Résumé
Le projet de recherche dont cet ouvrage rend compte s’est appuyé sur une méthodologie articulant observations de séances et entretiens d’autoconfrontation afin de mettre au jour les préoccupations des professeurs lorsqu’ils enseignent la littérature. Les participants à cette recherche ont accepté de travailler sur des œuvres et des extraits de littérature jeunesse proposés par les chercheurs.
Que font-ils de l’œuvre ? Comment configurent-ils l’extrait ? Comment prennent-ils en compte la question de la langue, du vocabulaire ? Comment se saisissent-ils des questionnements éthiques portés par les textes ? Sur quelles notions littéraires s’appuient-ils ? Que font-ils de la parole de leurs élèves ? Quels modèles didactiques plus ou moins sédimentés informent leurs pratiques ? Telles sont quelques-unes des questions traitées dans l’ouvrage.
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- À propos de l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Avertissement
- Introduction (Brigitte Louichon)
- I. De nouveaux programmes
- I.1. Une reconfiguration du cycle 3
- I.2. Un enjeu de formation personnelle
- II. Une équipe plurielle, un cadre bi-référencé
- II.1. Une recherche collective
- II.2. Le multi-agenda de l’agir enseignant
- II.3. la recherche en didactique de la littérature
- III. Hypothèses
- IV. Méthodologie et recueil de données
- IV.1. L’échantillon
- IV.2. Le protocole
- IV. 3. Le recueil de données
- IV.4. Le choix des genres, des œuvres, des extraits
- a) Théâtre : Le petit chaperon Uf de Jean-Claude Grumberg (Actes Sud, 2005)
- b) Poésie : Sans frontières fixes de Jean-Pierre Siméon (Cheyne, 2001)
- c) Roman 1 : Le royaume de Kensuké de Mickaël Morpurgo (Gallimard jeunesse, 2007)
- c) Roman 228 : Rêves amers de Maryse Condé (Bayard jeunesse, 2001)
- d) BD : Les contes de la ruelle de Jun Nie (Gallimard jeunesse, 2016)
- e) Conte patrimonial : La Belle et la Bête de Mme Leprince de Beaumont
- V. Présentation de l’ouvrage
- V.1. Données communes et entrées diverses
- V.2. Organisation de l’ouvrage
- Partie I : L’œuvre et l’extrait dans la classe
- Chapitre 1 : La séance sur l’extrait : lire un texte ou lire une œuvre ? (MaÏtÉ EugÈne)
- I. Cadrage théorique
- II. Méthodologie
- III. Résultats
- III. 1. La relation extrait / œuvre au regard des modalités de lecture et d’étude choisies par les 13 enseignants.
- a) Présentation des choix des 13 enseignants
- b) Justifications des choix
- c) Comparaisons :
- III. 2. La prégnance des objectifs dans la relation extrait/œuvre
- a) Une relation d’autonomie (relation exclusive)
- b) Une relation inclusive
- Conclusion : l’extrait contre l’œuvre ?
- Chapitre 2 : Fabriquer du texte pour la classe (Aldo GennaÏ)
- I. Éléments de cadrage
- II. Le dressage du texte
- II.1. Présence(s) du texte
- II.2. Faire les présentations
- II.3. Rendre le texte présentable
- III. Le texte recalibré
- III.1. Redimensionnement du texte au service des objectifs didactiques
- III.2. Respecter la « géographie » du texte
- III.3. Lever les ambiguïtés et respecter les « unités de sens »
- IV. Les manipulations opérées sur le texte dans les limites de l’extrait imposé
- IV.1. Le texte criblé
- IV.2. Rendre le texte désirable
- a) Le texte effeuillé
- b) Le texte réservé
- c) Le texte réordonné
- V. Le texte multifonctionnel
- Conclusion
- Partie II : De quelques moments de classe
- Chapitre 3 : Des représentations aux pratiques effectives : quels recours aux faits grammaticaux en séance de littérature ? (FrÉdÉric Torterat)
- I. Présentation du propos et questions de recherche
- II. Premiers constats
- III. Une pluralité très relative d’usages et de représentations
- III.1. Des mises à l’écart assumées
- III.2. Des recours ponctuels
- III.3 Des faits grammaticaux proprement didactisés
- a) Tentatives d’articulation effective
- b) Une « entrée » dans le texte
- Conclusion
- Chapitre 4 : Pratique littéraire du lexique/vocabulaire : les sens construits dans les moments lexicaux (Catherine Dupuy & StÉphanie Genre)
- Introduction
- I Cadre méthodologique
- II Les divers modes d’approche lexicale des textes
- II.1. Les pratiques s’appuyant sur les procédures ou savoirs supposés acquis
- a) Avant d’entrer dans la lecture du texte (1) : comprendre les mots jugés difficiles
- b) Avant d’entrer dans la lecture du texte (2) : comprendre en s’appuyant sur la catégorisation grammaticale des mots
- II.2. Le « défrichage » lexical au cœur des contraintes didactiques
- III. Des moments lexicaux en tension : entre compréhension et interprétation
- III.1. Vers une pratique culturelle : approcher le stéréotype
- III.2. Vers des pratiques herméneutiques
- a) L’explication sur le signifiant
- b) Interpréter à partir du sens en association
- IV. Les moments lexicaux : une préoccupation des enseignants difficile à mettre en place
- V. Quelques analyses :
- V.1. les pratiques les plus riches
- V.2. les pratiques qui soulèvent des questions
- Conclusion
- Chapitre 5 : Quand le texte littéraire est lu à haute voix (Christine Boutevin)
- I. La LHV du point de vue de l’histoire de la discipline
- II. La/les pratique(s) de la LHV
- III. Des préoccupations récurrentes pour les enseignants
- IV. LHV et genres littéraires : quelle articulation ?
