Confrontations au national-socialisme dans l'Europe francophone et germanophone (1919-1949) / Auseinandersetzungen mit dem Nationalsozialismus im deutsch- und französischsprachigen Europa (1919-1949)
Volume 4: Conservateurs, nationalistes, anciens nationaux-socialistes/Band 4: Konservative, Nationalisten, ehemalige Nationalsozialisten
Résumé
Wie werden Ideologie, Etablierung und Herrschaft des Nationalsozialismus in den deutsch- und französischsprachigen Räumen Europas vom Beginn der 1920er bis zum Ende der 1940er Jahre wahrgenommen, bewertet und erklärt? In sechs systematisch angelegten Bänden, der erste erschien 2017, werden diese Fragen anhand einer exemplarischen Auswahl von Büchern, Zeitungen und Zeitschriften ebenso untersucht wie die unterschiedlichen Deutungen des Nationalsozialismus in seiner Epoche und den unmittelbaren Jahren nach seinem Ende. Im Zentrum des vierten Bandes stehen Christliche Demokraten, Nationalkonservative, Nationalisten unterschiedlicher Couleur sowie ehemalige Nationalsozialisten. Die Beiträge sind den verschiedenen Interpretationen des Nationalsozialismus in diesem weiten politischen Spektrum gewidmet, insbesondere auch aus der Perspektive repräsentativer Zeitschriften dieser weltanschaulichen Segmente.
Extrait
Table des matières
- Cover
- Title Page
- Copyright Page
- À propos de l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Plan de l’ouvrage
- Introduction / Einleitung
- Les droites face au national-socialisme (Michel Grunewald, Olivier Dard, Uwe Puschner)
- Die Rechte und der Nationalsozialismus (Michel Grunewald, Olivier Dard, Uwe Puschner)
- Chrétiens-démocrates / Christliche Demokraten
- Hitler gegen Christus? (Claudius KieneBerlin)
- Le journal démocrate-chrétien L’aube et le nazisme (Hélène BoivinSorbonne-Université)
- Hommes de droite et nationalistes français / Französische Nationalkonservative und Nationalisten
- Gustave Hervé face au nationalisme allemand et au national-socialisme (Corine DefranceCNRS, UMR 8138 Sirice & Labex EHNE, Paris)
- Jérôme et Jean Tharaud reporters, l’antisémitisme et l’Allemagne nazie (Michel LeymarieUniversité Lille-Charles de Gaulle)
- Henri de Kerillis (Daniel AzuélosProfesseur émérite à l’Université de Picardie Jules Verne)
- Les récits de voyage de Xavier de Hauteclocque en Allemagne nazie ou: les périls du reportage politique (Martyn CornickUniversité de Birmingham)
- L’Action française et le national-socialisme (1923–1944)1 (Michel GrunewaldUniversité de Lorraine, CEGIL, Metz)
- Lucien Rebatet et le national-socialisme (Olivier DardSorbonne-Université, Labex EHNE)
- Olier Mordrel, une des voies du national-socialisme en Bretagne (Sébastien CarneyCentre de recherche bretonne et celtique, Université de Brest)
- «Révolutionnaires conservateurs» et anciens nationaux-socialistes / «Konservative Revolutionäre» und ehemalige Nationalsozialisten
- Programmatische Deutungen und politische Auseinandersetzungen Alldeutscher Verband und NSDAP 1919–1932 (Björn HofmeisterFreie Universität Berlin)
- Nation und Sozialismus (Ernst PiperUniversität Potsdam)
- Die jungkonservative «Ring-Bewegung» und die Nationalsozialisten (1923–1934) (Michel GrunewaldUniversité de Lorraine, CEGIL, Metz)
- Ernst Forsthoffs Der totale Staat und der Nationalsozialismus (Bernd ZielinskiUniversité Paris Nanterre)
- Ernst Niekisch: Hitler, ein deutsches Verhängnis (Berlin 1932) (Martin FinkenbergerFreie Universität Berlin)
- «Referat Volksbewegung» und «letzte große Welle des Liberalismus» (Volker WeißHamburg)
- Verbündete, Rivalen oder Gegner? (Cornelius LehnguthBerlin)
