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L’Écriture dans la dynamique argumentative de 1 Corinthiens 1–4

de Edmond Léonce Vieyra (Auteur)
©2016 Thèses 250 Pages

Résumé

Cette étude met en lumière l’originalité de l’art rhétorique de Paul. Loin de s’assimiler aux orateurs classiques, Paul conserve la vive conscience d’être apôtre du Christ crucifié au service de Dieu pour la fondation et la croissance de la communauté de Corinthe. C’est à raison que sa rhétorique en 1Co 1–4 est redevable au motif de la croix et à l’autorité de l’agir paradoxal de Dieu qu’il assume pour définir la cohérence de son argumentation et en assurer la pertinence. Ceci explique l’intérêt pour les recours scripturaires soigneusement exploités sous le mode de citations, d’allusions et d’échos. Lesdits recours participent de la dynamique inversive et diacritique de son discours afin de distinguer l’identité ecclésiale des Corinthiens de leur statut sociologique.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Remerciements
  • Introduction
  • 1. Objet et origine de la recherche
  • 2. Où en sont les études sur 1Co 1–4?
  • 2.1 Approche «contextuelle» de 1Co 1–4
  • 2.2 Approche «structurelle» de 1Co 1–4
  • 2.2.1 1Co 1–4 et le modèle rhétorique
  • 2.2.2 1Co 1–4 et le modèle rabbinique
  • 2.3 Quelle option d’approche pour notre recherche?
  • 3. Objectif et intérêt de la recherche
  • 4. Option méthodologique et articulations de l’étude
  • — Chapitre I — L’Écriture dans la rhétorique de 1Co 1–4
  • 1. Introduction
  • 2. Unité de 1Co 1–4
  • 2.1 Délimitation et intégrité
  • 2.2 Unité thématique, épistolaire et argumentative
  • 3. Quels référents pour les 1ères plur. en 1Co 1–4?
  • 3.1 Référents des 1ères plur. en 1Co 1,1–17
  • 3.2 Référents des 1ères plur. en 1Co 1,18–2,5
  • 3.3 Référents des 1ères plur. en 1Co 2,6–3,4
  • 3.4 Référents des 1ères plur. en 1Co 3,5–4,21
  • 3.5 État des référents en 1Co 1–4
  • 4. Composition rhétorique de 1Co 1–4
  • 4.1 Quelle propositio pour 1Co 1–4?
  • 4.1.1 Évaluation des arguments en faveur de 1Co 1,17
  • 4.1.2 Validité des arguments en faveur de 1Co 1,18
  • 4.2 1Co 1,10–17 entre narratio et exordium
  • 4.3 Peroratio (1Co 3,18–23)
  • 4.4 Progression rhétorique de 1Co 1,10–4,21
  • 5. Inventio scripturaire de 1Co 1–4
  • 5.1 Comment identifier une citation?
  • 5.1.1 Conflation de Is 29,14b et Ps 32,10 [LXX] en 1Co 1,19
  • 5.1.2 Conflation de Is 19,12a et 33,18b en 1Co 1,20a
  • 5.1.3 Citation de Jr 9,23 (1S 2,10 [LXX]) en 1Co 1,31
  • 5.1.4 Conflation de Is 64,4a[3a]; Jr 39,35b [LXX]; Si 1,10b en 1Co 2,9
  • 5.1.5 Citation de Is 40,13ac en 1Co 2,16a
  • 5.1.6 Citation de Jb 5,13a en 1Co 3,19
  • 5.1.7 Citation de Ps 93,11 [LXX] en 1Co 3,20
  • 5.1.8 Riche recours scripturaires à dominance sapientielle
  • 5.2 Fonction rhétorique des citations
  • 5.2.1 Autorité sapientielle de Dieu (1Co 1,19)
