Ordre et désordre dans l’œuvre romanesque de Luigi Pirandello
Résumé
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Introduction
- Première partie : Famille et Société
- Chapitre I : La Société
- Introduction
- I. Le contexte socioculturel
- 1.1. La société « risorgimentale »
- 1.2. Après l’Unité
- 1.3. La question de la langue
- 1.4. La Sicile : les origines de Pirandello
- II. Le jugement et le regard des autres
- 2.1. Honneur et dignité
- 2.2. La singulière exclusion de Marta
- 2.3. La honte et la culpabilité
- 2.4. La quête du consentement populaire dans Il Turno
- 2.5. Les « Autres » en « Nous »
- 2.6. Le suicide
- III. Être ou paraître : Comment vivre en société ?
- 3.1. Le dédoublement de l’être
- 3.2. L’aspect physique
- 3.3. Accepter le port du masque
- 3.4. La possession et l’apparence
- 3.5. Le comportement : entre exhibition et malaise
- Conclusion
- Chapitre II : Le milieu Familial
- Introduction
- I. Influences, valeurs et désordres familiaux
- 1.1. Les influences
- 1.2. La famille et ses alentours
- 1.3. La naissance et le patronyme
- 1.4. Mattia Pascal et le Désordre familial
- 1.5. Respect et fierté
- II. Le « cocon » familial
- 2.1. Relations familiales
- 2.2. Responsabilités familiales
- 2.3. Consolation et appui
- 2.4. Le retour chez les parents
- 2.5. Leurs chambres les attendent
- III. La famille comme prison
- 3.1. Etouffement et mensonges
- 3.2. Désir de fuite et de liberté
- 3.3. Vers un nouveau départ ?
- 3.4. Cocon ou cauchemar
- 3.5. Violences familiales
- Conclusion
- Chapitre III : La formation de la famille
- Introduction
- I. Le mariage
- 1.1. Contrat ou contrainte ?
- 1.2. Le mariage et la dot
- 1.4. La révolution industrielle et ses conséquences sur le mariage
- 1.5. L’homme et la femme au sein de la famille
- II. Le foyer conjugal
- 2.1. Soumission et désirs d’autonomie
- 2.3. La jalousie dans le couple
- 2.4. Adultère, infidélité et trahison
- 2.5. Séparation et retrouvailles
- III. Continuités familiales
- 3.1. Les rapports entre pères et enfants
- 3.2. Les rapports entre mère et enfants
- 3.3. La naissance et la mort
- 3.4. Illusions et espoirs : la vie continue
- 3.5. Transmissions et générations
- Conclusion
- Deuxième partie : Entre tradition et modernité
- Chapitre I : Pirandello et l’histoire
- Introduction
- I. La représentation du passé
- 1.1. Nostalgie, mémoire et souvenir
- 1.2. L’ombre du passé
- 1.3. Romans « mémoires »
- 1.4. Les personnages écrivains
- 1.5. Personnages fictifs et personnages « historiques »
- 1.6. La philosophie de Pirandello et de Monsieur Anselmo Paleari
- II. Histoire et autobiographie
- 2.1. Le Risorgimento et la révolution de 1848
- 2.2. Garibaldi et l’expédition des Mille
- 2.3. Les mines de soufre et les « Fasci » siciliens
- 2.4. L’Unité italienne et ses conséquences
- III. Les « Vieux » et les « jeunes »
- 3.1. Vieux et jeunes, passé et présent
- 3.2. La fin des idéaux
- 3.3. Romans historiques ou générationnels.