- Vom Revolutionär zum Reaktionär? (Helmut K. StraussFreie Universität Berlin)
- Der Höhepunkt des Nihilismus? (Jörg EchternkampZMSBw Potsdam / Martin-Luther-Universität Halle-Wittenberg)
- «Unsere Zustimmung kann immer nur eine verklausulirte sein» (Sven FritzFreie Universität Berlin)
- «Das Schicksal Deutschlands» (Stefan NoackFreie Universität Berlin)
- Epilogue / Epilog
- Des acteurs de la collaboration confrontés à leur passé après la Deuxième Guerre mondiale (Fritz TaubertUniversité de Bourgogne, Dijon)
- Index/Register
- Titres de la collection
Les droites face au national-socialisme
Michel Grunewald, Olivier Dard, Uwe Puschner
Le présent volume est le quatrième de la série «Confrontations au national-socialisme dans l’Europe francophone et germanophone (1919–1949)», inaugurée en 2017 et conçue sous la forme de six volumes1 destinés à éclairer les perceptions du national-socialisme et du Troisième Reich dans les deux aires concernées, de l’émergence du NSDAP jusqu’aux années qui suivirent l’effondrement du régime hitlérien. Après l’ouvrage inaugural centré sur les savoirs relatifs au nazisme puis ceux qui ont successivement étudié l’attitude des libéraux et modérés, et celle des gauches face au phénomène national-socialiste, celui-ci envisage la manière dont les droites ont perçu le parti et le système incarnés par Hitler.
On sait depuis les travaux de René Rémond et la dernière synthèse de Gilles Richard2 à quel point les droites françaises ont constitué dès la fin du XIXe siècle une nébuleuse au sein de laquelle on rencontre non seulement des libéraux, des bonapartistes, des conservateurs, des nationalistes/patriotes, des sympathisants du fascisme, mais aussi des monarchistes et des démocrates-chrétiens, sans oublier des personnalités très difficilement classables.
De leur côté, les droites allemandes ont également été très fractionnées au niveau du Reich pendant la première moitié du XXe siècle. Parmi leurs tendances les plus visibles, on mentionnera les nationaux-libéraux, les démocrates-chrétiens, les conservateurs traditionnels, monarchistes ou non, les tenants d’un nationalisme culturel et aussi des cercles de sensibilité variée qu’Armin Mohler3 a désignés sous le vocable «révolution conservatrice», sans oublier les nationaux-socialistes ni un certain nombre de dissidents du NSDAP.
Ce sont ces milieux d’une grande diversité qui sont au centre du présent ouvrage qui – comme les précédents – s’intéresse à des figures individuelles, à des ←13 | 14→groupes et à des organes de presse représentatifs des diverses franges des droites françaises et allemandes. A travers ces études de cas sont présentés aussi bien des adversaires que des sympathisants du national-socialisme, tout en tenant compte des césures constituées en particulier par l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933 et la défaite de la France en 1940. 1933 a concerné au premier chef les forces intellectuelles et politiques des droites allemandes qui se sont trouvées devant un choix triple: l’opposition à Hitler, le silence ou l’adhésion à son régime. L’avènement d’Hitler a été également générateur de «reclassements» au sein des droites françaises en rebattant les cartes de leurs rapports à la guerre et à la paix, mais en France c’est surtout le désastre de 1940 qui s’est révélé décisif, conduisant des représentants des droites à soutenir le régime de Vichy, voire à choisir la voie du «collaborationnisme» et à faire acte d’allégeance au national-socialisme, alors que d’autres rejoignaient les rangs de la Résistance intérieure ou ceux de la France libre.
