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L’Empreinte de la Bible

Récritures contemporaines de mythes bibliques en littérature de jeunesse

de Danièle Henky (Auteur)
©2014 Monographies XVI, 271 Pages

Résumé

La Bible fut un réservoir d’histoires à destination des enfants dès le Moyen Âge en Occident. Aujourd’hui, on puise toujours dans la Genèse ou dans le Nouveau Testament, actualisant des textes fondateurs, afin de les intégrer dans des livres pour la jeunesse. Parodiée, commentée, réinterprétée, la Bible continue de s’offrir comme une sorte de grand vivier de mythes littéraires auquel l’écrivain, qu’il soit croyant ou non, ne se prive pas de recourir.
L'étude des écarts entre le texte originel et sa récriture, pratiquée ici essentiellement à partir d’un corpus d’ouvrages francophones, témoigne des mouvements qui affectent la culture du temps et permet de pointer la manière de faire des auteurs, les effets produits sur l’ouvrage réalisé comme sur le mythe lui-même. Elle révèle aussi la dynamique du mythe biblique à l’œuvre dans les textes destinés aux jeunes et esquisse, parallèlement, une réflexion sur l’évolution de la jeunesse entre héritage et questionnements dans un contexte culturel en constante évolution.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Préface
  • Avant-propos : De la méthodologie et du corpus choisis
  • Récit mythique et esprit d’enfance
  • Les outils de la mythocritique
  • La récriture de mythes : un paradoxe ?
  • La perspective anthropologique à la croisée des variations du mythe et du texte
  • Le choix du corpus en lien avec la problématique
  • Structuration d’ensemble
  • Retrouver et/ou recréer le paradis terrestre
  • Préambule
  • Livres de la Création ou la Genèse mise à la portée du jeune lecteur
  • De la parodie ludique à la transposition sérieuse
  • La valeur étiologique du mythe de la Genèse
  • Le jardin des délices au temps de l’innocence : transpositions poétiques
  • Une terre originelle où vivre une relation privilégiée avec les plantes et les bêtes
  • Le goût des jeunes lecteurs pour les histoires d’animaux
  • L’Âne Culotte d’Henri Bosco : une version provençale de la Genèse
  • Puissance créatrice de la langue « primitive » : quand la poésie rencontre l’étiologie
  • Nommer pour apprivoiser
  • Vestiges de la langue adamique
  • Avatars de Robinson ou les paradoxes de l’île paradisiaque
  • Dessiner un parcours initiatique
  • Un palimpseste de la Genèse à la fortune peu commune
  • Récritures et visées didactiques
  • Les Robinsons ne sont plus ce qu’ils étaient
  • Fuir le monde citadin et la civilisation occidentale
  • Le retour à la vie sauvage
  • La robinsonnade inversée de Michel Tournier
  • Retrouver la terre d’enfance : rêves d’auteurs
  • « La topophilie » ou l’étude des images de l’espace heureux
  • « Depuis mon enfance, j’ai rêvé d’aller là dans cet endroit où tout commençait, où tout finissait ».
  • Ecrivains exilés en quête de leur terre
  • Mise en écriture du territoire originel
  • Ambiguïtés édéniques
  • Le royaume de l’illusion
  • Sortir d’Eden
  • Titres de littérature pour la jeunesse auxquels il a été fait référence dans cette partie
  • Annexes
  • Gen. 1, 1-30
  • Gen. 2, 1-4
  • Gen. 2, 4b-25
  • Gen. 3, 1-24
  • Actualisation de mythes bibliques rémanents en littérature de jeunesse contemporaine
  • Préambule
  • Les abécédaires : appropriation d’un mythe biblique au fil des époques
  • L’apprentissage de la lecture comme initiation à l’ordre sacré
  • Premiers abécédaires irrigués par le récit biblique dans un but didactique
  • Alphabets moralisés : de l’ordre divin à l’ordre scientifique et républicain
  • Avatars de l’alphabet illustré
  • Paradoxes des ouvrages du XIXe siècle
  • La mise en place d’une poétique codée
  • Abécédaires contemporains agnostiques
  • La spiritualité concurrencée par la modernité
  • Le retour des motifs évangéliques après la Seconde Guerre mondiale
  • Le mythe du Déluge et les enfants de Noé
  • La réactivation du mythe du Déluge
  • La « remythologisation » : une tendance contemporaine
  • La vitalité d’une très ancienne histoire
  • Les animaux de l’Arche ou la fortune d’un mythème dans les albums pour enfants