- 3.3.1. I Viceré de Federico de Roberto et I vecchi e i giovani de Pirandello
- 3.3.2. Il Gattopardo de Lampedusa et I vecchi e i giovani de Pirandello
- Conclusion
- Chapitre II : Changements et nouveautés
- Introduction
- I. Fracture avec le passé
- 1.1. La nouveauté à tout prix
- 1.2. Les nouvelles technologies dans les romans de Pirandello
- 1.3. Le futurisme et son refus par Pirandello
- 1.4. Pirandello et le cinéma
- II. L’homme et la modernité
- 2.1. L’Homme, la machine et les animaux
- 2.2. La nature et la machine
- 2.3. Le cinéma : une affaire rentable
- 2.4. Silence et réification
- III. La création et l’illusion
- 3.1. L’impassibilité
- 3.2. Le « masque » et le personnage
- 3.3. L’ambivalence de la caméra
- 3.4. Le thème du double
- Conclusion
- Troisième partie : Réalité et Fiction
- Chapitre I : Entre observation et réalité
- Introduction
- I. « L’au-delà », « l’autre » et la division du « Moi »
- 1.1. « L’altro » et « l’oltre »
- 1.2. L’esprit et le corps
- 1.3. « Moi » et « l’autre »
- II. Les aspects philosophiques de l’œuvre de Pirandello
- 2.1. Le Relativisme psychologique de Pirandello
- 2.2. L’Humorisme et le « sentiment du contraire »
- 2.3. L’Existentialisme de Pirandello
- III. L’Involontaire
- 3.1. Le Néant et le Chaos
- 3.2. « Dieu est mort »
- 3.3. Le Hasard
- Conclusion
- Chapitre II : Entre réflexion et fiction
- Introduction
- I. Certitude et incertitudes
- 1.1. Le doute s’installe
- 1.2. Vérité et mensonges
- 1.3. Liberté ou rêve de liberté
- 1.4. Contraintes et rébellion
- II. Les profondeurs de l’être
- 2.1. Conscience et inconscient
- 2.2. Morale ou raison
- 2.3. Pirandello, la psychologie et la psychanalyse
- III. Entre folie et reconstruction
- 3.1. Pirandello et Svevo
- 3.2. La folie
- 3.3. Anéantissement ou reconstruction
- Conclusion
- Conclusion
- Bibliographie
- Index des noms d’auteurs
Luigi Pirandello reste essentiellement dans l’histoire de la littérature européenne comme un dramaturge. Plus connu pour ses pièces de théâtre que pour ses poésies, ses essais, ses romans ou ses nouvelles, Pirandello n’en est pas moins l’un des plus importants et des plus grands écrivains de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Dès l’âge de vingt-quatre ans, il se consacre à sa vocation littéraire et s’installe à Rome où il se liera d’amitié avec son contemporain Luigi Capuana qui le poussera vers le récit, sous formes de romans et de nouvelles. Il sera également en contact avec des intellectuels siciliens avec qui il collaborera à l’écriture de revues et de journaux. Soutenu par ses contemporains, tels que D’Annunzio, Verga et bien d’autres, Pirandello représente les inquiétudes et les angoisses des hommes de son siècle. Il révèle ainsi la lassitude, la démission de l’individu, ainsi que la crise d’identité qui le réduit à être tout à la fois « un, personne et cent mille ».
Le travail et l’analyse entrepris concerneront principalement les romans de Pirandello. Ses romans, en tout et pour tout au nombre de sept, – dans l’ordre chronologique de publication : L’esclusa (1901), Il turno (1902), Il fu Mattia Pascal (1904) Suo Marito (1911), I vecchi e i giovani, (1913) I Quaderni di Serafino Gubbio operatore (1915) et Uno, nessuno e centomila (1925) – développent plus ou moins toujours les mêmes thèmes que ceux que l’on trouve dans les pièces de théâtre et les nouvelles. Ils mettent en scène des situations et des personnages tout à la fois communs et étranges, qui incarnent les drames et les incohérences de la condition humaine. Ces romans peuvent être considérés comme des nouvelles plus longues à l’intérieur desquelles Pirandello part d’un fait pour réfléchir à la raison même de ce fait. Dominique Budor écrira d’ailleurs :
Car, découvrant pour le roman une vocation différente de celle que la tradition lui avait assignée – la description aussi vraisemblable que possible d’événements assimilables à ceux de la vie réelle et mettant en action des personnages porteurs de la « philosophie » de l’auteur –, Pirandello définit un nouveau projet romanesque : le ← 5 | 6 → roman intègre dans sa sphère narrative son propre processus réflectif et par la même dévoile la vision du monde de celui qui l’a produit1.