Les 21 contributions réunies dans le présent volume sont regroupées de manière à refléter la diversité des acteurs ou des groupes évoqués ci-dessus et la difficulté de les classer dans des rubriques aux contours très nets. En découle le choix d’une organisation en trois parties qui rendent compte de certaines convergences, mais surtout de la diversité des droites dans les deux aires concernées. La première partie regroupe des contributions relatives à des chrétiens-démocrates et montre ce qui unissait ceux-ci des deux côtés du Rhin dans leur perception du national-socialisme. La seconde partie est consacrée aux droites françaises et s’intéresse à l’attitude adoptée face au nazisme par des nationalistes souvent antisémites, des représentants d’un patriotisme traditionnel, les monarchistes de l’Action française, y compris un dissident de ce mouvement passé au nazisme, sans oublier le cas des nationalistes bretons. La troisième partie est centrée sur les relations des droites allemandes avec Hitler et son mouvement; les contributions analysent successivement le cas des pangermanistes, le rôle de précurseur joué par Spengler dans la définition d’un socialisme national, puis s’intéressent aux «jeunes conservateurs», de même qu’aux «nationaux-révolutionnaires», sans oublier les «austrofascistes», les nationaux-socialistes dissidents et enfin les représentants d’un «nationalisme culturel». L’ensemble se conclut par une évocation des mémoires et écrits produits après 1945 par des acteurs allemands de l’Occupation et d’anciens partisans français de la Collaboration.
Les acteurs de sensibilité démocrate-chrétienne présentés en ouverture du volume sont certes différents, mais leur perception du national-socialisme et leurs réactions face à ce mouvement révèlent une réelle communauté de points de vue.
Militant du Zentrum, Carl Spieker (1888–1953) fut dès le départ un républicain engagé. Ceci le conduisit au début des années 1930 à marquer très clairement sa réprobation de la politique de son passé quand celui-ci accepta de discuter avec les nazis en vue de la constitution d’une éventuelle coalition. Spieker prit le chemin de l’exil dès 1933 et continua depuis Paris son combat, créant notamment en 1937 la Deutsche Freiheitspartei, qui regroupait des opposants de droite modérée et des démocrates-chrétiens. Le livre qu’il publia en 1936, Hitler ←14 | 15→contre le Christ – une clarification et une réfutation catholique, était une charge contre le national-socialisme adossé aux principes fondamentaux du catholicisme et dont les cibles essentielles étaient l’antisémitisme et la politique de la famille des autorités du Troisième Reich.
Journal de la démocratie-chrétienne française, L’aube (1932–1940) était à l’origine favorable à la conciliation avec l’Allemagne, notamment au sujet des réparations. Cette attitude d’ouverture, le quotidien l’abandonna dès l’arrivée au pouvoir d’Hitler, dont il avait dénoncé les orientations politiques dès ses premiers numéros. Désireux dès le départ d’informer ses lecteurs sur les fondements de l’idéologie dont Hitler était le porteur, antisémitisme compris, L’aube balaya toute idée de compromis avec le national-socialisme, au motif qu’il serait opposé au communisme. Engagé dans le combat antinazi dès le départ, le journal n’en refusa pas moins de s’intégrer à un front antifasciste. Sa dénonciation des persécutions lancées contre les catholiques outre-Rhin ne l’empêcha pas d’être critique envers certains chefs de file du Zentrumet une partie des dignitaires protestants allemands. Dès le début de la guerre d’Ethiopie, le quotidien exhorta les responsables français à la plus grande fermeté face aux dictateurs. En 1938, il condamna l’option des évêques autrichiens pour l’Anschluss et prit clairement position contre l’accord de Munich. L’aube cessa de paraître au lendemain de l’armistice de juin 1940.
Les droites conservatrice, nationaliste et radicale françaises comptaient dans leurs rangs aussi bien des germanophiles que des patriotes intransigeants, des adversaires du national-socialisme, mais aussi des hommes qui n’étaient pas insensibles à l’expérience qui se déroulait en Allemagne depuis le 30 janvier 1933. Cette diversité se retrouve à tous égards au niveau des prises de position des uns comme des autres face à Hitler et ses partisans ainsi qu’envers son régime.