  • Les enfants de l’arc-en-ciel
  • L’Enfant de Noé d’É.-E. Schmitt : une transposition avouée du mythe
  • Souviens-toi Akeza de R.-M. Bayle : une transdiégétisation de circonstance
  • Variations hypertextuelles de la parabole de l’Enfant prodigue
  • Les raisons spécifiques d’une récriture
  • S’interroger sur les relations familiales
  • Inventorier les motifs d’une fugue
  • Désillusions de l’ailleurs et retour du Prodigue
  • La perte des repères et les manques
  • Réintégrer le monde antérieur ?
  • Un retour du fils conditionné par la présence du père
  • De la « continuation » d’un texte biblique: l’adoration des mages
  • Conte merveilleux, conte religieux
  • Des fées et des saints : un fonds commun du merveilleux occidental
  • La résurgence de la pensée magique pour contrer la montée du matérialisme
  • La version continuée d’un récit évangélique passé dans la Légende dorée
  • Les emprunts de Michel Tournier au fonds judéo-chrétien
  • Tissages et métissages stylistiques et thématiques
  • Libres interprétations tourniériennes
  • Le jeu du travestissement
  • La « légende » du quatrième roi
  • Divertir ou convertir
  • Une version jeune public
  • Contes initiatiques
  • … ou paraboles évangéliques ?
  • Titres de littérature pour la jeunesse auxquels il a été fait référence dans cette partie
  • Annexes
  • L’épopée de Gilgamesh
  • Le Déluge
  • Gen. 7, 1-24
  • Gen. 8, 1-22
  • Gen. 9, 1-17
  • Le fils perdu et le fils fidèle : l’enfant prodigue
  • La visite des mages
  • La dynamique du mythe biblique à l’œuvre dans des ouvrages contemporains pour la jeunesse
  • Préambule
  • De l’inscription du motif biblique au cœur du récit
  • Motif biblique appelé par une thématique ou vice versa
  • Séparation et immersion : des rites de passage obligés de l’enfance vers l’âge adulte
  • Le « mystère » du baptême : une autre forme d’initiation
  • Un parcours de lecture balisé par le choix déterminé de l’hypotexte
  • L’Encre du poulpe de Sylvie Germain et l’épisode biblique du reniement de Pierre
  • « Irradiation » du mythe et leçon du texte
  • L’ange, un adjuvant dont l’intervention n’est pas sans conséquences
  • Une imagerie droit venue du catéchisme et de la littérature populaire
  • Anges gardiens, images pieuses et catéchismes en images
  • Anges ou fées, adjuvants stéréotypés de la littérature populaire
  • Oscar et la dame rose d’Éric-Emmanuel Schmitt ou les combats de l’ange
  • Représenter l’invisible aujourd’hui
  • Mamie Rose, ange de miséricorde
  • L’ange, agent de conversion
  • Écrire des récits « lumineux » à destination des enfants
  • L’ange de Monsieur Chose, un personnage bricolé mais efficace
  • Le Père Noël : avatar de l’ange ?
  • Les anges dans tous leurs états
  • Le Petit Prince de Saint-Exupéry revisité par Joann Sfar : un avatar de l’ange messager
  • « L’ange ne fait pas que nous défendre, il nous illumine »
  • Anges travestis : les animaux passeurs
  • Messies pour notre temps : du renouvellement des mythes anciens à la création de nouveaux mythes
  • La figure du patriarche protecteur de la nature
  • Nouveaux sauveurs du monde : les super-héros virtuels
  • La survie des anciennes figures messianiques
  • Elzéard Bouffier, Moïse du XXe siècle
  • L’enfant sauveur
  • Sur les traces du Petit Poucet
  • Yann, héros de L’Enfant Océan : figure évangélique ou humaniste ?
  • L’ami universel
  • Les aventures de Loupio destinées à un public catholique ?
  • L’amitié et la fraternité : valeurs sûres de la littérature pour la jeunesse confessionnelle ou non
  • Titres de littérature pour la jeunesse auxquels il a été fait référence dans cette partie
  • En guise de conclusion « Arts de faire »
  • « Arts de faire »
  • Transpositions diégétiques tributaires des préoccupations socioculturelles d’une époque
  • Récritures et intentions d’auteurs
  • Prise en compte d’un lectorat spécifique
  • Éléments de bibliographie
  • Dictionnaires consultés :
  • Critique ou théorie littéraire, sciences humaines et philosophie. Éditions consultées :
  • Ouvrages, revues et articles relatifs à la littérature pour la jeunesse. Éditions consultées :
  • Écrits théoriques sur le mythe consultés :