- Conclusion
- Chapitre 6 : Des moments éthiques (Yoann Daumet)
- I. Éthique, morale et formation personnelle
- II. Un cadre théorique et méthodologique
- III. Le Corpus
- IV. Éthique et littérature : une histoire empêchée ?
- IV.1. Un conflit d’objectifs ?
- IV.2. Le vécu, les émotions : organe-obstacle ?
- IV.3. La non-directivité : un sur-moi pédagogique encombrant ?
- IV.4. Thème éthique ou approche éthique ?
- V. Des « moments éthiques » ?
- V.1. « 3 min juste pour finir »
- V.2. « Cette histoire, est-ce qu’elle vous dit quelque chose ? »
- V.3. « Alors moi, je vais vous dire aussi ce que j’entends dans ce poème »
- Conclusion
- Partie III : Concepts et notions à l’épreuve de la classe
- Chapitre 7 : « Les personnages sont des souris » : quels espaces de rencontres entre enseignants, élèves et personnages dans le corpus TALC ? (Sandrine Bazile)
- I - Cadre et méthodologie
- I-1 Un « objet de savoir » « mal délimité », mais un objet scolaire
- I-2 Méthodologie
- II - Analyse du corpus
- II–1 Identifier les personnages, un rendez-vous incontournable de la séance de littérature… ou presque
- II–2 Le personnage comme marqueur du genre
- II–3 Le personnage comme organisateur textuel
- III - Inscrire le personnage au sein d’un réseau de références culturelles et littéraires : un pari difficile
- III-1 - Un personnage inscrit dans un contexte socioculturel
- III–2 Le personnage pris dans un réseau littéraire ou artistique
- IV- Permettre une lecture empathique du personnage : un choix convenu ?
- IV-1 Un personnage envisagé comme « être réel »
- IV–2 Le personnage comme verrou d’une lecture axiologique
- Conclusion
- Chapitre 8 : L’approche des genres littéraires (Patricia Richard-Principalli)
- I - Contextualisation institutionnelle et didactique
- I-1 - Genres littéraires et école
- I-2 - Les genres « conte », « théâtre » et « BD » au cycle 3
- a) Place dans les programmes de 2015
- b) Enjeux didactiques
- II. Le conte
- II.1. La supériorité du texte littéraire sur ses variantes transmédiatiques dans les deux classes
- II.2. Le conte comme ensemble d’invariants vs le conte comme production isolée
- II-3 - Un texte complexe vs un texte simple
- II-4 - Conclusion sur le conte
- III - Le théâtre
- III-1 - Mobiliser et construire la culture des élèves pour comprendre vs ne s’appuyer que sur le texte
- III-2 - Entrer dans la pièce par la compréhension du texte écrit vs entrer dans la pièce par un travail d’écriture préparatoire à un jeu scénique
- III-3 - Une même attention portée à la langue pour des enjeux différents
- III-4 – Conclusion sur le théâtre
- IV - La BD
- IV.1 - Une même tension entre nommer et travailler sur les effets
- IV-2- Un même appui sur d’autres savoirs didactiques maitrisés
- a) Des démarches pour travailler la compréhension :
- b) Des objectifs d’apprentissage identifiés dans les programmes et identifiables par l’enseignant :
- IV-3 – Conclusion sur la BD
- Conclusion générale
- Chapitre 9 : Lecture littéraire et compréhension : TALC au prisme de PIRLS (AgnÈs Perrin-Doucey)
- I - L’enquête PIRLS
- I-1 - Définir la lecture
- I-2 - La constitution de l’enquête9
- a) Les objectifs généraux
- b) Le rapport à la lecture des textes littéraires
- I-3 - Description du questionnement R12
- a) Les questions
- b) Les résultats
- II - Lire les données TALC : visée et méthode
- II-1 - Le corpus
- II-2 - Objectif de l’étude
- II-3 - Choix méthodologiques
- III. Lire les données TALC : analyse et constats
- III.1 - Au fil du dialogue : deux modalités différentes
- III.2 - Le prélèvement d’indices : deux exemples emblématiques
- a) La classe 17
- b) La classe 16
- III.3 - Des activités aux frontières floues
- a) Dégager les idées principales du texte
- b) Sens global et saisie ponctuelle
- c) Résumé et rappel de récit
- d) Expliquer au fil du dialogue
- III.4 Des activités plus rarement observées et moins partagées
- a) Élaborer des inférences : une activité interactive
- b) Mobiliser sa culture
- c) Mobiliser son expérience
- III.5 - Des activités quasi-absentes
- Conclusion
- Chapitre 10 : La parole des élèves dans la classe de littérature. Prise en compte et traitement des imprévus. (HÉlÈne Raux & Yves SoulÉ)
- I - Que faire de la parole des élèves ? Les pôles du dilemme
- I-1 - Quand la parole des élèves est validée, quelle qu’elle soit.