Ancien socialiste antimilitariste devenu «socialiste national», Gustave Hervé (1871–1944) connut un itinéraire assez chaotique. Son attitude à l’égard de l’Allemagne fut également sujette à des variations significatives. Favorable à une révision du traité de Versailles et à une réconciliation franco-allemande aux contours très flous, il considéra Hitler dès 1931 comme l’homme qui était le plus apte à relever l’Allemagne. Adversaire de la politique de Locarno, Hervé estimait que la paix en Europe ne pourrait être garantie que par une vaste alliance antisoviétique conditionnée selon lui à un rapprochement avec les nationalistes allemands et à la constitution d’une «internationale nationaliste», dont le NSDAP serait partie prenante. Malgré cette option, Hervé ne fut pas un sympathisant du national-socialisme: tout en plaidant pour une entente avec Hitler, il désapprouvait l’antisémitisme qui avait cours en Allemagne depuis 1933. Il accepta l’accord de Munich, mais, quelques semaines plus tard, il condamna les pogroms qui eurent lieu en Allemagne. Les sympathies qu’il éprouvait pour Pétain ne l’empêchèrent pas de prendre ses distances envers le régime de Vichy et les occupants en raison de l’antisémitisme affiché par les nazis et l’Etat français.
Jérôme (1874–1953) et Jean (1877–1952) Tharaud étaient antisémites, mais, tout en ne refusant pas le système national-socialiste en tant que tel, ils prirent leurs distances envers le Troisième Reich. Proches de Maurice Barrès, les deux ←15 | 16→frères furent partisans en 1919 d’une ligne dure à l’égard du Reich. Journalistes connus, ils effectuèrent de longs séjours outre-Rhin au cours des années 1930. Ils n’avaient pas de sympathies pour Hitler, mais considérant le «juif» comme un danger pour toutes les nations, ils minimisèrent les exactions des nazis contre leurs compatriotes juifs et estimaient que ceux-ci occupaient en Allemagne une place «excessive». Leur souhait était que le régime national-socialiste accomplisse une véritable révolution propre à transformer l’antisémitisme en une «action pacifique et légale». Inquiets à la fois de l’expansionnisme allemand et du péril bolchevique, les Tharaud avaient trois ennemis: les juifs, le communisme et l’Allemagne. Opposés à la collaboration et à sa traduction politique, pendant la Seconde Guerre mondiale, ils s’abstinrent de toute prise de position antisémite.
Figure singulière de la droite, Henri de Kerillis (1889–1958), avait été au début des années 1930 directeur politique de L’Echo de Paris, puis était devenu ensuite co-directeur de l’Epoque. Elu député en 1936, il fit partie du groupe des «indépendants républicains» présidé par Georges Mandel. Il ambitionnait de rassembler les républicains de droite afin de s’opposer à la gauche rassemblée autour de l’idée de Front populaire. Il n’y réussit pas et demeura dans le paysage politique hexagonal un franc-tireur. Se voulant avant tout un patriote français, il était un adversaire déterminé des nationaux-socialistes et des communistes auxquels il reprochait de faire prospérer de véritables religions politiques destinées à mettre à mal la civilisation européenne. Dans la conjoncture des années 1930, il estimait que la priorité essentielle était le combat contre Hitler plus dangereux pour la paix à son avis que Staline. Ceci le conduisit à militer pour une alliance avec les Soviets. Seul député de droite à avoir voté en 1938 contre l’accord de Munich, il rejoignit Charles de Gaulle à Londres, mais prit rapidement le chemin de NewYork où il écrivit dans le journal Pour la victoire. Gaulliste à l’origine, il marqua sa distance croissante avec l’homme du 18 juin au point de publier en 1945 un célèbre De Gaulle dictateur.
Xavier de Hauteclocque (1897–1935) appartenait également à la droite patriote. Engagé volontaire en 1917, devenu journaliste après la guerre, on lui doit notamment quatre livres sur l’Allemagne publiés entre 1932 et 1935, issus essentiellement des reportages qu’il avait publiés dans Gringoire. Très bien informé, il dénonçait le nationalisme belliqueux des nazis et leur collusion avec les Junker, les pratiques répressives liées à la Gleichschaltung et évoquait le sort des opposants internés dans les camps de concentration, sans dissimuler dès 1933 le peu de cas que les nazis faisaient de leurs alliés conservateurs. Hauteclocque s’attachait prioritairement à convaincre ses lecteurs que l’Allemagne connaissait une véritable révolution dont elle allait sortir considérablement renforcée. C’est pourquoi, dès 1933, il appelait la France à se réformer sous peine de succomber lors de la nouvelle confrontation qui ne tarderait pas à l’opposer à nouveau à sa voisine. La précision des reportages de Hauteclocque lui valut des inimitiés parmi les responsables de l’Allemagne nouvelle. Il disparut à l’âge de 38 ans, empoisonné selon toute vraisemblance lors de son dernier séjour outre-Rhin.