Préface

Jacques AUDINET1

Un premier étonnement surprend le lecteur qui se risque à ouvrir le présent ouvrage de Danièle Henky. C’est l’objet même de celui-ci : « la récriture des mythes bibliques pour la jeunesse ». Jeunesse et Bible, le rapprochement ne va pas de soi. Les deux univers apparaissent étrangers pour ne pas dire opposés l’un à l’autre. Le premier, l’univers de la jeunesse, se veut un monde jeté en avant, tendu vers l’avenir. L’autre, le texte biblique, évoque les temps anciens, un monde du passé désormais disparu. De plain pied avec les nouvelles technologies, la jeunesse représente aujourd’hui la pointe avancée du mouvement de nos sociétés. Sans cesse, elle se trouve sollicitée voire flattée, mobilisée vers un futur fascinant autant qu’énigmatique. C’est d’un même mouvement, l’affrontement de l’inconnu et le rejet des entraves. C’est, en même temps pour les jeunes, l’obsolescence programmée du présent et le rejet de tout ce qui a précédé, sous prétexte d’archaïsme. Qu’auraient-ils donc à faire de textes vieux de plusieurs millénaires ? Leur voyage les porte vers l’avant, non vers les rémanences du passé.

C’est précisément en suivant le fil de ce goût du voyage que Danièle Henky en est venue au travail qu’elle présente aujourd’hui. Ses premiers travaux ont porté sur la fugue, thème éternel depuis Rimbaud, et la quête de l’ailleurs. Son regard perspicace a eu tôt fait de reconnaître dans ce désir d’ailleurs qui dort au fond de chaque être humain, la nostalgie du temps des origines. Ce paradis, désormais perdu et pourtant promis, dont parlent les anciens textes et la Bible en premier. Dès lors, il suffisait de suivre le fil pour voir apparaître la résonance de mille autres thèmes dans ← XI | XII → la littérature pour jeunes aujourd’hui. Tel l’œil inquisiteur du poulpe, dans le roman de Sylvie Germain, qui transparaît à travers la vitre de l’aquarium, mille reflets de la Bible affleurent sous les textes les plus inattendus. Sans même que leurs auteurs en eussent conscience, mais bien souvent aussi explicitement et consciemment, voici que les textes les plus contemporains pour jeunes apparaissent chargés de reflets qui viennent de plus loin, porteurs d’éclats millénaires. En somme, les deux univers étrangers se superposent, se compénètrent bien davantage qu’on aurait pu le soupçonner. C’est tout un champ qui s’offre à l’investigation, celui qu’il faut bien appeler la « récriture des mythes bibliques ».

L’étonnement se poursuit alors de s’apercevoir que les textes contemporains pour jeunes reprennent des thèmes, des intrigues, voire les personnages ou le vocabulaire même de récits bibliques. À travers le choix de son corpus, Danièle Henky nous en propose un inventaire. Il ne s’agit pas de toute la Bible, ni de tous les textes bibliques, mais bien de certains textes qui offrent une résonance particulière avec l’univers contemporain des jeunes. Elle nous les fait découvrir comme en feuilletant les ouvrages pour jeunes, ouvrages d’auteurs connus ou d’auteurs moins connus. Au fil des pages se succèdent, outre le paradis, le déluge, les anges, le héros sauveur, l’enfant perdu, mais aussi la familiarité avec les animaux, la traversée de l’épreuve et le resurgissement, l’attente d’un univers merveilleux. Autant de thèmes inattendus dans les textes contemporains et qui pourtant sont présents, résonnent avec l’aujourd’hui, avivent la curiosité du jeune adolescent, évoquent aussi l’enfance, celle de l’auteur comme celle du lecteur. Ce sont les mêmes thèmes, parfois les mots mêmes, et cependant différents puisque d’aujourd’hui. Ainsi les rois mages de Michel Tournier sont ceux du texte de l’évangile de Matthieu et, cependant, ils sont différents. L’auteur nous conte à leur propos une histoire différente. Pourtant ce sont bien les mages, les mêmes et autres, dans un jeu d’identité et d’altérité qui les rend vivants.