- I-2 - Quand la parole de l’enseignante surplombe celle des élèves
- II - Deux moments de co-construction du sens du texte
- II-1 - En quoi y a-t-il co-construction ?
- II-2 - Conditions d’émergence de cette co-construction
- Conclusion
- CONCLUSIONS
- Conclusion 1 : Appropriation d’une méthodologie d’entretien innovante1 par un collectif de chercheurs en didactique de la littérature (Serge Leblanc)
- I. Inscription dans les travaux interdisciplinaires à partir de corpus vidéographiques
- II. Cadre conceptuel et méthodologique
- III. Comprendre l’activité de l’enseignant plutôt que la juger à partir de normes didactiques
- IV. Processus d’appropriation de l’auto-confrontation et effets sur l’analyse
- V. Collaboration entre les différents acteurs et pistes pour la formation des enseignants
- VI. Bilan et perspectives
- Conclusion 2 : Programme commun, pratiques communes ? (Brigitte Louichon)
- I. Comparaison entre niveaux
- I.1. Les convergences
- 1.2 Les différences
- II. Comparaison au regard des genres littéraires
- II.1. Le genre absent
- II.2. Le genre présent
- III. La prise en compte de l’élève lecteur
- IV. Pour finir
- IV.1 Du côté de la recherche
- IV.2 Du côté de la formation
- Bibliographie
- I. Textes institutionnels français
- II. Bibliographie scientifique
- Annexes
- Annexe 1 : Déroulé des séances
- Annexes 2 : Extraits
- « Fraternité »
- Le Royaume de Kensuké (Extrait)
- Le Petit chaperon Uf (Extrait)
- Les Contes de la ruelle (Extraits)1
Avertissement :
Dans cet ouvrage, les auteurs appliquent les « Rectifications de l’orthographe » recommandées par l’Académie Française. D’autre part, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique ; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin. L’utilisation du genre masculin a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire.
BRIGITTE LOUICHON
Dressant un panorama des recherches conduites en didactique de la littérature, J.-L. Dufays et M. Brunel (2016) notent « la montée en puissance des recherches descriptives » visant à « comprendre, sans à priori » (246) et le développement de travaux sur le curriculum prescrit et enseigné (248–250). Tel est bien le cadre dans lequel s’inscrit aussi le projet TALC (Du Texte A La Classe)1, s’apparentant ainsi à d’autres projets développés par un collectif de chercheurs et visant à la description des pratiques effectives et ordinaires. On songe ici par exemple aux travaux du GrafeLit2 (Ronveaux & Schneuwly, 2018) ou au projet GARY regroupant des chercheurs de plusieurs pays francophones (par exemple Capt, Brunel, Florey, 2018) ou encore au projet PELAS3 (par exemple Plissonneau, Bazile, Boutevin, 2017).
TALC s’intéresse aux pratiques effectives ordinaires des enseignants de littérature de cycle 3. Ce projet est lié à la mise en place, en France, en 20164, d’un programme présentant deux nouveautés. La première concerne la reconfiguration du cycle 3 ; la seconde, les objectifs assignés à l’enseignement de la littérature puisque celui-ci vise dorénavant explicitement des enjeux de « formation littéraire » et « de formation personnelle ».
I. De nouveaux programmes
I.1. Une reconfiguration du cycle 3
Les programmes en vigueur en France depuis la rentrée 2016 marquent une évolution structurelle d’importance. En effet, le cycle 3 articule dorénavant les deux dernières années de l’école primaire (Cours Moyens5 1 et 2) et la première année de collège (6e). Ce cycle 3 « crée une unité à l’endroit même de la césure structurelle qui persiste » (Bouysse & Clauss, 2018 : 7). Il s’agit ainsi d’œuvrer à la « continuité pédagogique » et à la « cohérence des apprentissages » (MEN, 2015a) dans la perspective du Socle commun de connaissances, de compétences et de culture (MEN, 2015b), de « permettre une meilleure transition entre l’école primaire et le collège » (MEN, 2015a).
