque et gratuit de la fin du 19e siècle en France et, dans la même perspective, de l’enseignement primaire à Genève (Hofstetter, 1998). Aujourd’hui, l’enseignement obligatoire s’étend le plus souvent jusqu’à la fin du secondaire 1 (à Genève, la scolarité est obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans), mais la question de ses fonctions et de son organisation n’est pas totalement résolue, si l’on en croit la nature et la teneur des débats scolaires au plan international comme au plan proprement suisse. Doit-on proposer un système unifié pour tous les élèves de façon à ce que ce socle commun soit acquis par tous ou doit-on au contraire faire varier les modes de scolarisation en fonction des capacités et des acquis scolaires des élèves en fin d’enseignement primaire? Derrière cette question d’organisation des scolarités, apparaît celle de l’égalité des chances et des principes de justice qui guident les politiques scolaires. Si l’on considère que l’enseignement obligatoire a pour fonction de faire acquérir à tous des compétences indispensables à la vie dans les sociétés modernes, comme le défend l’OCDE au travers des enquêtes PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) (Felouzis & Charmillot, 2012a; OCDE, 2011a et b), on sera alors tenté de défendre une conception «compensatoire» de l’enseignement: celui-ci, y compris dans les premières années du secondaire, doit être un moyen de compenser les inégalités de départ entre élèves, liées aux conditions différenciées de socialisation dans des milieux sociaux tout aussi différenciés. Si, à l’inverse, on privilégie une conception strictement «méritocratique», on sera alors tenté de différencier l’enseignement en offrant moins à ceux dont les acquis sont déjà moindres en fin d’école primaire, au risque d’accroître encore plus les inégalités entre élèves. On aboutit alors à l’idée qu’en l’espèce, des inégalités scolaires sont créées par l’école elle-même (Crahay, 2013). Ce fait n’est certes pas nouveau. Il a en revanche des conséquences spécifiques dans nos sociétés modernes où l’éducation de base tend à devenir un «bien premier» au sens de Rawls (1987), c’est-à-dire un bien indispensable à la vie en société et à l’exercice des libertés démocratiques. ← 4 | 5 →
Résumé des informations
- Pages
- VIII, 273
- Année de publication
- 2015
- ISBN (MOBI)
- 9783035194739
- ISBN (ePUB)
- 9783035194746
- ISBN (PDF)
- 9783035202984
- ISBN (Broché)
- 9783034315920
- DOI
- 10.3726/978-3-0352-0298-4
- Langue
- français
- Date de parution
- 2014 (Décembre)
- Mots clés
- Politique éducative Égalité Discrimination Immigration
- Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
- Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 273 p.