C’est à mettre en évidence un tel jeu que s’emploie Danièle Henky. Pour ce faire, elle se situe d’emblée au degré premier de ce qu’offre la Bible. Avant toute chose, la Bible est texte, écriture, c’est à dire littérature. Elle s’adresse, en l’être humain, à cette capacité d’écoute et d’accueil qui ne consiste pas d’abord à classer et critiquer, mais bien à savourer et à entrer en sympathie. En effet, il est à noter que les textes ← XII | XIII → qui émergent ainsi sont tous des textes qui s’adressent à l’imaginaire de l’homme. C’est pourquoi la catégorie du mythe est ici particulièrement pertinente. Mythe évoque, dans son sens courant, le fantastique, le non actuel, en bref l’irréel. Mais ici, dans le sens précis que lui a restitué la recherche moderne, il est à prendre au contraire comme ce qui manifeste une réalité déterminante de l’être humain, un accès à sa vérité.

Les mythes sont des récits des temps anciens, récits des origines, redits de génération en génération. Ils constituent un ensemble d’histoires, histoires qui furent d’abord racontées avant d’être écrites et qui continuent d’être racontées. Venant du fond des âges, ils s’adressent, en effet, en l’être humain, à ce que la raison et les idées claires ne parviennent pas à appréhender. Ils atteignent l’espace du désir, de la quête, en un mot l’imaginaire qui ouvre au réel profond de l’être humain. Les mythes sont donc des histoires imaginaires, mais porteuses d’un réel d’humanité. À travers images et symboles, ces récits d’autrefois, jamais fixés, nourrissent le présent. Ils font voir un monde autre. En même temps, ils mobilisent les émotions et invitent à vivre autrement. Tel est le paradoxe du mythe. La Bible s’enracine en ce fond commun d’humanité afin de donner forme à son message. Elle y rencontre les grandes attitudes de l’être humain, celle de l’attente, de la rencontre de l’autre, de l’affrontement de la violence. Autant de situations qui se sont dites d’abord en récits, en « histoires racontées » et par lesquelles se sont ouvertes les voies de la quête du paradis, de la reconnaissance de l’autre, de la traversée de violence ou du pardon.

En abordant de tels thèmes, Danièle Henky prend bien soin de marquer la différence avec les questions posées par les études exégétiques ou les interprétations traditionnelles. Il ne s’agit pas d’enseignement, encore moins de norme. Reprenant Barthes, elle rappelle les anciennes catégories, celles du commentaire moral, historique ou spirituel, pour s’en distinguer. De même qu’un détour, bien venu, par les premiers textes pour enfants, textes pédagogiques que furent les catéchismes et les abécédaires, marque parfaitement la différence. S’inspirant notamment de la notion de « mythocritique » de Gilbert Durand, elle surmonte le paradoxe évoqué ci-dessus. Elle nous fait voir comment, dans les textes contemporains pour jeunes, sont repris, transformés et cependant présents les épisodes bibliques. Ils poursuivent leur existence sous des apparences différentes. Ils deviennent littérature. Ainsi, par exemple, des anges. Les ← XIII | XIV → personnages des romans de Éric-Emmanuel Schmitt ne sont pas ces animaux fabuleux gardiens et messagers ailés du Moyen-Orient ancien, mais bien des hommes et des femmes contemporains. Cependant leurs façons d’agir, leur présence et leur rôle sont bien aujourd’hui l’écho de leurs antécédents bibliques, ces messagers chargés de la bienveillance de Dieu.