D’où l’origine autobiographique de certains thèmes fondamentaux de son œuvre, tels la société ou la famille, la tradition du passé ou l’histoire et la modernité. Le narrateur et le dramaturge qu’il est, montrera que toute chose humaine peut être drôle en apparence et triste en profondeur, et que le relativisme peut être un moyen de survie. Ajoutons que la Sicile, qui est son pays natal, reste une référence constante dans ces œuvres. Dans ses romans, le lecteur est confronté à une interrogation sur la vie, l’individu ainsi que la société, la vie étant définie comme « un séjour involontaire sur la terre ». Tout cela ne serait pas très original si on ne trouvait pas – poussé à ses extrêmes conséquences – le thème du « moi » multiple, présent dans la dans la plupart de ses romans, qu’il s’agisse de Suo Marito, Il Fu Mattia Pascal (Feu Mattia Pascal), I Quaderni di Serafino Gubbio operatore (Les cahiers de Serafino Gubbio opérateur) ou encore Uno, nessuno e centomila (Un, personne et cent mille). Par ailleurs, notre auteur fait ressortir dans ses œuvres un conflit entre la vie, qui est un flux continu, et la forme, c’est-à-dire les conventions sociales qui nous figent dans une image, un masque, entravant ainsi la compréhension profonde entre les hommes, d’où l’incommunicabilité caractéristique de la Modernité.
Dans une lettre écrite en 1927 et adressée à Benjamin Crémieux2, son premier traducteur, au moment de la parution de « Vieille Sicile », par la Nouvelle Revue Française, il écrit: « Vous désirez quelques notes biographiques sur moi et je me trouve extrêmement embarrassé pour vous les fournir ; cela, mon cher ami, pour la simple raison que j’ai oublié de vivre, oublié au point de ne pouvoir rien dire, mais exactement rien, sur ma vie, si ce n’est peut-être que je ne la vis pas, mais que je l’écris. De sorte que si vous voulez savoir quelque chose de moi, je pourrais vous répondre : Attendez un peu, mon cher Crémieux, que je pose la question à mes personnages. Peut-être seront-ils en mesure de me donner à moi-même ← 6 | 7 → quelques informations à mon sujet. Mais il n’y a pas grand-chose à attendre d’eux. Ce sont presque tous des gens insociables, qui n’ont eu que peu ou point à se louer de la vie3 ».
Le « drame » que Pirandello révèle dans ses œuvres est dans la manière qu’ont les personnages « de se voir vivre », c’est-à-dire qu’ils sont représentés comme s’ils sortaient d’eux-mêmes pour s’observer de l’extérieur, comme s’ils étaient « autres » et pour voir le contraste entre la réalité et le masque que chaque individu porte pour vivre en société. Par conséquent, selon Pirandello, le monde est fondé sur un contraste entre la vie, qui est en continuel mouvement et changement, et la forme, qui est une sorte de corsetage social, de loi extérieure qui arrête et fixe le flux vital. C’est ainsi que l’homme est prisonnier de cette forme, de ces schémas sociaux dans lesquels il se renferme par lui-même ou à cause de la société. C’est pourquoi nous verrons comment Pirandello fait vivre ses personnages dans une « prison » que leur imposent les autres, la société leur infligeant un rôle dont ils ne peuvent pas sortir, d’où le dualisme de vie et de forme à l’œuvre dans chaque roman.