←16 | 17→Au niveau de la droite radicale française, l’Action française fut le mouvement dont les prises de position face au national-socialisme et au Troisième furent les plus fermes et les plus controversées. L’attitude de ses membres face à l’évolution de l’Allemagne après 1933 et pendant la guerre fut loin d’être uniforme.
L’Action française officielle était depuis toujours opposée radicalement à l’Allemagne, dont elle considérait le nationalisme hérité selon Maurras de Fichte au même titre que les idées de Rousseau comme des périls mortels pour la France et potentiellement destructeurs de la Civilisation léguée à l’Europe par Athènes et Rome. En fonction de ce prisme, Maurras et ses compagnons décrivirent d’emblée Hitler et ses partisans comme les continuateurs de Fichte et les représentants d’un «islam germaniste» auquel seule une «alliance d’Occident» solide formée de la France, la Grande-Bretagne et l’Italie pourrait être à même de faire barrage. Concentrés essentiellement sur cette vision du Troisième Reich, les maurrassiens ne s’intéressèrent pas vraiment aux causes internes de la montée du national-socialisme. Leur thèse principale concernant le système mis en place en Allemagne en 1933 était que le nazisme constituait une contrefaçon du fascisme conforme en tous points aux attentes des Allemands. Opposés à Hitler, ils ne furent cependant pas antinazis au sens strict. Considérant le national-socialisme prioritairement comme l’expression d’un nationalisme classique, ils ne perçurent pas de ce fait les objectifs ultimes d’Hitler. En 1938, convaincus que la France était trop faible pour affronter le Troisième Reich, ils acceptèrent l’accord de Munich; en août 1939, ils s’opposèrent jusqu’au bout à une nouvelle guerre contre l’Allemagne. Partisans affirmés du maréchal Pétain, les chefs de file de l’Action française se rangèrent dès fin juin 1940 derrière le chef de l’Etat français qu’ils soutinrent dans tous les domaines. Hostiles d’emblée au parti «collaborationniste» et à Pierre Laval, ils acceptèrent le virage de la «collaboration» opéré par Pétain à l’automne 1940, tout en espérant qu’en suivant le Maréchal la France pourrait sauvegarder sa place dans une future Europe placée sous domination allemande.
Lucien Rebatet (1903–1972) fut parmi les dissidents de l’Action française l’un de ceux qui attirèrent le plus l’attention, en particulier à travers son livre de 1942, Les décombres. Antisémite virulent et chroniqueur du journal collaborationniste Je suis partout, entré à l’Action française en 1929, à dater du début des années 1930, Rebatet n’avait pas fait mystère de ses sympathies pour le fascisme italien, tout en ne cachant pas ses sentiments antiallemands. C’est à partir du milieu de la décennie que sa conversion au national-socialisme s’opéra, en particulier à la suite de plusieurs séjours outre-Rhin. En 1940–1941, il choisit la voie collaborationniste et ne se lassa dès lors pas de plaider dans Je suis partout en faveur d’une révolution nationale-socialiste qui, seule, lui paraissait à même de sauver la France. Sa conviction renouvelée en juin 1941 après le début de l’opération Barbarossa était que seul Hitler était à même de faire barrage au bolchevisme. Rebatet fit partie du dernier carré des ultras de la collaborationet demeura jusqu’à la fin de sa vie un fasciste affirmé.
←17 | 18→Le cas d’Olier Mordrel (1901–1985) illustre quant à lui la fascination exercée par le national-socialisme sur une partie des nationalistes bretons pendant l’entre-deux-guerres. Ces militants se persuadèrent après 1918 que la Bretagne avait perdu la guerre au même titre que l’Allemagne. Ils se sentaient solidaires des jeunes Allemands de leur génération, et leur recherche d’un avenir pour la Bretagne les conduisit à s’intéresser aux solutions envisagées pour l’Allemagne par les nationaux-socialistes. Mordrel, qui avait rencontré Rosenberg en 1932, proposa en 1933 sous le nom de SAGA un programme largement inspiré de celui du NSDAP, qui ne fut cependant pas retenu par ses amis nationalistes. Dans sa propre revue, Stur, Mordrel milita alors une Weltanschauung celtique. Progressivement, il prit ses distances envers le régime hitlérien proprement dit et se rapprocha de la SS qu’il considérait comme la meilleure garante de l’idéal d’une Europe nordique auquel il s’identifiait lui-même.