  • 5.2.2 Défi aux garants de la sagesse du siècle (1Co 1,20a)
  • 5.2.3 Mettre son orgueil dans le Seigneur (1Co 1,31)
  • 5.2.4 Mystère de la sagesse de Dieu (1Co 2,9)
  • 5.2.5 Défi sur la connaissance de la pensée du Seigneur (1Co 2,16a)
  • 5.2.6 Agir de Dieu contre les sages (1Co 3,19b)
  • 5.2.7 Vanité des raisonnements des sages (1Co 3,20)
  • 5.2.8 Synthèse sur la fonction des citations
  • 6. Pertinence de l’inventio scripturaire
  • 7. Conclusion
  • — Chapitre II —Fonction de l’Écriture dans la dynamique argumentative de 1Co 1,18–3,4
  • 1. Introduction
  • 2. Comment identifier une allusion scripturaire?
  • 3. Comment identifier un écho scripturaire?
  • 4. Dynamique de l’Écriture dans la dispositio de 1Co 1,18–2,5
  • 4.1 Orientations argumentatives de la propositio (1Co 1,18)
  • 4.2 Progression rhétorique de 1Co 1,19–2,5
  • 4.2.1 Des preuves scripturaires au principe (1Co 1,19–25)
  • 4.2.2 Des preuves à l’exhortation scripturaire (1Co 1,26–31)
  • 4.2.3 Des preuves à la finalité théologique du kérygme (1Co 2,1–5)
  • 4.2.4 Une progression ordonnée à fonder l’agir dynamique de Dieu
  • 4.3 Fonction de l’Écriture dans la concaténation de 1Co 1,19–2,5
  • 4.3.1 L’Écriture dans la dynamique de 1Co 1,19–25
  • 4.3.1.1 Tonalité «subversive» de l’Écriture en 1Co 1,19–20a
  • 4.3.1.2 Indices scripturaires d’inversion en 1Co 1,20b-
  • 4.3.2 L’Écriture dans la dynamique de 1Co 1,26–31
  • 4.3.2.1 Indices scripturaires d’inversion en 1Co 1,26–30
  • 4.3.2.2 Tonalité inversive de 1Co 1,31
  • 4.3.3 Dynamique argumenative de 1Co 1,19–31 au service de 2,1–5
  • 4.3.4 Une dynamique argumentative inversive (1Co 1,18–2,5)
  • 5. Dynamique de l’Écriture dans la dispositio de 1Co 2,6–3,4
  • 5.1 Pourquoi la propositio de 1Co 2,6a?
  • 5.2 Progression rhétorique de 1Co 2,6b–3,4
  • 5.2.1 Preuve sapientielle – preuve scripturaire (1Co 2,6b-9)
  • 5.2.2 Preuve pneumatologique – preuve scripturaire (1Co 2,10–16)
  • 5.2.3 Preuve par les faits: du passé au présent (1Co 3,1–4)
  • 5.2.4 Une progression ordonnée à distinguer la sagesse de Dieu
  • 5.3 Fonction de l’Écriture dans l’enchaînement de 1Co 2,6–3,4
  • 5.3.1 L’Écriture dans la dynamique de 1Co 2,6b-9
  • 5.3.2 L’Écriture dans la dynamique de 1Co 2,10–16
  • 5.3.3 Motif apocalyptique scripturaire en 1Co 2,6–16
  • 5.3.4 Dynamique argumentative de 1Co 2,6–16 au service de 3,1–4
  • 5.3.5 Une dynamique argumentative diacritique (1Co 2,6–3,4)
  • 6. Conclusion
  • — Chapitre III —Dynamique de 1Co 3,5–4,21 à la lumière de 1Co 1,18–3,4
  • 1. Introduction
  • 2. Dynamique de l’Écriture dans la dispositio de 1Co 3,5–17
  • 2.1 Mire ecclésiologique de la propositio (1Co 3,5)
  • 2.2 Progression rhétorique de 1Co 3,6–17
  • 2.2.1 Preuve en métaphores agricoles (1Co 3,6–9)
  • 2.2.2 Preuve en métaphores de la construction (1Co 3,10–17)
  • 2.2.3 Une progression ordonnée à fonder le statut de la communauté