Cette question n’est pas nouvelle. Depuis l’instauration du collège unique en 1977, la liaison CM2/6e est devenue une préoccupation institutionnelle et professionnelle durable et constante (Christ, 2000 ; Hammerton, 2019 ; Laroque & de Peretti, 2015), dont les programmes actuels constituent le dernier avatar. Pour autant, on ne peut envisager de programme commun qu’à la condition que les matières à enseigner soient les mêmes. Or, depuis 2002, la littérature appartient de droit aux enseignements primaires en France. L’introduction de cette matière a été accueillie favorablement par les enseignants (Louichon, 2008) et aujourd’hui, on peut légitimement considérer que la littérature est suffisamment présente dans les classes pour que, du point de vue de l’enseignement du français, l’articulation du CM et de la 6e en un seul cycle soit envisagée. On le sait, prescriptions et pratiques ne s’équivalent pas, à fortiori dans le cas où la prescription recouvre des aspects structurels qui échappent pour partie aux enseignants. Pour autant, la prescription ne peut s’énoncer si le terrain n’est pas minimalement en capacité de la recevoir. Autrement dit, le programme commun, s’il est un appel à la continuité pédagogique, est tout autant un indicateur de son existence potentielle.
Avec ce programme, les enseignants du primaire, polyvalents et non spécialistes, ont en partage avec leurs collègues du collège, monovalents et spécialistes, un programme d’enseignement dans lequel « la littérature est une part essentielle de l’enseignement du français » (MEN, 2015 a). La question est donc de savoir comment ce programme commun est mis en œuvre, d’observer la manière dont la continuité pédagogique et la cohérence des apprentissages sont assumées dans la réalité des pratiques, des enseignants, des élèves et des classes6.
La deuxième évolution concerne les finalités de l’enseignement de la littérature au cycle 3. Le programme parle d’enjeux de « formation littéraire » et de « formation personnelle ».
I.2. Un enjeu de formation personnelle
En 2002, l’expression « formation personnelle » apparait dans le préambule des programmes pour le lycée (MEN, 2002a). Il s’agit de « donn[er] à chacun une meilleure maitrise de la langue et en l’amenant à mieux structurer sa pensée et ses facultés de jugement et d’imagination […], de savoir organiser sa pensée et de présenter, par oral et par écrit, des exposés construits abordant les questions traitées selon plusieurs perspectives coordonnées ». On le voit, la formation personnelle visée est ici formation intellectuelle. « La formation d’une pensée autonome » vient en synthèse, pour reformuler l’expression « formation personnelle », expliquent Petitjean et Viala (2000 : 20). L’expression est reprise dans le préambule des programmes du lycée de 2010 et, dans les programmes de 2019, on trouve celle de « formation de la personne ».
À aucun moment, ni au niveau primaire, ni au niveau du collège, l’expression n’est employée avant les programmes entrés en vigueur en 2016.
Comme souvent dans les programmes, les notions ne sont pas définies. Notons d’abord que la notion de formation personnelle apparait uniquement dans le programme de français, lors même que l’un des grands domaines7 affichés est celui de la « formation de la personne ». Cette remarque nous amène à penser que cette notion de « formation personnelle » s’origine bien dans le champ de la littérature. Les finalités de « formation littéraire et formation personnelle » sont « mises en lumière » par « les grandes entrées » listées (2015 : 122). Pour le cycle 4, il est plus clairement précisé que « ces entrées et questionnements mettent en lumière les finalités de l’enseignement ; ils présentent la lecture et la littérature comme des ouvertures sur le monde qui nous entoure, des suggestions de réponse aux questions que se pose l’être humain » (244). Pour le cycle 3, seules les entrées peuvent éclairer la signification du double enjeu assigné à l’enseignement de la littérature. À titre d’exemple, l’entrée « héros/héroïnes et personnages » décline ainsi le double enjeu :
– Découvrir des œuvres, des textes et des documents mettant en scène des types de héros/d’héroïnes, des héros / héroïnes bien identifiés ou qui se révèlent comme tels.
– Comprendre les qualités et valeurs qui caractérisent un héros / une héroïne.
– S’interroger sur les valeurs socioculturelles et les qualités humaines dont il / elle est porteur, sur l’identification ou la projection possible du lecteur (121).
Dans cet exemple, la conjonction des œuvres, des personnages, des valeurs et de l’identification du lecteur ainsi que le fait que la notion de « formation personnelle » soit exclusivement réservée au programme de français amènent à considérer que les programmes de 2016, s’ils ne renient pas ceux qui ont précédé, engagent les enseignants vers de nouvelles voies.