Les droites allemandes non nationales-socialistes constituaient au même titre que leurs homologues françaises une nébuleuse au sein de laquelle cohabitaient des représentants de sensibilités diverses qui allaient du conservatisme traditionnel jusqu’à des postures révolutionnaires. Vis-à-vis du national-socialisme, ces droites se trouvaient face à un mouvement qui menaça d’emblée leur espace. Dans cette conjoncture, elles adoptèrent des attitudes qui allèrent d’un intérêt plus ou moins critique à la manifestation d’une opposition souvent très vive envers Hitler et ses partisans.
Entre l’Association pangermaniste (Alldeutscher Verband), dont l’un des fondateurs en 1891 fut Alfred Hugenberg, et les nationaux-socialistes, il existait des points communs indéniables, qu’il s’agisse de la politique étrangère, de l’opposition à la démocratie instaurée en 1918 et de l’antisémitisme. Mais en matière économique et sur le plan des modes d’action politique, les différences entre les deux mouvements étaient profondes. Dans la conjoncture qui donna lieu entre 1928 et 1932 à un rapprochement tactique entre les droites radicales allemandes et le NSDAP, les pangermanistes alliés au DNVP firent preuve à l’égard des nationaux-socialistes d’une réelle souplesse dont l’objectif était d’arriveravec ceux-ci à une vraie coopération. Cette attitude, loin de servir les intérêts des pangermanistes, se révéla avant tout utile pour Hitler. Après l’arrivée de celui-ci à la chancellerie du Reich en 1933, ceux-ci ne purent que constater à leurs dépens que l’espace dont ils disposaient dans le nouveau système se rétrécissait sans cesse et que leur programme élitiste et corporatiste ne rencontrait que très peu d’écho au sein des masses. L’Association fut dissoute en 1939 à l’initiative de Heydrich au motif que son programme avait été réalisé par Hitler.
Alors que les pangermanistes étaient des conservateurs traditionnels, Oswald Spengler (1880–1936) fut l’un des plus influents parmi les penseurs de la «révolution conservatrice». Plus encore qu’à travers son opus magnum, Le déclin de l’Occident (Der Untergang des Abendlandes) paru entre 1918 et 1922, c’est dans son essai intitulé Prussianisme et socialisme (Preußentum und Sozialismus) datant de 1919 qu’il se fit l’avocat d’un socialisme autoritaire, antidémocratique et national. Cette idée fut reprise par les nationaux-socialistes tout au moins comme slogan. ←18 | 19→Spengler salua l’arrivée au pouvoir d’Hitler, mais très vite il prit ses distances envers le chef nazi et sa rencontre avec celui-ci en juillet 1933 fut sans lendemain. Sa vision pessimiste de l’histoire constitua assurément l’un des points d’achoppement entre lui et Hitler. L’élimination des chefs SA et d’autres opposants le 30 juin 1934 amena Spengler à rompre avec les nouveaux maîtres de l’Allemagne.