  • 2.3 Fonction de l’Écriture dans la concaténation de 1Co 3,5–17
  • 2.3.1 L’Écriture dans la dynamique de 1Co 3,6–9
  • 2.3.2 L’Écriture dans la dynamique de 1Co 3,10–17
  • 2.3.3 Une dynamique argumentative descriptive (1Co 3,5–17)
  • 2.4 Inversion et diacrisis au service de la dynamique descriptive
  • 3. Dynamique de l’Écriture dans la dispositio de 1Co 3,18–23
  • 3.1 Progression rhétorique de 1Co 3,18–23
  • 3.1.1 De l’exhortation à l’expolitio (1Co 3,18–20)
  • 3.1.2 De l’exhortation aux motivations (1Co 3,21–23)
  • 3.2 Fonction de l’Écriture dans l’articulation de la peroratio
  • 3.3 Convergence de la dynamique de 1Co 1,18–3,17 en 3,18–23
  • 4. Dynamique de l’Écriture dans la dispositio de 1Co 4,1–21
  • 4.1 Focalisation de la propositio 1Co 4,3 sur Paul et la communauté
  • 4.2 Progression rhétorique de 1Co 4,4–21
  • 4.2.1 Preuve à motifs eschatologiques (1Co 4,4–5)
  • 4.2.2 Preuve d’ethos apostolique (1Co 4,6–13)
  • 4.2.3 Preuve sur la démarcation de l’ethos de Paul (1Co 4,14–21)
  • 4.2.4 Une progression spécifiant le rapport Paul versus communauté
  • 4.3 Fonction de l’Écriture dans la concaténation des preuves
  • 4.3.1 L’Écriture dans la dynamique de 1Co 4,1–5
  • 4.3.2 L’Écriture dans la dynamique de 1Co 4,6–13
  • 4.3.3 L’Écriture dans la dynamique de 1Co 4,14–21
  • 4.3.4 Une rhétorique régie par la dynamique de 1Co 1,18–3,4
  • 5. Théologie et christologie aux sources de la rhétorique de Paul
  • 5.1 Progression lexicale de la croix en 1Co 1–4
  • 5.2 Fonction de la croix dans la dynamique de l’argumentation
  • 6. Conclusion
  • Conclusion générale
  • 1. Dynamique de l’agir de Dieu: cohérence de 1Co 1–4
  • 2. Fonction dynamique de l’Écriture dans la rhétorique de 1Co 1–4
  • 3. Autorité de l’Écriture dans la rhétorique de 1Co 1–4
  • 4. Motivations de l’Écriture dans la dynamique argumentative
  • 4.1 Background vétérotestamentaire de la sagesse du monde
  • 4.2 Racines théologiques de la sagesse
  • 4.3 Exemplarité sapientielle de l’agir de Dieu dans la croix
  • 4.4 Légitimité théologique des recours scripturaires
  • 5. Contribution de l’Écriture à l’irréfutabilité de l’argumentation
  • 5.1 Tonalité messianique des recours scripturaires
  • 5.2 Fonction médiatrice et téléologique du Crucifié
  • 5.3 Fonction apocalyptique de l’Esprit
  • 5.4 Validité théologique des emprunts scripturaires
  • 6. Paul, apôtre au profil prophétique en 1Co 1–4
  • 7. Quelle identité pour les destinataires de Paul en 1Co 1–4?
  • Sigles et abréviations
  • 1. Abréviations des livres bibliques cités (Bible de Jérusalem)
  • 2. Abréviations des textes de Qumran et apocryphes
  • 3. Abréviations générales
  • 4. Revues, collections et autres références
  • Bibliographie
  • 1. Instruments
  • 2. Éditions des textes judaïques et gréco-latins classiques
  • 3. Commentaires
  • 4. Études monographiques et articles
  • Index des auteurs
  • Index des références