Dans la société pirandellienne la seule manière d’éviter l’isolement est le port du masque. Quand un personnage cherche à s’en libérer en se comportant différemment de ses habitudes, il est très vite mis à l’écart, allant jusqu’à provoquer le rire ou l’incompréhension des autres. Cette mise à l’écart lui conférera le statut d’élément perturbateur, ne pouvant faire partie d’un groupe tel que la société, ne trouvant plus sa place d’origine au milieu des conventions et des schémas sociaux. C’est pourquoi nous tenterons d’expliciter comment, à travers le contexte social, les mœurs siciliennes et les liens familiaux de son époque, Pirandello a conçu ses romans et ses personnages. Mais aussi de quelle manière, pour lui, la société donne un rôle à tenir à travers le regard et le jugement de « l’autre » et comment chacun s’identifie ou refuse ce rôle. Enfin, pourquoi et comment la société tient une importance considérable dans la formation de la personnalité et de l’identité des personnages pirandelliens.
Cette société dont Pirandello nous parle est également cette société qui aurait poussé notre écrivain sicilien à épouser une femme par convenance. Selon Andrea Camilleri, son mariage aurait été un mariage arrangé. ← 7 | 8 → En acceptant cette décision, Pirandello se serait plié aux conventions sociales de son temps, comme le font ses propres personnages de roman, et aurait accepté de porter d’une certaine manière un masque. Il épouse donc Antonietta qui lui apportera une bonne dot. En 1903, la famille de Pirandello et celle de sa femme se retrouvent ruinées. La soufrière dans laquelle son père avait investi son propre argent ainsi que la dot de sa belle-fille est détruite par un éboulement. Luigi se retrouve non seulement pauvre mais également avec une femme malade. En effet, à la nouvelle de la ruine, cette dernière fut atteinte de parésie dont elle ne se remettra que six mois plus tard et d’une altération mentale dont elle ne se remettra plus. Elle imaginera alors des liaisons à son mari, lui rendant ainsi la vie impossible.
Cela nous conduit également à envisager le rôle de la famille dans la société sicilienne de l’époque. Pirandello, dans ses romans, montre la façon dont les liens familiaux et sociaux interagissent entre eux. Il est à noter, à ce sujet que, dans la famille, le besoin d’intégration n’est pas nécessaire puisque chacun dès la naissance est à sa place respective, alors qu’au sein de la société, l’intégration se fait en fonction de l’individu, de ses traits de caractère et de sa fonction.
Par conséquent, nous tenterons de montrer comment la famille et ses valeurs peuvent être à la fois une sorte de « cocon » pour les personnages pirandelliens mais aussi une prison, un endroit clos et étouffant. La famille étant, de manière générale, l’institution qui a connu les bouleversements les plus profonds, l’image et le rôle de ses différents membres ont été brouillés et l’autorité morale de la famille en a été ébranlée. Pirandello met donc l’accent sur les contradictions et les névroses qui surgissent au sein d’une société patriarcale confrontée à des mutations qui, bien qu’encore balbutiantes, ébranlent un équilibre ancestral. Cet intérêt pour la famille révèle une attention plus profonde portée à ce que l’on pourrait appeler l’ « involontaire » associé au hasard. En effet, on naît par hasard et on est jeté dans un monde (famille, nom, société, lieu géographique) que l’on n’a pas choisi. Notre involontaire séjour sur terre est donc le fruit d’une série de hasards que nous ne maîtrisons pas. L’écrivain, en revanche, peut choisir et créer de toutes pièces l’identité de ses personnages. Et Pirandello – dans ses constructions romanesques et narratives – va se référer à des mémoires qui s’entremêlent : mémoire familiale, mémoire historique, mémoire « vécue » ou mémoire filtrée par des strates de souvenirs. Tout cela est censé construire une identité individuelle et collective, mais avec Pirandello les choses sont plus complexes. Rien ne se laisse appréhender ← 8 | 9 → de façon univoque, l’identité moins encore que toute autre chose. C’est pourquoi tout ce qui relève d’un ordre est immédiatement mis, dans l’œuvre de Pirandello, à l’épreuve du désordre. Cette dialectique ordre-désordre semble particulièrement pertinente pour rendre compte de la Modernité et de l’apparent progrès qui l’accompagne. Le cinéma qui semble en être l’expression la plus heureuse met à nu la dépersonnalisation et la réification de l’humain.