Au sein de la mouvance constituée par la «révolution conservatrice», les «jeunes conservateurs» qui avaient leur apparition dans le paysage politique allemand après 1918 connurent sous le Troisième Reich un sort comparable à celui de leurs aînés. C’est ce qu’illustre le cas de la Ring-Bewegung (= Mouvement de l’Anneau) coordonnée par Heinrich von Gleichen, proche de Moeller van den Bruck puis plus tard de Franz von Papen. Hostile à la société de masses et aux partis, le mouvement prônait une organisation corporative de la société et de l’économie et militait pour un Etat autoritaire et décentralisé. Au départ, Gleichen et ses compagnons se méfiaient du parti national-socialiste, notamment en raison du «socialisme d’Etat» dont celui-ci se réclamait. Cela ne les empêcha pas à partir de 1930 de considérer que le NSDAP était l’une des forces capables d’aider à réformer l’Allemagne et qu’Adolf Hitler pouvait être utile à leur cause. A la fin de 1932, ils soutinrent les démarches de Franz von Papen visant à intégrer les nationaux-socialistes au mouvement de rénovation nationale qu’ils appelaient de leurs vœux. Comme presque tous les conservateurs allemands, les chefs de file de la Ring-Bewegung commirent l’erreur de considérer la constitution le 30 janvier 1933 du gouvernement de «concentration nationale» sous la conduite d’Hitler comme un succès de leur stratégie. Très vite, ils durent déchanter et, dès la fin du printemps de 1933, ils furent contraints soit de se taire soit de se mettre au service des nouveaux maîtres de l’Allemagne. En janvier 1934, Heinrich von Gleichen en fut réduit à demander à ses amis de s’engager désormais sans réserve «sur la voie du service du peuple allemand», c’est-à-dire de se transformer en auxiliaires loyaux du nouveau régime s’ils ne l’avaient pas encore fait. Certains proches de la Ring-Bewegung qui ne suivirent pas cette recommandation perdirent la vie lors de la purge décidée par Hitler le 30 juin 1934.
Spécialiste de droit constitutionnel et de droit administratif, Ernst Forsthoff (1902–1974) connut un itinéraire qui illustre le rapprochement opéré dès la fin des années 1920 par des intellectuels «jeunes conservateurs» en direction de l’idéologie nationale-socialiste. Influencé par Ernst Jünger et Carl Schmitt, Forsthoff défendit l’idée d’un «Etat total» autoritaire organiciste, raciste et dirigé par des élites politiques non élues ainsi que par la bureaucratie. Forsthoff fut d’emblée critiqué par des idéologues du nazisme pour son «étatisme» qui, pour eux, faisait de la primauté qui devait revenir au «Führer» et à son mouvement. Ceci le conduisit à préparer une seconde édition de L’Etat total qui parut en 1934 et reflétait une conception de l’Etat plus compatible avec l’idéologie du régime que la première. Mais à partir de 1935, il commença à prendre ses distances avec le national-socialisme tout en continuant à se dire solidaire d’Hitler. Sa tentative de sauvegarder une certaine autonomie intellectuelle lui valut les critiques récurrentes de certains nazis.
←19 | 20→Représentant de la mouvance «nationaliste révolutionnaire» au sein de la «révolution conservatrice», Ernst Niekisch (1889–1967) fut dès le début des années 1930 un opposant clairvoyant et implacable face à la montée du national-socialisme. Dans son livre intitulé Hitler, une fatalité allemande (Hitler, ein deutsches Verhängnis), publié en 1932, il mettait les Allemands en garde contre la catastrophe dans laquelle Hitler précipiterait le Reich en cas de succès. Se réclamant d’une droite révolutionnaire, Niekisch choisit comme angle d’attaque prioritaire contre le chef nazi l’option «légaliste» revendiquée à partir de 1930 par ce dernier pour accéder au pouvoir. Au lieu d’«anéantir» le «marigot du parlementarisme», selon Niekisch, une fois arrivé à ses fins, Hitler s’attacherait à sauver la société bourgeoise en Allemagne afin de faire front commun avec toutes les puissances occidentalescontre l’Union soviétique. En 1932, malgré sa position hostile à Hitler, Niekisch refusait de rejeter les options originelles de l’idéologie du national-socialisme. Responsable depuis 1928 de la revue Widerstand, il développait par ailleurs une vision «nationale-bolchevique» qui révélait des relations ambiguës avec les communistes dont il jugeait positivement le potentiel révolutionnaire.
Résumé des informations
- Pages
- 400
- Année de publication
- 2020
- ISBN (PDF)
- 9782807608665
- ISBN (ePUB)
- 9782807608672
- ISBN (MOBI)
- 9782807608689
- ISBN (Relié)
- 9782807608658
- DOI
- 10.3726/b17203
- Langue
- français
- Date de parution
- 2020 (Octobre)
- Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
- Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. 400 p., 8 ill. n/b.