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Remerciements

Le présent travail est la version corrigée de ma thèse de doctorat défendue le 15 mai 2015 à l’Institut Biblique Pontifical de Rome. C’est le fruit de mes recherches et de la contribution de diverses gens que j’ai rencontrées sur mon parcours d’étudiant. En effet, pendant mes années de formation à l’Institut, j’ai été l’objet de l’attention de nombre de personnes qui méritent d’être associées à la joie de cette publication et d’être remerciées.

À ce propos, je voudrais, avant tout, rendre grâces à Dieu et à la Vierge Marie pour leur constante assistance dans ma quête exégétique. J’estime que, sans la lumière de Celui qui a inspiré les auteurs sacrés, l’exégète ne peut appréhender le message des Écritures conformément à l’intention de ses auteurs. Voilà pourquoi, il est juste de commencer mes remerciements par une action de grâces à l’instar de l’apôtre Paul dans ses lettres.

À son Excellence Monseigneur Fidèle Agbatchi, archevêque émérite de Parakou, qui m’a envoyé aux études et a eu le courage de m’autoriser à entreprendre les recherches doctorales, je dis ma vive reconnaissance pour sa confiance et sa générosité. À son successeur, son Excellence Monseigneur Pascal N’Koue, j’exprime ma filiale gratitude pour sa patience, sa compréhension, ses encouragements et sa promptitude à répondre à mes exigences académiques.

Je suis particulièrement redevable au Professeur Pietro Bovati SJ qui, alors Doyen de l’Institut, voyant mon désarroi de ne pouvoir trouver un directeur de thèse, m’offrit l’opportunité de prendre contact avec le Professeur Pasquale Basta que je ne connaissais que par ouï-dire. Sans hésiter, celui-ci répondit favorablement à ma requête et m’accompagna avec détermination. À lui ma profonde gratitude pour sa disponibilité et ses enseignements. Il reste pour moi un maître aussi exigeant que plein de délicatesses. Je garde un heureux souvenir des principes appris à son école: respect de l’Écriture et de ses auteurs sacrés, précision exégétique, concision du discours, clarté du langage, cohérence de l’argumentation et courtoisie envers les exégètes dont on ne partage pas le point de vue. Il demeure pour moi un exemple de directeur de thèse plein de sagesse et d’humanité.

Je remercie le Professeur Juan Manuel Granados Rojas SJ, le superviseur de la thèse. Celle-ci n’aurait pas été riche et affinée sans ses précieux conseils d’ordre philologique. Il fut pour moi, ce que Gamaliel fut pour Paul. C’est, en effet, à ses pieds que j’ai été initié à la rhétorique des lettres pauliniennes avec une rigoureuse attention à la syntaxe. Je lui suis grandement reconnaissant pour m’avoir transmis sa fine sensibilité à la philologie. ← 11 | 12 →

Au Professeur Jean-Noël Aletti SJ, troisième lecteur de la dissertation, mes remerciements pour l’initiation à l’ecclésiologie de Paul et pour ses écrits qui m’ont été d’une grande utilité. Ses précieuses observations de maître en exégèse paulinienne m’ont aidé à apporter quelques retouches significatives à la version finale de ce travail. Mes remerciements vont aussi à l’endroit du Professeur Luca Pedroli, quatrième lecteur, pour ses suggestions à l’amélioration de l’aspect formel de la thèse.

Je remercie tous les membres de l’Institut Biblique, notamment le Recteur Michael Kolarcik, le Secrétaire Carlo Valentino, les professeurs, les bibliothécaires et autres employés qui, dans la simplicité et avec compétence se dévouent au service de tous pour faciliter et encourager les recherches bibliques. Je voudrais aussi dire ma reconnaissance aux institutions qui m’ont offert un cadre adéquat pendant mes années d’études: le Collège Saint Pierre, la Paroisse Notre Dame de Fatima, le Généralat de la Société des Missions Africaines, tous à Rome. Je les remercie pour leur généreux accueil et les amitiés nouées. Je suis spécialement redevable au Père Pierre Trichet SMA qui a corrigé le manuscrit avec acribie.