On peut considérer que l’introduction de la littérature comme discipline à l’école primaire en 2002 a constitué un tournant majeur. La finalité première en était clairement la formation d’une culture littéraire considérée d’une part comme une modalité de constitution d’une « culture commune » et d’autre part comme une propédeutique à l’enseignement secondaire : « Une culture littéraire se constitue par la fréquentation régulière des œuvres8. Elle suppose une mémoire des textes, mais aussi de leur langue, une capacité à retrouver, chaque fois qu’on lit, les résonances qui relient les œuvres entre elles. Elle est un réseau de références autour desquelles s’agrègent les nouvelles lectures. Bref, qu’il s’agisse de comprendre, d’expliquer ou d’interpréter, le véritable lecteur vient sans cesse puiser dans les matériaux riches et diversifiés qu’il a structurés dans sa mémoire et qui sont, à proprement parler, sa culture. Si l’on souhaite que les élèves du collège puissent adopter un premier regard réflexif sur ce qu’ils lisent, il est nécessaire que, dès l’école primaire, ils aient constitué un capital de lecture sans lequel l’explication resterait un exercice formel et stérile » (MEN, 2002b).
En 2002, la culture littéraire (« les références mises en réseau ») est nécessaire à l’apprentissage de la lecture littéraire et s’inscrit dans une visée scolaire. En 2015, la culture littéraire que les élèves doivent acquérir n’a plus seulement des enjeux littéraires mais aussi des « enjeux de formation personnelle », elle participe à la « construction de soi ». Le lecteur, le sujet lecteur, est central, comme en témoigne l’extrait suivant :
Il s’agit également de développer au cours du cycle une posture de lecteur attentif au fonctionnement des textes, sensible à leurs effets esthétiques, conscient des valeurs qu’ils portent, et de structurer progressivement une culture littéraire. Les activités de lecture mêlent de manière indissociable compréhension et interprétation. Elles supposent à la fois une appropriation subjective des œuvres et des textes lus, une verbalisation de ses expériences de lecteur et un partage collectif des lectures pour faire la part des interprétations que les textes autorisent et de celles qui sont propres au lecteur (MEN 2015a, 113)9.
Les termes en gras, nouvellement introduits, réfèrent clairement aux travaux des didacticiens de la littérature et particulièrement de ceux portant sur le « sujet lecteur » (Rouxel & Langlade, 2004). Dans ce cadre, le sujet est à la fois celui qui actualise singulièrement le texte, qui en construit la signification, mais aussi celui qui se construit par sa lecture. D’une certaine manière, on peut considérer que les postulats des chercheurs travaillant sur le sujet lecteur depuis une dizaine d’années (Louichon, 2016) innervent ces programmes : place du lecteur, singularité des interprétations voire des utilisations, tension entre droits du texte et droits du lecteur, communautés interprétatives, enjeux anthropologiques de la lecture littéraire, écrits de la réception (Le Goff & Fourtanier, 2017).
Ces programmes, comme toujours, amènent les didacticiens à tenter de comprendre quelles inflexions ou ruptures ils suggèrent, de les configurer épistémologiquement ou dans une perspective praxéologique (Brinker & Di Rosa, 2018 ; Louichon & Sauvaire, 2018).
La question, pour les chercheurs engagés dans le projet TALC, est de savoir ce que les enseignants en font.
II. Une équipe plurielle, un cadre bi-référencé
Comment appréhender cette vaste question ? Comment rendre compte des pratiques ?
II.1. Une recherche collective
Le premier point d’appui est lié au collectif de chercheurs engagés dans la recherche. Les chercheurs appartiennent tous à la même unité de recherche, le LIRDEF10 et le projet TALC s’inscrit dans la logique interdisciplinaire qui la caractérise. Outre le fait qu’ils forment tous des enseignants au sein de la Faculté d’Éducation de l’Université de Montpellier et de l’INSPÉ Languedoc-Roussillon11, les chercheurs ont des spécialités diverses. Le collectif compte six didacticiens de la littérature12, quatre linguistes13, deux d’entre eux étant des spécialistes des gestes professionnels et de l’agir enseignant14. Enfin, Serge Leblanc, spécialiste de l’analyse de l’activité située, complète l’équipe constituée. Notons que trois doctorants15 ont participé au projet mais qu’aucun d’entre eux n’avait été spécifiquement engagé à ce titre. Autrement dit, la recherche s’est effectuée sans personnel dédié. Cependant, l’appartenance de tous au LIRDEF et la proximité géographique et humaine a permis que des réunions régulières se tiennent dans lesquelles les approches diversifiées étaient exposées et testées, les difficultés évoquées, les décisions discutées.