Pirandello n’hésite pas à faire dire à ses personnages, tel que Serafino Gubbio, à quel point le cinéma est une fiction qui chosifie et commercialise la vie et la nature. Refuse-t-il cette nouvelle ère qui valorise la machine ? Nous verrons comment Pirandello nous montre à travers le mutisme de l’opérateur que la mécanisation a tué la vie. Et il semble, de toute façon, qu’il soit devenu impossible de faire la distinction entre la réalité et la fiction. Or, la fiction n’est pas attachée uniquement aux personnages de films. En effet, chacun des personnages pirandelliens voit sa propre réalité selon ses propres idées et ses propres sentiments, selon une optique différente de celle des autres. Entre réalité et apparence, nous verrons qu’il y a deux dimensions distinctes. Celle de la réalité objective, qui est extérieure aux individus et celle de la réalité subjective, qui est avant tout la vision personnelle qui appartient à l’individu et à l’instant qu’il est en train de vivre. Nous évoquerons les différents aspects philosophiques introduits dans les romans pirandelliens, tel que le concept d’humorisme ou du sentiment du contraire cher à notre écrivain. Nous tenterons également d’expliquer de quelle façon la folie permet aux personnages de Pirandello, en refusant d’appartenir au monde, de se découvrir eux-mêmes, et de cette manière de se découvrir de multiples personnalités, toutes différentes les unes des autres, pour se distinguer des autres, mais avec le résultat de vivre dans un univers complètement séparé.
Nous tenterons enfin d’expliquer comment entre hasard, destin, conscience autocritique ou inconscience, les personnages pirandelliens se retrouvent plongés dans un monde chaotique. Un monde où, dès que les questions existentielles apparaissent, tout semble s’écrouler. Nous essayerons d’analyser ce que représente le chaos pirandellien et de quelle manière ses personnages le vivent. Qu’est-ce que le chaos si ce n’est une violence à la fois terrible et naturelle de laquelle devrait sortir finalement l’ordre, la beauté et la vie ? Cela nous renvoie au mythe d’Hésiode. Mais le chaos auquel sont confrontés les personnages de Pirandello est une force ← 9 | 10 → destructrice où il est difficile de démêler réalité et fiction, vérités et mensonges, certitudes et faux-semblants. Le personnage pirandellien est alors anéanti et prend conscience que sa vie est artificielle. Entre ordre et désordre, en un processus infini, sans cesse renouvelé.
C’est pourquoi, dans cette configuration si particulière, il n’est pas étonnant de rencontrer quelques contemporains de notre auteur, dont Alfred Binet, Freud, Schopenhauer, Italo Svevo pour ne citer que quelques noms attachés à la question de la personnalité, de la souffrance, et de l’ennui, du double et de la folie, toutes questions au cœur de la problématique et de l’écriture de Pirandello. ← 10 | 11 →
1Dominique Budor, « La “FIN” ou le retour au réel du monde … “Liolà” », in Lectures Pirandelliennes, éditions F. Paillart, Abbeville, 1978, p. 32.
2Benjamin Crémieux est un de ceux qui le révèlent au public parisien en faisant jouer ses plus importantes pièces et en les traduisant, aidé par sa femme Marie-Anne Comnène.
3In Introduction à Pirandello, Pirandello Luigi, Vieille Sicile, Paris, éditions Sociales, 1958, p. 7-8.