Il s’agit de récriture, au sens technique des sciences de la littérature. C’est-à-dire, dans un texte, la reprise d’un autre texte. Un texte est prégnant d’un autre texte qui l’a précédé. Il enrichit sa nouveauté des échos de l’ancien. En ce sens, on peut dire que toute écriture est une récriture, comme toute parole est écho d’une autre parole. La Bible n’a pas échappé au phénomène. Elle est elle-même tout au long de ses livres une reprise et une récriture des récits des événements premiers qui lui ont donné naissance. Tout au cours de l’histoire, elle n’a cessé d’être racontée, réinventée en de nouveaux langages, depuis les cantilènes du Moyen Âge jusqu’aux éblouissantes toiles de Chagall. Le concept d’intertextualité, qui intervient alors, permet de rendre compte de cet entrecroisement entre les textes d’aujourd’hui et ceux du passé. Le texte d’aujourd’hui n’est pas une simple redite. Il restitue les thèmes, mais aussi la dynamique, voire même l’atmosphère. Texte neuf, il est celui d’un auteur, souvent écho de sa propre enfance et de ses propres rêves. Cependant aussi et en même temps il fait écho à des textes antérieurs. Et bien plus largement à travers eux, écho à l’immense discours que l’humanité se tient à propos d’elle-même. S’adressant à l’enfant ou à l’adolescent, il le fait entrer dans le mouvement de ce discours, à la fois, rêve et réalité la plus prégnante.

C’est pourquoi, l’on peut à propos d’une telle opération et des textes qui en sont le fruit, parler de palimpseste. Qui dit palimpseste évoque d’antiques parchemins où le texte apparent masque un autre texte plus ancien, sans qu’il y ait nécessairement rapport de l’un à l’autre. Dans le cas présent les deux textes, non seulement sont en rapport mais se fécondent l’un l’autre, se rejoignent dans l’imaginaire du présent, se font entendre avec de nouvelles harmoniques et, plus riches du seul fait de leur mise en relation, se lisent et s’entendent avec une autre ampleur. Ainsi les animaux de la création de Pierre-Marie Beaude sont et ne sont pas ceux de la Bible, mais ceux de la Bible se colorent richement des fulgurantes inventions de l’auteur. Palimpseste si l’on veut donc, mais pa ← XIV | XV → limpseste vivant, de toute la vie du langage, non pas figé comme dans les vieux grimoires ! En découvrant ces textes d’auteurs contemporains destinés à la jeunesse, résonnent alors en nous les histoires millénaires. Le plus ancien rejoint le plus présent. Le plaisir survient de retrouver connecté ce qui est séparé. À la fois le monde d’avant, celui d’autrefois comme celui de l’enfance, et le monde d’après en une vivante circulation.

Tendu entre les deux, le langage du mythe, du récit symbolique, toujours actuel. Le passé et le présent, l’autre et la frontière mystérieuse, les animaux et le cosmos se conjoignent pour dessiner à l’être humain sa place. Enfant et jeune, et au bout du compte tout être humain, émergeant à leur humanité consonnent spontanément avec un tel langage puisqu’il est le langage premier de l’humanité émergeant à elle-même, symboles et images, émotion et désir. Langage aussi des prises de position et des choix d’existence. Moderne Robinson, dans le monde contemporain, le jeune peut aussi bien opter pour le retour à la nature que pour l’exaltation de la technique. Les grands récits des origines, et plus largement les grands textes disent à l’être humain qui il est, et dans le langage non pas de la raison, mais du symbole. Ils sont porteurs pour lui d’une parole qui à la fois l’enchante et le révèle à lui-même. Ils sont en même temps parole personnelle d’un auteur qui s’enracine dans sa propre existence et sa propre histoire. Du coup, le plus personnel et le plus original quelque part fait écho au plus archaïque et au plus collectif. Nous baignons selon Paul Valéry, cité par Danièle Henky, dans un « bruissement de mythes ».