Cette dimension collective a été centrale dans la conception et le déroulé du projet. L’exposition qui suit articule donc cadrage, méthodologie et récit de cette aventure scientifique et humaine singulière.
II.2. Le multi-agenda de l’agir enseignant
Les travaux menés au LIRDEF et dirigés par Dominique Bucheton durant plusieurs années constituent l’un des cadres théoriques de référence. Le « multi-agenda de l’agir enseignant » décline ainsi cinq « macro-préoccupations » au nombre desquelles les savoirs visés ne constituent qu’un des aspects de la pratique professionnelle. Cette approche théorique amène à « rompre avec la partition didactique/pédagogie » et à considérer les enseignants comme des personnes et non seulement des sujets épistémiques (Bucheton & Soulé, 2009).
L’approche didactique, centrale et première, est donc complétée et déplacée par cette perspective de sorte que la question initiale de recherche « que font les enseignants ? » devient : « Comment la lecture et l’appropriation des textes littéraires, en tant qu’objets sémiotiques et/ou culturels et/ou esthétiques et/ou scolaires et enjeux d’apprentissages, participent-elles des préoccupations des enseignants, de manière éventuellement différenciée suivant le niveau (CM/6e) ? ».
II.3. la recherche en didactique de la littérature
Les travaux relevant de la didactique de la littérature constituent le socle de cette étude16. Chacun des chapitres constituant cet ouvrage y réfère de manière systématique (cf. supra). Nous n’évoquerons ici que ceux qui renvoient spécifiquement aux pratiques effectives à visée comparative. Nous retenons ainsi deux publications propres à nourrir et étayer nos propres travaux.
La première, Pratiques effectives de la littérature à l’école et au collège (2008) nous intéresse à plusieurs titres. D’une part parce que ce numéro de Repères, coordonné par Danièle Dubois-Marcoin et Catherine Tauveron, interroge la manière dont les programmes de cycle 317 ont modifié ou infléchi les pratiques ordinaires des enseignants de primaire. Le projet TALC vise aussi à documenter la manière dont des programmes sont mis en œuvre.
D’autre part, parce qu’il porte sur les pratiques effectives et cherche à comprendre les pratiques ordinaires. Les types de réponses méthodologiques apportées sont divers. Nous intéressent au premier chef celles qui relèvent pleinement de l’analyse de pratiques enseignantes18. Dans ce volume, Christiane Connan-Pintado présente un corpus collecté dans 25 classes, en soumettant le même ouvrage à plusieurs d’entre elles, afin de mener une analyse comparative (106). Les ouvrages proposés sont tous des contes détournés (Connan-Pintado, 2009). On observe donc que le resserrement sur un genre, choisi parce que « la lecture des contes détournés pourrait être considérée comme la lecture littéraire par excellence » (106), sur quelques œuvres, permet de comparer les pratiques, menées sans consigne particulière.
Pierre Sève engage deux enseignantes à faire lire La petite ondine d’Andersen (Dubois-Marcoin, 2008) dans leurs classes de CM2 et 6e. Acceptant que le chercheur filme la séquence menée, ici aussi, sans consigne particulière, les professeures se prêtent ensuite à un entretien croisé afin de commenter et d’évoquer leurs pratiques. Le dispositif de recherche visait à « donner corps à un constat empirique » supposant que les enseignants du premier et du second degré n’envisagent pas l’enseignement de la littérature de la même manière (133). Si notre recherche porte moins sur les conceptions que sur les pratiques, le protocole de recherche, articulant lecture d’une même œuvre, enregistrement de séances et entretien croisé nous a particulièrement intéressés.
Christa Delahaye s’appuie sur un vaste corpus de séances enregistrées en cycle 3, menées sans consigne particulière. Elle décrit et analyse ce qui est à la fois une tâche proposée aux élèves, un instrument professionnel et un moment : la lecture silencieuse. Autrement dit, l’analyse se polarise sur un objet didactique que l’on peut aussi considérer dans une perspective temporelle. De ce travail, nous avons retenu le fait que l’analyse pouvait interroger de manière ciblée une tâche, une activité, un instrument19 participant d’une culture professionnelle également ou inégalement partagée, et plus ou moins sédimentée (Ronveaux & Schneuwly, 2007). La notion de « moment »20, nous a paru particulièrement heuristique et le carottage une manière d’envisager les questions de recherche.
Dans la présentation du numéro, les coordinatrices pointent quelques éléments constituant des « points de résistance » à la mise en œuvre des programmes. La question du genre littéraire auquel appartiennent les œuvres ou extraits donnés à lire est posée. Il apparait ainsi que les enseignants, du premier comme du second degré, « privilégient le genre romanesque […], pratiquent peu les textes patrimoniaux, évitent la BD […] et le théâtre […]. La poésie quant à elle, […] se terre dans les marges » (17). Nous avons considéré que la question du genre littéraire devait constituer un élément de notre dispositif de recherche. Est-ce que la séance de littérature est différente selon que l’œuvre appartient à un genre en usage fréquent ou pas dans les classes21 ?