Je remercie toutes les familles amies en Italie pour leur hospitalité et leur amitié. Parmi celles-ci, je fais mention des familles Costantino de Rocca di Cave, Saginario de Pietrelcina, Gandolfi de San Giovanni Rotondo, Frontino de Margherita, Panna de San Donaci. Je remercie affectueusement ma mère, mes frères, mes sœurs et autres parents qui, pendant mon cursus de recherches, m’ont soutenu de maintes manières. Enfin, je dédie le présent travail à la mémoire de mon feu-père Calixte Emmanuel Vieyra de qui j’ai beaucoup reçu et qui m’a transmis la passion pour la Parole de Dieu. Je lui suis filialement reconnaissant.

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Introduction

1. Objet et origine de la recherche

La présence des Écritures dans le NT suscite chez bien des exégètes nombre d’interrogations justifiant leur intérêt croissant pour ce champ de recherche. Un regain pour cette problématique est frappant vers la fin du XXème siècle et le début du XXIème, époques particulièrement sensibles à l’héritage vétérotestamentaire assumé par les auteurs néotestamentaires1. Ladite problématique connaît une bibliographie florissante notamment sur le corpus paulinien2. En général, les études prennent une orientation théologique, historique, littéraire ou rhétorique3. C’est dans cette dernière perspective que s’inscrit l’objet de notre recherche: l’Écriture dans la dynamique argumentative de Paul en 1Co 1–4. Le terme «dynamique» s’inspire du substantif δναμις particulièrement récurrent dans la péricope: six occurrences (1Co 1,18.24; 2,4.5; 4,19.20) contre neuf dans le reste de la lettre (1Co 5,4; 6,14; 12,10.28.29; 14,11; 15,24.43.56). Nous entendons par ce terme la force motrice de l’argumentation. Il s’agit précisément d’apprécier la significative contribution de l’Écriture à l’orientation et à la cohérence de l’argumentation.

L’idée de cette recherche résulte d’une réflexion sur la tendance actuelle des études rhétoriques. Tandis que la dispositio et l’elocutio du corpus paulinien fascinent nombre d’auteurs, l’analyse de l’inventio reste encore à approfondir4. Quelles ← 13 | 14 → sont les sources d’arguments de l’apôtre? Qu’est-ce qui détermine ses choix et en définit l’originalité? Quels arguments privilégie-t-il? Pourquoi recourt-il à une inventio scripturaire en 1Co 1–4? Quelle contribution l’exploration d’une telle inventio offre-t-elle à l’exégèse de la péricope? Plusieurs exégètes ont certes étudié les recours scripturaires de Paul5 mais rares sont ceux qui s’intéressent à leur fonction tant au niveau de l’inventio, de la dispositio que de l’elocutio6. Leur participation à la dynamique argumentative, passée sous silence, reste un espace inexploré. Pourtant, en 1Co 1–4, si l’argumentation est irréfutablement rhétorique, elle se distingue par sa note scripturaire. Appréhender la péricope à partir de ses ressources rhétoriques et scripturaires ne peut donc qu’illuminer davantage sur sa cohérence. La nécessité d’une telle recherche émerge clairement à la lumière du status quaestionis qui met en évidence le maigre intérêt des exégètes pour l’analyse rhétorico-scripturaire de 1Co 1–4.

2. Où en sont les études sur 1Co 1–4?

Parmi les monographies7 et articles8 que 1Co 1–4 a suscités, peu nombreuses sont les publications récentes consacrées à l’étude de la présence des Écritures dans ← 14 | 15 → son argumentation9. La remarquable diversité des productions dont la péricope a été l’objet se justifie surtout par sa richesse littéraire explorée selon différents axes d’analyse tandis que la pluralité d’approches auxquelles elle est soumise témoigne éloquemment de sa délicatesse. Loin d’être un handicap, cette variété de perspectives – divisées en approche «contextuelle» et approche «structurelle»10 – est un atout appréciable pour l’intelligence du texte. Mais, dans quelle mesure prennent-elles en compte sa composition et ses recours vétérotestamentaires?