Car la littérature est bien ce lieu privilégié où l’être humain se dit à lui-même, où les êtres humains, d’un lieu et d’un temps, d’une langue surtout, ne cessent de parler afin de se connaître, de se reconnaître, et de construire et transformer leur monde et de le rendre habitable. Littérature, c’est-à-dire opération d’écriture destinée à produire de manière désintéressée des textes faits pour être lus et étant lus, enchanter le lecteur. L’opposé en somme de ce qu’est un enseignement didactique ou éthique. Les inventions qui nourrissent la culture sont donc nouveauté et création, Ainsi récemment, la science-fiction ou la bande dessinée auxquelles Danièle Henky donne place.

C’est là où le travail de celle-ci apporte une contribution décisive à l’intelligence de notre culture. Elle nous permet de saisir sur le vif comment s’élabore et s’enrichit une culture. Notre culture est née de la ren ← XV | XVI → contre du monde grec et de la Bible. Nous sommes les héritiers de l’une et l’autre tradition. Leur rencontre même a suscité le dynamisme qui anime l’Occident. La littérature est un lieu privilégié d’expression d’une telle rencontre. Les récits pour jeunes, les romans et les histoires apparemment anodines qui leur sont destinées, véhiculent bien plus qu’il n’y paraît. Ils rendent présents pour les lecteurs une vision du monde et les grands choix qui construisent une société. Par-là, ils rejoignent les situations fondamentales de l’être humain, ce qui le constitue humain. L’être humain dans le temps et l’espace, en relation avec autrui, confronté à la vie et à la mort, contraint de choisir et responsable de sa destinée. Autant de thèmes anthropologiques que reprennent sans cesse les récits d’autrefois comme les romans contemporains. Histoires que l’on n’a jamais fini de se raconter. Si celles-ci disparaissaient, l’humanité cesserait d’être elle-même. Les écrivains le savent bien.

Chaque culture ici propose ses propres récits et ses propres choix. Les cultures d’ailleurs qui aujourd’hui se mêlent sur toute la Planète, mais aussi nos cultures techniques qui ne cessent d’inventer des personnages nouveaux et d’en offrir l’accès à travers les médias nouveaux. Mais l’étonnant est de s’apercevoir qu’à l’insu même des créateurs les grands thèmes ressurgissent, ceux de la vie et de la mort, du désir du paradis ou du bonheur d’aimer. On comprend dès lors pourquoi littérature de jeunesse et Bible se rejoignent. L’une et l’autre s’enracinent dans le même fond commun de récits, de visions et de rêves.

En employant le mot spiritualité Danièle Henky ne désigne pas autre chose. Celle-ci est pour elle « un ensemble de croyances qui permet d’enchanter le réel » en proposant d’autres possibilités que celles offertes par un monde fini. Mythe, imaginaire et spiritualité ont alors partie liée, nous dit-elle. Les grands récits rejoignent en effet les indéfinies questions de l’être humain dans sa situation d’être limité et mortel. Ils les éclairent et les nourrissent. Ils alimentent l’univers de l’esprit, accomplissement de l’humain. Danièle Henky nous ouvre les yeux sur la manière dont s’effectue un tel travail dans nos cultures. Il se poursuit de la façon la plus inattendue à travers les romans, récits et autres œuvres de littérature pour jeunes. Dans ce domaine précis, grâce à elle, il devient possible de voir comment, en sous-sol de nos sociétés, se poursuit le réenchantement du monde. ← XVI | 1 →

Résumé des informations

Pages
XVI, 271
Année de publication
2014
ISBN (MOBI)
9783035198867
ISBN (ePUB)
9783035198874
ISBN (PDF)
9783035202540
ISBN (Broché)
9783034313506
DOI
10.3726/978-3-0352-0254-0
Langue
français
Date de parution
2014 (Mai)
Mots clés
Littérature française Mythe biblique Texte fondateur Jeunesse
Publié
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 271 p.
Sécurité des produits
Peter Lang Group AG

Notes biographiques

Danièle Henky (Auteur)

Danièle Henky est maître de conférences HDR en langue et littérature françaises à l’Université de Strasbourg. Chercheure intégrée à l’EA « Configurations littéraires » de cette université et chercheure associée à l’Université Laval (Québec), elle consacre ses travaux à la littérature de jeunesse française et francophone des 20e et 21e siècles et à la littérature française de 1950 à nos jours.

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