La deuxième publication d’importance est celle qui rend compte de la recherche dirigée par C. Ronveaux et B. Schneuwly (2018). La comparaison entre niveaux ‒ primaire, secondaire I (ou collège en France) et secondaire II (ou lycée en France) ‒ est au cœur du questionnement. Il s’agit de restituer la démarche de disciplination de l’élève22, au fil de sa scolarité, entre approche classique et éléments innovants introduits, là encore par une réforme. Pour ce faire, l’équipe propose deux mêmes textes à travailler dans des classes différentes : une fable de La Fontaine et une nouvelle peu connue et « réticent[e]; » (94). Ils sont choisis, dans le cadre de cette recherche, parce qu’ils sont très contrastés du point de vue de leur réputation littéraire, et de leur ancrage dans la tradition scolaire. Ils fonctionnent comme des « réactifs » (92). Dix classes de chaque niveau ont mis en œuvre une séquence sur chacun des deux textes. Là encore, les chercheurs n’intervenaient pas sur la démarche pédagogique prévue et mise en œuvre. Ils ont aussi mené deux séries d’entretiens : les premiers, préalables, semi-directifs portant sur « les conceptions de l’objet à enseigner, les anticipations des choix didactiques […] et la justification de la démarche » (143) ; les seconds, conduits après la séquence, relatifs aux choix opérés et à la représentativité de la séquence au regard des pratiques habituelles de l’enseignant (145).
Si nos interrogations et nos appuis théoriques ne se confondent pas, ces deux publications (Repères, 2008 ; Ronveaux et Schneuwly, 2018) ont des points communs avec nos propres questionnements de recherche. Il s’agit de saisir au plus près les pratiques effectives, de comparer ou du moins de documenter celles-ci au regard de niveaux d’enseignement différents23, d’interroger des effets de réformes.
De ces travaux, nous retenons les points suivants :
– Un corpus assez important de classes pour pouvoir observer des phénomènes acquérant ainsi une forme de robustesse scientifique ;
– Le texte imposé conçu comme un réactif ;
– Le genre littéraire conçu comme un déterminant contrastif du dispositif de recherche ;
– La liberté laissée aux enseignants de mener les séances à leur guise ;
– Une pratique du « carottage » focalisant l’observation sur certains objets (tâches, instruments…), notamment sur des « moments » spécifiques.
Ce cadrage nous conduit donc à reformuler ainsi – et de manière définitive – notre question de recherche : « Alors que les programmes de 2015 reconfigurent le cycle 3 et que l’enseignement de la littérature poursuit dorénavant des finalités de formation littéraire et de formation personnelle, comment la lecture et l’appropriation des textes littéraires, en tant qu’objets spécifiques (sémiotiques et/ou culturels et/ou esthétiques et/ou scolaires) et en tant qu’enjeux d’apprentissages, participent-elles des préoccupations des enseignants de cycle 3, de manière éventuellement différenciée suivant le niveau (CM/6e) et suivant le genre littéraire du texte donné à lire ? ».
III. Hypothèses
Nous formulons trois hypothèses.
1.Les pratiques d’enseignement de CM et de 6e sont différentes pour trois raisons principales. La première tient à la formation différente des enseignants polyvalents de primaire et des enseignants spécialistes des lettres en collège. Nous pensons que le rapport au texte littéraire et surtout à son enseignement en est différent. La deuxième est liée à la forme scolaire : au collège les élèves ont des cours d’une heure planifiés dans un emploi du temps figé tandis qu’à l’école les enseignants sont plus libres de leur temps, tant du point de vue de la séance elle-même que de la manière dont elle peut se nouer avec les précédentes ou les suivantes. Cette différence couplée à la polyvalence des enseignants du primaire les amène aussi à pouvoir articuler la lecture des textes avec des enseignements/apprentissages pluridisciplinaires. La troisième est liée aux instruments disciplinaires en usage : à l’école, séances de lecture, parcours de lecture ; au collège, séquence de français, lecture analytique.
2.Les pratiques d’enseignement sont différentes en fonction du genre littéraire. Certains genres sont peu présents dans les classes, par exemple la BD, mais aussi la poésie et le théâtre, surtout au primaire. Nous pensons que cet usage différencié quantitativement l’est aussi qualitativement, et que des savoirs plus techniques (par exemple, la versification pour la poésie, le schéma narratif pour le conte, la relation didascalies/répliques pour le théâtre, le système sémiotique de la BD) sont plus facilement convoqués dans le cadre de la séance de lecture de certains genres littéraires. D’une certaine manière, la dimension générique scolaire renvoie partiellement à la même distinction que celle opérée par Ronveaux et Schneuwly (2018). En effet, les genres littéraires eux-mêmes (contes vs BD par exemple) ne bénéficient pas de la même « réputation littéraire », des mêmes apprêts didactiques et des mêmes instruments légués par la tradition.