Première partie : Famille et Société
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Comme cela a été maintes fois démontré, la conception de Pirandello à propos de ses personnages se fonde essentiellement sur le fait que ces derniers vivent dans une « prison » que leur imposent les autres. Chacun de ces personnages vit figé dans un rôle que la société lui inflige et dont il ne peut pas sortir. C’est ce que Luigi Pirandello appelle la « forme ». Selon le critique napolitain Adriano Tilgher cité par Jean-Michel Gardair :
Toute la philosophie de Pirandello tourne autour du dualisme fondamental de Vie et de Forme : la vie perpétuellement mobile et fluide, qui se moule et ne peut pas ne pas se mouler dans une forme, tout en répugnant profondément à n’importe quelle forme ; et la Forme qui, en déterminant la Vie et en lui donnant des limites rigides et précises, glace et étouffe son inlassable frémissement.
Et Jean-Michel Gardair de commenter :
Et puisque des deux éléments en lutte, la Vie et la Forme, ce n’est pas la Forme qui crée la Vie, mais la Vie qui crée la Forme où couler et se reposer, le pourquoi du relativisme de Pirandello est on ne peut plus clair. Pirandello est relativiste, il nie qu’il existe une réalité et une vérité en dehors de nous, il soutient que l’être et le paraître de chacun de nous sont une seule et même chose, qu’il n’y a pas de science et que les opinions s’équivalent, précisément parce que pour lui toutes nos affirmations, nos théories, nos lois et nos normes ne sont que des formes éphémères, dépourvues en elles-mêmes de consistance et de vérité profondes, dans lesquelles se moule un instant de la vie4.
Même si Tilgher se réfère plus particulièrement aux œuvres théâtrales de Pirandello, son interprétation est aussi valable pour ses œuvres narratives car il ne faut pas oublier que ce sont ces dernières qui ont conduit l’écriture de certaines de ses pièces. Mais pour en revenir à l’analyse de Tilgher, ← 13 | 14 → ajoutons que tout ce qui assume une forme distincte et individuelle est selon Pirandello voué à l’échec. C’est ce qu’il advient de la personnalité et de l’identité de l’homme. L’homme n’est qu’une infime partie de l’univers et par conséquent de la vie. Il cherche donc à se fixer une réalité propre à lui-même, une personnalité cohérente et unitaire. Mais, en réalité, cette personnalité est un masque. Et ce masque est une image, une illusion de soi que l’on donne aux autres et que les autres nous donnent. C’est également une carapace qui permet à notre personnalité d’être plus ou moins en syntonie avec les codes de la société. Nous apparaissons tels que les autres nous voient et tels que nous voulons qu’ils nous voient. Le port de ce masque et cette carapace sont dues notamment aux regards des autres sur nous et au “Qu’en-dira-t-on ?”. C’est pourquoi, un des principes fondamentaux chez Pirandello est que, en dehors des apparences, aucune autre réalité ne peut exister. De ce fait, Pirandello est constamment à la recherche d’une vérité, une vérité fuyante et insaisissable, par l’intermédiaire de ses personnages en proie à un questionnement constant sur leur existence et leur devenir.
Nous verrons comment à travers un contexte social, les mœurs siciliennes et les liens familiaux de son époque, Pirandello a élaboré ses romans tout en donnant à ses personnages une certaine consistance. Nous verrons également de quelle manière, pour Pirandello, la société donne un rôle à tenir à travers le regard et le jugement de “l’autre” et comment chacun s’identifie ou refuse ce rôle. Enfin, pourquoi et comment la société tient une place considérable dans la formation de la personnalité et de l’identité des personnages pirandelliens.
Résumé des informations
- Pages
- IV, 370
- Année de publication
- 2014
- ISBN (MOBI)
- 9783035196382
- ISBN (ePUB)
- 9783035196399
- ISBN (PDF)
- 9783035202724
- ISBN (Broché)
- 9783034315104
- DOI
- 10.3726/978-3-0352-0272-4
- Langue
- français
- Date de parution
- 2014 (Juillet)
- Mots clés
- étude littéraire questionnement existentiel identité personnage pirandellien
- Publié
- Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. IV, 370 p.
- Sécurité des produits
- Peter Lang Group AG