2.1 Approche «contextuelle» de 1Co 1–4

Elle s’intéresse aux motivations doctrinales et socio-historiques de la situation à Corinthe. Étant donné que depuis quelques décennies le débat sur les motivations doctrinales connaît un déclin, notre status quaestionis ne s’y attardera pas. Il fut alimenté par deux théories:

1) La Reconstruction historique de BAUR qui fait une analyse des divisions à Corinthe à la lumière de celles qui minaient l’Église au début du christianisme11. ← 15 | 16 → Cette hypothèse, défendue par l’École de Tübingen et quelques auteurs modernes12, est taxée d’inspiration hégélienne.

2) La Religiongeschichtliche Schule dont l’objectif est la compréhension de la première chrétienté à partir du contexte religieux juif et helléniste. S’inscrit dans cette ligne l’étude de l’incidence de la gnose sur les Corinthiens13. Mais, cette hypothèse est contestée surtout en raison des erreurs dues à un anachronisme14. Pour échapper à cette critique, d’aucuns parlent plutôt de la possibilité d’un proto-gnosticisme. Contre ces derniers, MIHAILA déclare: «Even a proto-gnostic hypothesis is improbable in light of fact that the terms are used in a non-technical way by Paul»15. En dépit des critiques, ladite hypothèse reste encore tenace dans certains esprits. À la différence de ceux-ci, d’autres appréhendent le problème des Corinthiens à la lumière de PHILON D’ALEXANDRIE16. Mais, cette considération est aussi discutée.

Les critiques les plus acerbes contre la quête des motivations doctrinales proviennent principalement des tenants de l’approche socio-historique qui interprètent le texte ← 16 | 17 → à partir de son contexte historique. L’approche a recours aux textes extra-bibliques pour expliquer l’interaction entre les chrétiens et le monde de leur temps. Partant de ces données, elle procède à une étude comparée dans le but de circonscrire le lieu de naissance du langage théologique et de la pensée chrétienne primitive, de décrire la position des chrétiens au sein de la structure sociale17. L’application de l’approche à 1Co est caractérisée par quatre tendances: sociologique, socio-politique, socio-culturelle, socio-rhétorique.

1) La tendance sociologique offre une vision variée du problème. Pour THEISSEN, MEEKS et LAST, la stratification et l’organisation internes de la société illuminent la situation des Corinthiens18; pour MARSHALL, le nœud du problème est l’inimitié des βριστα contre Paul19; pour d’autres encore, la notion de patronage20, l’attachement à l’honneur21, la question du leadership22 en constituent les clefs herméneutiques. Mais, ces contributions ne répondent pas avec précision à la ← 17 | 18 → problématique de 1Co 1–4, étant donné que le champ de leurs recherches s’étend à toute la lettre.

2) Pour gagner en précision, la tendance socio-politique s’intéresse aux indices d’un discours politique en 1Co 1–4. À ce propos, WELBORN découvre que le langage de Paul a la coloration d’un discours délibératif23; d’autres signalent les tentatives pauliniennes de renverser les structures impériales pour les substituer par l’autorité du Christ au moyen d’une rhétorique apocalyptique24; les féministes soulignent la portée socio-politique de l’autorité de Paul sur la communauté25; BITNER met en lumière la stratégie politique de l’apôtre dans la péricope26.

3) Pour sa part, la tendance socio-culturelle démontre que la conduite des Corinthiens est motivée par l’influence de divers courants philosophiques régnant à Corinthe27.

4) Considérant que philosophie et rhétorique entretenaient dans l’Antiquité une étroite relation28, et vu que l’une des caractéristiques notoires de la ← 18 | 19 → société gréco-romaine est la fascination pour la rhétorique, la perspective socio-rhétorique29 du problème ne peut être éludée.