3.Malgré ces différences supposées, nous faisons l’hypothèse que les pratiques sont assez proches, relativement à la prise en compte de l’élève lecteur dans les séances. À cet égard, Pierre Sève fait émerger deux positions contrastées : l’enseignante de CM2 travaille sur la lecture des élèves, celle de 6e sur le texte. Les positions observées en 200524 sont assez fortement contrastées tandis que celles observées par l’équipe de Ronveaux & Schneuwly dix ans plus tard, le sont nettement moins. En primaire, ils observent que les réactions des élèves orientent véritablement le travail des enseignants et que le travail sur la compréhension accompagné « pas à pas » par les enseignants, est souvent « en tension avec une lecture plus ouverte vers des lectures multiples, vers des interprétations variées » (488–489). Pour ce qui concerne le secondaire I, les chercheurs constatent que le travail sur la fable mobilise des démarches classiques et traditionnelles (versification, contexte historique, argumentation) tandis que la nouvelle de Lovay, « La négresse et le chef des avalanches » oblige ou légitime « la prise en compte des élèves lecteurs » (499). À ce niveau de la scolarité – et sans doute est-ce encore plus vrai pour la 6e, première classe de ce segment –, les formes d’enseignement/apprentissage sont plus souples, empruntant à des manières de faire diverses, tantôt au niveau primaire, tantôt au niveau secondaire. La dialectique observée s’opère entre « l’imposition d’une norme forte » et « la possibilité d’une souplesse et de prise en compte de la réaction des élèves » (499). On peut mettre en lien ces résultats, concernant les pratiques enseignantes, avec ce que l’on peut observer relativement aux domaines de la recherche et de la formation. Dans une enquête menée en 2011 à partir des textes des chercheurs en didactique de la littérature, je concluais que « parler de lecture littéraire est une manière de parler d’un enseignement de la littérature dans lequel la place du lecteur est affirmée » (Louichon, 2011 : 206). Les chercheurs sont en général formateurs. Agnès Perrin-Doucey et moi-même avons mené une enquête relative à la formation des enseignants du secondaire. Nous observons que la notion de « sujet lecteur » est massivement présente dans la formation et qu’elle semble même subsumer la didactique de la lecture littéraire, voire la didactique de la littérature25. L’entrée par la notion de lecture littéraire ou l’entrée par celle de sujet lecteur conduisent à considérer que la centration sur le lecteur du point de vue didactique amène à ce que le curseur se déplace aujourd’hui du texte vers l’élève en classe au niveau secondaire.
Nous considérons que cette évolution, perceptible dans les pratiques documentées par la recherche, soutenue par la formation, s’actualise formellement dans les programmes français de 2015 et que nous devons pouvoir observer et décrire cette convergence entre niveaux que nous formulons comme hypothèse.
IV. Méthodologie et recueil de données
La complémentarité des approches scientifiques privilégiées a des incidences fortes sur la manière dont le projet est décliné méthodologiquement. Les travaux sur l’activité postulent que l’acteur (en l’espèce l’enseignant) est expert de sa propre pratique. Or, les séances filmées ne permettent qu’un point de vue sur l’activité professionnelle. Nous avons donc conçu la recherche de sorte que puissent s’articuler données recueillies in situ et discours des enseignants sur ces données, sur leurs pratiques et les situations vécues, grâce à des entretiens d’auto-confrontation individuels. Des entretiens croisés entre enseignants ont aussi été menés.
IV.1. L’échantillon
Les enseignants engagés dans la recherche sont tous volontaires et ont été sollicités dans le cadre de relations professionnelles ou de proximité. C’est donc un échantillon de convenance, comme c’est généralement le cas dans les travaux de cette nature. Nous avons néanmoins tenté de constituer un échantillon diversifié quant aux lieux d’exercice et donc à la population scolarisée et à l’expérience professionnelle.
Ont finalement participé à la recherche 19 enseignants dont les profils s’établissent comme suit :
Département |
établissement |
Statut professionnel |
sexe |
âge |
Résumé des informations
- Pages
- 398
- Année de publication
- 2020
- ISBN (PDF)
- 9782807614253
- ISBN (ePUB)
- 9782807614260
- ISBN (MOBI)
- 9782807614277
- ISBN (Broché)
- 9782807614246
- DOI
- 10.3726/b17316
- Langue
- français
- Date de parution
- 2020 (Octobre)
- Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
- Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. 398 p., 4 ill. en couleurs.