Somme toute, l’approche socio-historique exploite les nouvelles méthodes des sciences sociales introduisant ainsi l’exégèse dans le champ de l’interdisciplinarité. Dans le cadre de l’étude de 1Co 1–4, son objectif est d’appréhender la situation historique du problème des Corinthiens à la lumière de l’analyse du contexte gréco-romain. L’approche reste néanmoins limitée car l’image qu’elle présente du contexte social n’est que le fruit d’une reconstruction qui sera toujours approximative des faits dans la complexité de leur réalité historique30. Son exégèse est encline à écrémer le texte qu’elle n’étudie pas dans son intégralité mais seulement dans les aspects qui fondent ses hypothèses. Elle s’en tient à des indices épars qui ne définissent pas forcément une chaîne cohérente et pertinente. Elle nous renseigne plus sur le monde gréco-romain que sur le texte. Le contexte socio-historique n’explique pas l’argumentation de Paul mais il offre à l’exégète des renseignements utiles pour en approfondir l’étude. Il est donc logique que l’approche ne soit pas attentive à la présence de l’Écriture en 1Co 1–4. Cela est du ressort de l’approche «structurelle» qui met en valeur la composition du texte et rend justice au rôle de l’Écriture dans la dynamique de l’argumentation.

2.2 Approche «structurelle» de 1Co 1–4

Contrairement à l’approche «contextuelle» qui apprécie le problème de la péricope à partir du point de vue des Corinthiens en analysant les apports socio-historiques à l’approfondissement de la situation de la communauté, l’approche «structurelle» analyse le texte à partir du point de vue de Paul. L’enjeu est d’appréhender l’objectif de l’apôtre à travers la progression des micro-unités dont la disposition, à la lumière de modèles bibliques et extra-bibliques, contribue à définir l’articulation du texte. À ce sujet, selon bien des auteurs, 1Co 1–4 se prête aux modèles rhétorique et rabbinique attentifs à la présence de l’Écriture dans l’argumentation. ← 19 | 20 →

2.2.1 1Co 1–4 et le modèle rhétorique

L’approche rhétorique étudie la composition de la lettre pour identifier la fonction des arguments, l’objectif de Paul, le sentiment qu’il suscite dans ses destinataires, les valeurs qu’il leur communique. Généralement, la dispositio est appréciée sur la base d’études comparatives avec les œuvres rhétoriques classiques. La tendance est de calquer le texte sur un modèle rhétorique. Il est, en effet, impressionnant que 1Co appartienne à la fois aux genres judiciaire31, délibératif32, épidictique33.

Selon quelques auteurs, la rhétorique de 1Co et notamment de 1Co 1–4 présente les caractéristiques d’une apologie34. Ils estiment que le discours de Paul est motivé par la défense de son autorité apostolique, la défense de son évangile ou encore la défense contre le jugement des Corinthiens sur sa personne. Le motif d’apologie conduit alors à identifier des présumés adversaires de l’apôtre. Cette identification suscite divergences parmi les exégètes. Pour les uns, Céphas35 est le facteur de troubles, pour d’autres, Apollos36. Dominante est cette seconde option. Elle sera réexaminée par MIHAILA qui ne voit pas en Apollos un adversaire de ← 20 | 21 → Paul d’autant plus que la section ne pose pas un problème de conflits. Il est plutôt question de préférence37. En conséquence, la problématique de l’autorité apostolique de Paul en 1Co 1–4 est impertinente. Le confirment les analyses D’ALETTI. Pour affirmer son autorité, Paul recourt aux vocables ξουσα, πακοω, πακο, παρακο. La thématique de l’autorité exige quatre composantes indissociables: l’appel, la qualification, la performance et ses modalités38. En 1Co 1–4, ces critères ne se vérifient point. On peut à la rigueur admettre qu’en tant qu’apôtre, fondateur de communautés (1Co 4,14–15), Paul a le devoir et le droit de donner des règles (4,17), des directives et des sanctions (4,19–21)39. Mais, on ne peut en déduire que la péricope pose un problème d’autorité apostolique pour motiver une apologie.

En dehors des tenants du genre judiciaire, d’autres optent pour le genre délibératif40. L’illustre défenseuse de ce genre est MITCHELL qui fonde ses arguments sur les similitudes de 1Co avec la rhétorique politique classique. Si de nombreux auteurs lui ont emboîté le pas, rares sont ceux qui se sont penchés de façon claire sur l’étude du genre délibératif de 1Co 1–4. La section étant assumée dans l’analyse de la lettre, ce genre lui est appliqué par voie de conséquence. Mais, MITCHELL souligne qu’en dehors des termes et topoi politiques, 1Co 1,18–4,21 présente des indices du genre épidictique41. Cette remarque sera approuvée par ceux qui identifient le genre épidictique en 1Co 1–4.

C’est le genre qui a le moins fait école42. Le profil épidictique de la lettre avait été déjà signalé par WUELLNER. Mais, la première à avoir apprécié les éléments de ← 21 | 22 → ce genre rhétorique en 1Co 3–4 fut MITCHELL43. À la différence de celle-ci, SMIT attribue ce genre à toute la péricope. Il démontre que 1Co 1,18–31; 2,6–16; 3,5–23; 4,6–13 sont des encomia (éloges) respectivement paradoxal, honorable, ambivalent, déshonorable. À ces indices, s’ajoutent la présence de synkrisis et du style recherché qui illustrent le profil épidictique. L’argumentation et la forme littéraire du texte sont au service de l’ethos de Paul44. Mais, si 1Co 1,10–4,21 est orienté vers la restauration de l’image de l’apôtre, n’est-il pas apologétique45? De toute façon, que la péricope réponde aux trois genres rhétoriques ne fait qu’attester sa complexité confirmée par l’option de certains pour le genre mixte46. Mieux, la diversité du genre mixte démontre la difficulté évidente d’attribuer un genre à la section.

En somme, pour définir la rhétorique de Paul, la tendance est d’identifier le genre rhétorique de la péricope à la lumière des traités et manuels rhétoriques. Or, ce qui détermine objectivement ce genre, c’est la fonction de l’argumentation dans son contexte général, une fonction dérivant de l’ordonnancement des micro-unités. C’est dire qu’une analyse minutieuse de la dispositio est préalablement requise. Une telle analyse ne peut ignorer l’enjeu des recours scripturaires dans la progression de l’argumentation. Pourtant, malgré l’évidence de ces recours en 1Co 1–4, peu nombreux sont ceux qui les ont étudiés dans la perspective rhétorique47. Ils seront, en revanche, pris en considération par ceux qui procèdent à une lecture rabbinique de la péricope. ← 22 | 23 →

2.2.2 1Co 1–4 et le modèle rabbinique

WUELLNER48 note que le modèle de 1Co 1,19–3,20 figure dans quelques œuvres rabbiniques où le texte scripturaire est complété par un second texte et suivi d’un commentaire et d’une citation conclusive. S’inscrivant dans la même ligne, ELLIS49 dispose 1Co 1,18–3,23 comme suit:

1Co 1,18–31: midrash.

Résumé des informations

Pages
250
Année de publication
2016
ISBN (ePUB)
9783631692875
ISBN (MOBI)
9783631692882
ISBN (PDF)
9783653070392
ISBN (Relié)
9783631676479
DOI
10.3726/978-3-653-07039-2
Langue
français
Date de parution
2016 (Août)
Mots clés
Paul communauté de Corinthe croix recours scripturaires identité ecclésiale statut sociologique
Publié
Frankfurt am Main, Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Wien, 2016. 250 p., 45 tabl. n/b
Sécurité des produits
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Notes biographiques

Edmond Léonce Vieyra (Auteur)

Edmond Léonce Vieyra est prêtre de l’archidiocèse de Parakou au Bénin. Il fit ses études de philosophie et de théologie au Séminaire Saint Gall de Ouidah et enseigna la philosophie au Séminaire de Parakou avant de se spécialiser en exégèse biblique à l’Institut Pontifical Biblique de Rome.

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Titre: L’Écriture dans la dynamique argumentative de 1 Corinthiens 1–4